FRNCK : 1. Le Début Du Commencement

Aventure et humour sont au rendez-vous de cette série débutante, qui traite avec intelligence de bien des thèmes contemporains, et qui, d’emblée, se veut ouverte à tous les publics, à tous les âges ! Dans cette chronique, allez à la rencontre du trio d’auteurs de cet album à ne pas rater !

Olivier Bocquet, le scénariste

Je connaissais Bocquet comme auteur du très beau  » Terminus « , un album post-apocalyptique sombre, désespéré, et dont le texte accompagnait un graphisme aux réalités artistiques évidentes.

Ici, Olivier Bocquet nous emmène dans un univers plutôt  » pré-apocalyptique « , l’apocalypse étant, finalement, ce que nous vivons aujourd’hui, petit à petit !

Franck est un ado comme tous les ados. Un peu plus paumé, quand même, puisqu’il est orphelin et qu’on le voit, dès les premières pages de cet album, prêt à être adopté. Et pas très coopératif ! Et puis, le jardinier de cet orphelinat lui explique où il a été trouvé, en pleine forêt, et que personne ne sait rien de ses parents.

Et voilà que peut commencer pour cet ado d’aujourd’hui une vraie quête identitaire. Qui est-il, d’où vient-il ?

L’adoption, pour lui, ne peut qu’être une fuite devant sa nécessité à se définir. Et donc, il s’en va, téléphone portable dans la poche, avec sa faim de pizzas succulentes, dans les profondeurs de la forêt, jusqu’à arriver à ce qui ressemble au portail d’entrée d’un parc d’attraction consacré à la préhistoire.

Mais là où il tombe, en une chute vertigineuse, ce n’est pas dans un jurassic park, loin s’en faut ! Mais dans une véritable préhistoire… Un monde dans lequel ses gadgets modernes sont inutilisables, dans lequel le langage n’existe pas. En tout cas, pas son langage d’adolescent du vingt-et-unième siècle. Ce sont des borborygmes qu’utilisent pour communiquer les personnages velus et presque nus qu’il rencontre. Des borborygmes ?…. Non, mais des mots dans lesquels toutes les voyelles ont disparu… Franck devient ainsi Frnck… Un Frnck qui va s’efforcer d’apprendre les voyelles à ces êtres primitifs, ce qui va provoquer le premier vrai mot de l’humanité! (et je vous en laisse la surprise…)

L’aventure est constante, dans ce premier album qui ne se contente pas de mettre en place les personnages, LE personnage en fait. Elle se nourrit aussi d’humour, en se décalant par rapport à toute une série de clichés qu’Olivier Bocquet s’amuse à détourner sans cesse.

La réflexion est présente, elle aussi, et elle prend plus de présence encore grâce au rythme imposé à l’intrigue. Frnck, c’est également, tout compte fait, une bd qui parle des addictions et des dépendances  » technologiques  » qui, de nos jours, remplacent la réalité et ses expérimentations… Frnck, c’est aussi une réflexion sur le langage, en une époque où l’écriture  » sms  » devient une règle sans règles. Frnck, c’est, enfin, une réflexion sur l’évolution, les personnages les plus évolués, dans le monde où se trouve Franck, se révélant aussi les plus cruels et les plus dangereux.

Olivier Bocquet

Brice Cossu, le dessinateur

A partir d’un scénario touffu, inventif, il fallait que le dessinateur soit à la hauteur du défi : mêler à l’univers connu qui est le nôtre un nouveau monde plausible de bout en bout, graphiquement. Il fallait que le dessin accompagne totalement le mouvement du récit, sans faux rythme.

Et c’est, sans aucun doute, ce que Brice Cossu a réussi à faire.

Son dessin se révèle influencé, c’est une évidence, par les mangas : expressions des visages, accentuation des mouvements et des courses, simplification parfois des décors pour laisser place à une forme d’expressionnisme exacerbé.

L’histoire de Franck, c’est l’histoire d’un enfant qui ne veut pas grandir sans d’abord savoir qui il est. On n’est pas loin des grands classiques de la littérature  » jeunesse  » que sont Peter Pan, ou Alice au pays des merveilles, ou même Harry Potter !

Mais le dessin de Cossu, lui, va puiser ses inspirations dans tout autre chose que le classicisme. Et son style mêlant la vitesse de description des œuvres japonaises à la mise en place et la mise en scène des personnages et des lieux « à l’européenne », voire à la « comics américains », ce dessin se révèle attirant dès le premier regard, et totalement en osmose avec l’histoire qu’il ne se contente pas d’illustrer, mais qu’il aide à raconter, véritablement.

Brice Cossu

Yoann Guillo, le coloriste

Au début de son Histoire, la bande dessinée ne créditait que les dessinateurs. Au fil du temps, les scénaristes ont vu leur nom apparaître en couverture, et se sont finalement vus reconnaître comme éléments essentiels à la réussite d’une bonne histoire.

Un troisième  élément, cependant, dans la création et la construction d’un album bd, peut se révéler essentiel lui aussi: la couleur !

Il faut bien dire que, souvent, la mise en couleurs d’un livre n’accroche pas vraiment le regard. Que des tas d’albums qui sortent chaque année finissent ainsi par se ressembler tous par leur palette chromatique.

Ici, ce n’est pas le cas du tout, et Yoann Guillo a travaillé en artiste pour donner à ce livre une tonalité originale et participant pleinement à l’ambiance, certes, mais aussi à la réalisation, dans le sens pratiquement cinématographique du terme, de la narration !

Yoann Guillo

Cossu et Bocquet: les couleurs

Un livre à offrir et à s’offrir!

La bande dessinée, avant d’être appelée neuvième art, était un moyen de délassement offert à l’enfance. Au long de son histoire, cette bd s’est ouverte à des récits de plus en plus élaborés, passant, en guise de public, de l’enfance à l’adolescence, puis de l’adolescence à l’âge adulte. Avec parfois, reconnaissons-le, un certain hermétisme qui rompait avec la finalité de ce que doit être un livre, quel qu’il soit : lisible d’abord et avant tout !

Ici, on revient en quelque sorte aux principes de base de la bande dessinée : une bonne histoire, solide, charpentée, dessinée avec talent, colorisée avec passion, avec des personnages entiers qui n’ont rien de manichéen, avec un  » héros  » attachant par ses qualités comme par ses défauts !

Ici, on se trouve en présence d’un vrai album  » tous publics  » passionnant, passionné, intelligent, souriant, qui, sans se prendre au sérieux, est un vrai grand moment de plaisir pris à la lecture !

 

Jacques Schraûwen

FRNCK : 1. Le Début Du Commencement (dessin : Brice Cossu – scénario : Olivier Bocquet – couleurs : Yoann Guillo – éditeur : Dupuis – mars 2017)