Trois albums à emballer avec soin avant de les offrir…

Trois albums à emballer avec soin avant de les offrir…

Un  » Gaston  » à ne surtout pas rater, un  » Tuniques Bleues  » qui pose des questions sérieuses, un 421 plein de rebondissements : faites plaisir ou faites-vous plaisir !

Jacques Schraûwen

Gaston au-delà de Lagaffe (Bibliothèque Centre Pompidou – éditons Dupuis – Exposition au Centre Pompidou jusqu’au 10 avril 2017)

Gaston – © Dupuis et bibliothèque Pompidou

Bien sûr, Hergé est et reste une des  » valeurs sûres  » (mais trop mercantile…) du neuvième art. Sans vouloir en aucune manière nier l’importance qui est la sienne dans la grande histoire de la bande dessinée, je ne peux que me réjouir de voir mettre à l’honneur, à Paris, dans le prestigieux Centre Pompidou, un créateur que j’estime au moins aussi important qu’Hergé : Franquin !

Et à cette occasion paraît ce  » Gaston au-delà de Lagaffe « , catalogue de cette exposition consacrée à un des personnages essentiels de la bd, et retraçant tout ce que furent le parcours et l’existence de ce gaffeur impénitent, caustique parfois, anarchiste souvent, politiquement incorrect toujours !

On y trouve une iconographie superbe et aérée : des crayonnés, des planches, des illustrations, des détails, des inédits…

Mais cet ouvrage est aussi, et surtout peut-être, construit à partir d’un canevas original : les propres mots de Franquin, recueillis dans ses interviews, ses rencontres, les livres auxquels il a participé de son vivant. On a l’impression de plonger dans la vie de Gaston, le héros sans emploi mais qui observe le monde, celui du travail et de l’évolution de la société avec un humour souvent décalé, toujours réjouissant et restant d’actualité, et d’entendre André Franquin, penché sur notre épaule, nous parler de ce personnage hors normes et essentiel, oui !

Essentiel, tout comme ce livre pour tous les amateurs de bd ! Tout comme les œuvres complètes de Gaston, d’ailleurs, qui devraient se trouver dans tous les bureaux en lecture libre : on parlerait beaucoup moins de burn-out, croyez-moi !

Les Tuniques Bleues présentent : Les enfants dans l’armée (dessin : Willy Lambil – scénario : Raoul Cauvin – éditeur : Dupuis)

les tuniques bleues présentent – © dupuis

Les éditions Dupuis continuent à rééditer deux par deux  » Les Tuniques Bleues « , rassemblant les albums par thèmes.

Dans chacune de ces  » Tuniques Bleues présentent « , un dossier  » pédagogique « , mais sans aucune pédanterie, nous montre combien les scénarios de Cauvin et les dessins de Lambil ont toujours voulu coller du plus près à la vérité, celle de l’époque, celle de l’Histoire, celle des êtres humains perdus dans une guerre qui les dépasse.

A partir d’une constante dans l’univers de l’humour, Cauvin a créé deux personnages antinomiques, Blutch et Chesterfield, chacun étant à la fois l’opposé de l’autre et son complément indispensable.

L’un est frondeur, l’autre obéissant, mais tous deux sont d’abord et avant tout humains.

Et c’est bien d’humanité qu’il s’agit, d’humanisme, dans ce volume-ci, puisque c’est l’enfance perdue dans un monde de violence adulte qui y est racontée. Mais avec humour, toujours ! Dans  » Baby Blue « , on suit les aventures de notre duo et d’un bébé trouvé abandonné sur la route… Ce sont plusieurs nouvelles dessinées plutôt qu’une histoire complète, et l’humour qui y règne est bon enfant. Le deuxième album, Drummer Boy, est beaucoup moins bon enfant, puisqu’il montre franchement, tant dans les mots que dans le dessin, ce qu’est l’horreur de la guerre, ses morts, ses absurdes tactiques ne menant qu’au néant de victoires ou de défaites éternellement identiques. Parce que l’enfant qui y est décrit et raconté n’a rien, lui, de vraiment innocent !

Un très bon album, donc, pour tous les publics, et qui nous montre les Tuniques Bleues au mieux de leur forme !

421 : L’Intégrale volume 1 (dessin : Eric Maltaite – scénario : Stephen Desberg – éditeur : Dupuis)

421 – © dupuis

Les intégrales ont l’avantage de remettre en lumière certaines séries quelque peu oubliées. Toutes, évidemment, n’ont pas le même intérêt, ni par leur contenu ni par leur place dans la paysage de la bande dessinée.

421 fait plutôt partie des bonnes surprises de cette politique éditoriale de replonger les lecteurs dans d’anciennes réalités dessinées !

C’est au tout début des années 80 que Stephen Desberg au scénario et Eric Maltaite au dessin ont créé 421, personnage inspiré directement par le succès cinématographique de James Bond.

421, ce n’est pas 007, certes, mais c’est un espion, qui a comme devoir, dans chaque aventure, de dénouer des intrigues Particulièrement ardues.

Du côté du scénario, ce sont les premières armes de Desberg, parfois hésitant, utilisant parfois trop les raccourcis littéraires. Mais il est vrai qu’à l’époque, c’était une mode, tant du côté des adeptes de la Ligne Claire que de ceux de ce qu’on a appelé l’école de Charleroi.

Du côté du dessin, Eric Maltaite n’échappe pas à l’influence de Will, par ailleurs son père.

Les influences, d’ailleurs, pour le texte comme pour le graphisme, sont assez visibles, lisibles : Tif et Tondu, avec un avatar de Choc (la silhouette…), Spirou et le repaire de la Murène…

Mais au-delà de ces influences somme toute normales, il y a déjà la patte de deux vrais raconteurs d’histoires. On parle de drogue, de politique, de violence, de manipulation, des thèmes qui restent et resteront encore longtemps d’actualité. Et on traite ces thèmes avec une dose d’humour qui n’est pas sans rappeler quelque peu celui de Gotlib dans sa rubrique à brac, un humour très souvent teinté d’absurde.

Une bonne intégrale, donc, qui nous replonge dans ce qu’était en train de devenir la bd tous publics au début des années 80 !

Les fins d’année sont propices à des parutions qui sortent un peu de la ligne éditoriale habituelle des éditeurs… Il ne reste qu’à en profiter, sans aucun doute !

Vous avez encore des cadeaux à faire ? Faites votre choix, et faites des heureux !

 

Jacques Schraûwen

Hergé Tintin Et Les Soviets – La naissance d’une œuvre

Hergé Tintin Et Les Soviets – La naissance d’une œuvre

Un livre pour tous les tintinophiles, bien entendu, mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent et se passionnent pour l’histoire du neuvième art !

Hergé Tintin et les Soviets – © éditionsmoulinsart

Dans l’œuvre de Hergé,  » Tintin au pays des Soviets  » occupe une place à part. Une place  » mercantile « , d’abord, et ce n’est pas la plus importante, fort heureusement ! Une place artistique, donc, et surtout. Parce que c’est dans ce premier album que Hergé a posé les bases-mêmes de ce qu’on a nommé La Ligne Claire.

Cette Ligne Claire, c’est de prime abord une question de technique. Mais pas seulement, puisque c’est aussi une manière de construire un récit, de raconter une histoire. Et, enfin, c’est l’acquisition d’outils graphiques précis peu utilisés auparavant, comme les phylactères.

Et dans ce livre, Philippe Goddin, grand tintinophile devant l’Eternel, nous démontre avec force exemples à l’appui que ce sont bien ces  » Soviets  » qui ont initialisé une  » nouvelle  » bande dessinée, même si, et il le dit aussi, cette initiale de la ligne claire était encore bien malhabile.

Ce que Philippe Goddin fait aussi, et c’est un des points extrêmement positifs de son ouvrage, c’est rendre hommage à un dessinateur qui, déjà, avant Hergé, avait posé les jalons de cette bande dessinée devenue, au fil du temps, la presque-propriété d’Hergé. Alain Saint-Ogan, créateur de Zig et Puce, utilisait déjà les  » bulles « , par exemple, et Hergé a toujours reconnu l’influence que ce grand précurseur avait eue sur sa manière d’envisager le monde de la bande dessinée.

Philippe Goddin: la ligne claire

Hergé Tintin et les Soviets – © éditionsmoulinsart

Ce livre est extrêmement fouillé, par son iconographie  » hergéenne « , mais aussi par le somme de documents historiques que Goddin reproduit de page en page, et qui replacent l’aventure de la création de Tintin dans une époque bien précise.

Bien sûr, il y a eu, pour qu’Hergé crée son personnage fétiche, tout un concours de circonstances. Un mentor, l’abbé Wallez, un journal, le Vingtième Siècle, et son supplément pour la jeunesse, le Petit Vingtième, un environnement historique chaotique, l’importance de plus en plus grande que prenait le journalisme : tout était en place pour qu’un personnage de bd enfile les vêtements d’un reporter capable d’emmener les lecteurs aux quatre horizons du monde !

Et le génie d’Hergé, c’est d’avoir fait autre chose que simplement se plier au rythme des événements. Il a amorcé dans ce premier volume des aventures de Tintin ce qui, ensuite, s’est affiné, peaufiné, jusqu’à devenir une véritable grammaire de la Ligne Claire. Une grammaire dans laquelle les signes deviennent des codes : gouttes de sueur, nuages de poussière, mouvement dessiné en plusieurs cases, autant de codes encore et toujours utilisés, parfois même à l’extrême comme dans les mangas. Et je pense que le plus grand apport neuf de Hergé est à inscrire dans sa construction narrative, dans l’application qu’il a faite des règles des feuilletons du dix-neuvième siècle. Il fallait alors que le lecteur soit pratiquement obligé d’acheter le numéro suivant du journal pour ne pas rester sur sa faim… De même, au bout de deux pages (rythme de parution des planches de  » Tintin au pays des Soviets « ), Hergé a voulu que s’installe un suspense qui amène ses lecteurs à attendre le numéro suivant du journal avec impatience.

Un des autres points de la grammaire d’Hergé est fort utilisé dans ce premier tome des aventures du petit reporter blond : la caricature. Les méchants comme les bons, les seconds couteaux essentiellement, ont souvent des trognes dignes des films muets où il fallait que l’expression remplace les mots.

Philippe Goddin: la grammaire bd selon Hergé

Philippe Goddin: la caricature

 

Hergé Tintin et les Soviets – © éditionsmoulinsart

Cela dit, le reproche le plus fréquent fait à  » Tintin au pays des Soviets  » concerne son aspect politique, son manichéisme évident. Son engagement politique, presque…

Philippe Goddin, grâce à son énorme documentation, analyse cette réalité indubitable en la mettant en perspective : perspective du milieu familial d’Hergé, perspective de son jeune âge, perspective de la peur de tout l’Occident face au communisme, perspective de l’influence intransigeante de l’abbé Wallez.

Pour ce faire, il s’appuie sur des documents de toutes sortes, photos, journaux, dessins, tous rendant compte de façon objective de cette année 1929, ancrée dans un entre-deux-guerres plein de folie, mais déjà annonciateur de futurs beaucoup moins chantants.

Philippe Goddin: les soviets

Le talent de Philippe Goddin est d’être tout sauf ennuyeux. Même si son ouvrage se révèle une œuvre d’analyse sérieuse et poussée, il nous l’offre sans qu’elle soit pesante. Le choix de ses illustrations, de toutes sortes, et nombreuses, aèrent son texte et son propos.

La clarté, oui, voilà ce qui peut peut-être définir la ligne d’écriture de Philippe Goddin. Et ce qui le rattache encore plus à l’univers d’Hergé !

On peut ne pas être passionné par Tintin, on peut ne pas aimer particulièrement son créateur. Mais personne ne peut nier l’importance essentielle qu’il a eue dans la grande histoire des petites histoires en dessins ! Une importance, bien évidemment, qu’il partage avec d’autres, Alain Saint-Ogan, avant lui, Jijé et Franquin après lui…

Une importance que Goddin décortique avec talent dans ce livre intelligent sans être pesamment intellectuel !

 

Jacques Schraûwen

Hergé Tintin Et Les Soviets – La naissance d’une œuvre (auteur : Philippe Goddin – éditions Moulinsart) – Illustrations: Hergé Tintin et les Soviets – © éditionsmoulinsart

Des beaux livres à glisser sous le sapin: Alice, les fées, et une petite sélection BD 2016

Des beaux livres à glisser sous le sapin: Alice, les fées, et une petite sélection BD 2016

 

Fin d’année oblige, voici le temps des cadeaux… Découvrez deux livres merveilleusement illustrés, et une petite sélection faite par Jacques Schraûwen des livres qui, pour lui, ont marqué l’année 2016.

Tout choix est subjectif… Les miens naissent et naîtront toujours, exclusivement, de plaisir pris à la lecture, un plaisir qu’il me plaît de partager, tout simplement…

Les Fées de Cottingley (texte : Sébastien Perez – illustrations : Sophie de La Villefromoit – éditeur : Soleil/Métamorphose)

Les fées de Cottingley – © Soleil/Métamorphose

Au départ de ce livre, il y a un fait divers réel, une série de photos qui, au début du vingtième siècle, montrait deux petites filles entourées de fées.

Canular ou réalité ?…. Aucune importance, après tout, tant il est vrai que cette rencontre possible et improbable entre un humain et le « petit monde » s’ancrait parfaitement dans une époque dont on disait que les années en étaient folles.

Mais voilà, un écrivain célèbre y crut, totalement, à ces clichés, et consacra une partie de sa vie, entre deux romans, à vouloir en prouver la véracité. Conan Doyle, tellement attaché à la seule réalité dans les aventures qu’il imposait à son héros Sherlock, oublia dans cette quête étrange tous ses principes rigoureux, voire mathématiques !

Les auteurs, ici, ont décidé de rendre vie à ces deux petites filles, de raconter leur histoire, et de le faire avec un sens du fantastique que n’auraient pas renié les auteurs du dix-neuvième siècle, comme Maupassant, voire même Baudelaire et Poe… Parce que tout, finalement, n’est que poésie lorsqu’un adulte se penche sur le monde de l’enfance. Un monde qui n’a rien de merveilleux, souvent, un monde dont la pureté n’est habituellement qu’une espèce de miroir déformant de la vérité.

Et ce livre entre bien dans cette manière de voir et de montrer les choses : aux côtés de la magie, aux frontières entre l’ici et l’ailleurs, c’est la vie qui existe, l’existence et ses folies, ses renoms, ses horreurs, ses haines, ses gentillesses, ses angoisses, ses solitudes… La vie, oui, et la mort, toujours, déjà…

Ce roman est écrit d’une façon quelque peu désuète, ce qui ajoute un charme nostalgique au récit. Quant aux illustrations, elles réussissent à exprimer ici la peur, là  le plaisir, elles parviennent à nous faire entrer dans une aventure humaine qui voit, en arrière-fond, évoluer une société entre voyages et découvertes, entre guerre et tueries, entre le  merveilleux et le présent.

Une très belle réussite que cet album magistralement illustré, un très beau cadeau à faire à tous les enfants, même adultes, qui se veulent rêveurs…

Alice : de l’autre côté du miroir (texte : Lewis Carroll – illustrations : Benjamin Lacombe – éditeur : Soleil/Métamorphose)

De l’autre côté du miroir – © Soleil/Métamorphose

Qu’y a-t-il de l’autre côté d’un miroir, quelle existence ont nos reflets inversés, quelles existences, plurielles, surtout ?… Le monde qui se cache dans un miroir est-il le nôtre ou ne fait-il qu’y ressembler ?

Le miroir, ainsi, a souvent été un  » outil  » littéraire permettant d’introduire dans le réel une part de mystère, un inattendu angoissant ou souriant. Aucun cinéphile n’aura oublié, par exemple, la puissance d’évocation des miroirs de Jean Cocteau, dans Orphée…

On fait souvent l’erreur de définir Lewis Carroll comme un auteur pour enfants. Et s’il est vrai que ses livres peuvent se lire à tout âge, il est tout aussi vrai que ce qu’il raconte, au pays des merveilles comme dans l’autre côté du miroir, appartient à une littérature bien plus large, une littérature dans laquelle la poésie peut se révéler cruelle, d’une cruauté désamorcée par l’absurde, voire même le surréalisme, certes, mais bien présente.

Dans ce livre-ci, la meilleure des traductions a été choisie, celle, exceptionnelle, de Parisot. Et après bien d’autres, Benjamin Lacombe s’est accaparé le personnage d’Alice, pour la conjuguer, souriant souvent d’un sourire entre deux airs, dans des situations toutes plus poétiquement folles les unes que les autres.

Je pense que Benjamin Lacombe est un des plus grands illustrateurs actuels. Il a un style extrêmement personnel, qui rappelle parfois Leonor Fini par la perversité à peine devinée des scènes qu’il dessine.

Dans ce livre-ci, il mêle différentes facettes de son talent, du noir et blanc à la couleur puissante, du sépia au simple croquis. Et, ainsi, ses illustrations font plus que donner vie à un personnage mythique de l’histoire de la littérature mondiale, elles l’accompagnent, elles la complètent… Le dessin de Lacombe se balade, lui aussi, de l’autre côté du miroir, en un lieu où les routines artistiques, enfin, sont interdites…

Lisez Carroll, faites-le lire, et choisissez cette édition-ci pour vous faire plaisir, et faire plaisir à vos proches !…

Dix livres de 2016 à découvrir, à redécouvrir, à (s’) offrir !

2016 a été une année fertile en parutions de qualité.

Au fil de cette année, j’ai tenté, au travers de mes chroniques, de vous donner un aperçu assez large de ce que j’aimais dans l’univers du neuvième art.

J’ai voulu ici épingler dix albums qui me semblent, avec le recul, sortir vraiment du lot. Dix livres, très différents les uns des autres, mais qui dressent une partie du paysage de la bd…

Et, le choix étant plus que difficile, j’ai ajouté, en fin de liste, quelques titres supplémentaires…

Bonne lecture à toutes et à tous !…

 

Jacques Schraûwen

Boule à zéro

Chlorophylle et le monstre des trois sources

Journal d’Anne Frank

Les enfants de la résistance

Mon frère le chasseur

Les ogres-dieux : demi-sang

Là où vont les fourmis

Le dernier assaut

Un bruit étrange et beau

Magritte

Et aussi… L’homme qui tua Lucky Luke, Alvin, Watertown, Melville, Choc, Macaroni, Auschwitz, Filles des oiseaux, Iroquois, Spirou et la lumière de Bornéo…