Pierre de cristal

Un adulte se souvient de l’enfant qu’il a été… Un portrait de la souvenance tout en poésie et en émotion ! L’auteur, Frantz Duchazeau, interviewé par Jacques Schraûwen…

Une petite ville comme toutes les petites villes… Une famille simple, un couple, deux frères, perdue dans les années 80… Des parents qui arrêtent de vouloir s’aimer, des enfants obligés de se poser des questions, la photographie pour immortaliser des instants fugitifs, l’amitié, la famille, les animaux, le monde adulte qui oublie, le monde de l’enfance qui se crée inconsciemment une mémoire…

Voilà ce que nous raconte ce livre, tranquillement, sereinement, sans mélo, sans même de dramatisation d’un récit que d’aucuns auraient pu rendre impudique. On y suit le quotidien de Pierre, un gamin qui aime Casimir et l’île aux enfants, qui est passionné par le film  » L’âge de cristal  » et s’est choisi comme talisman un cristal de quartz qui lui a été offert par son père. Un gamin qui se pose mille et une questions, sur lui-même, sur les raisons qui peuvent pousser des enfants de son âge à n’être que méchants, sur ce qu’est l’amour, sur ce qu’est l’amitié, la souffrance…

Ce livre, c’est un regard d’adulte sur l’enfant qu’il a été. Un adulte qui retrouve les sensations qui ont été siennes, mais qui les restitue au travers du filtre de son histoire d’homme.

 » Tu parles comme un grand des fois « , dit un des personnages de ce livre. Et c’est vrai que, si le langage reste enfantin, il s’aventure malgré tout dans des expressions qui sont celles de celui qui se rappelle de son passé, de ses passés, tant il est vrai que tout passé, sans nostalgie, ne peut être que multiple.

C’est de l’autofiction, c’est un livre, surtout, sur ce qui fut et qui reste gravé en soi, c’est un album dans  lequel le regard est omniprésent, de page en page. Le regard de Pierre glissant sur l’univers, le regard de l’auteur sur un monde qui fut le sien…

Frantz Duchazeau: fiction, regard, souvenance…

 

Je disais que le langage était toujours enfantin, et c’est vrai. Mais ce qu’il véhicule dans ce livre, ce sont des questionnements universels, et terriblement adultes. Et c’est là aussi que cet album prend toute sa puissance, dans le jeu de miroirs continuel entre l’enfant et l’auteur, un auteur qui, de page en page, de phrase en phrase, se dédouble pour mieux, sans doute, se révéler, au lecteur mais aussi à lui-même.

Et Duchazeau construit son livre comme se construit la mémoire de tout un chacun : de manière souple, avec des ellipses et des raccourcis, et uniquement dans la continuité calme des vécus quotidiens des personnages. C’est une tranche de vie qu’on découvre ici, un morceau d’existence, avec ses peurs et ses douleurs, ses larmes et ses sourires, avec, surtout, des émotions parfaitement restituées au papier, au dessin, aux mots, avec une poésie quotidienne qui n’est jamais mièvre, que du contraire.

Et c’est ainsi que Pierre se retrouve face à la vieillesse de sa famille, face à la mort, dans sa réalité, dans sa pesante réalité. Mais puisqu’il est un enfant, ce poids disparaît vite. Et laisse la place, sans heurts, à  une vie qui se regarde en train de se construire.

Frantz Duchazeau: des questionnements adultes

 

Pour raconter une telle histoire, très intime, très personnelle aussi, Frantz Duchazeau a choisi un graphisme sans tape-à-l’œil, un dessin axé d’abord et avant tout sur la nécessité de dépasser  la seule apparence des lieux, des personnages et des mouvements, pour plonger le lecteur dans l’émotion, la simple émotion naissant d’une rencontre, d’une envie de partager, de parler, et la conscience enfantine, soudaine, que le temps glisse aux horizons du présent, inéluctablement.

Et le fait que Pierre, le personnage central, essentiel de ce récit, aime la photographie, utilisant un appareil qui, pourtant, n’a pas de pellicule, est symbolique du désir de l’auteur dans ce livre : immortaliser, même uniquement en imagination, les instants présents pour pouvoir, un jour, plus tard, ailleurs, s’en souvenir.

L’enfance n’est pas un paradis, elle est un chemin, un trajet, une trajectoire. Et la grande réussite de ce  » Pierre de cristal « , c’est de nous faire entrer, à petits pas, dans ce trajet-là !

Frantz Duchazeau: le dessin

 

Seul l’éphémère, photographié aux tréfonds de la mémoire, dessiné, raconté, est profondément beau. Et toutes les enfances finissent par se ressembler, par se mêler même les unes aux autres au gré des rencontres et des âges humains.

Dans ce livre, ainsi, tout le monde se reconnaîtra, retrouvera, ici ou là, ses propres souvenirs. Mais ce livre est et reste également un superbe récit très personnel, original dans son écriture, souple dans son graphisme. Un excellent livre à mettre  entre les mains de toutes celles et tous ceux qui savent que seule la poésie, au sens large du germe, peut aider à vivre ! Et à vieillir en pouvant regarder en face et sans regrets ni remords l’enfant qu’on a été

 

Jacques Schraûwen

Pierre De Cristal (auteur : Frantz Duchazeau – éditeur : Casterman)