Alena

Violence, érotisme, horreur et fantastique sont au rendez-vous de ce comics  particulièrement réussi ! Un comics qui nous vient de Suède…

 

Alena est une adolescente presque comme toutes les autres. Presque, car, dans l’internat où elle est élève, elle éveille la haine de certains élèves, surtout celle d’une pimbêche snobinarde qui n’arrête pas de la harceler.

Face à ces humiliations incessantes, Alena reste presque sans réaction. Sa seule façon de continuer à vivre, c’est dans la solitude de sa chambre, dans celle de ses pensées et de ses souvenirs qu’elle la construit. Des souvenirs qui, un jour, prennent vie, puisque son amie, sa seule amie, vient l’aider à combattre, à devenir active plutôt que passive. Sa seule amie, Joséphine.

Joséphine qui  est morte il y a un an, se suicidant en se jetant d’un pont, devant Alena.

 

 

Avec un  » i  » de plus dans son nom, l’héroïne de ce livre ne cacherait rien de ce qui l’habite, de cette aliénation qui, de jour en jour, devient réelle au quotidien de ses peurs, de ses angoisses, de ses révoltes.

Parce que c’est là, sans doute, tout le sujet de cet album : le portrait d’une superbe jeune femme en butte à des événements qui la déstabilisent et qui la poussent à se recréer autre, tout simplement, en un dédoublement qui peut laisser alors la place à la colère, la rage, la vengeance.

A ce titre, même si l’apparence première de ce comics est celle du fantastique, c’est bien plus de souvenance qu’il s’agit, de souvenance à assumer, de souvenance qui ne peut déboucher, puisque les mots n’ont pas pris vie lorsqu’il fallait qu’ils existent, que sur l’horreur la plus totale.

Joséphine est-elle un fantôme ? N’est-elle que l’émanation des angoisses et des lâchetés d’Alena ?

Toujours est-il qu’elle existe, de manière extrêmement présente tout au long de ce livre, comme un point d’orgue à tous les récits qui s’entremêlent de page en page.

Parce que la force et l’intelligence du scénario, c’est de parvenir à nous raconter, certes, une histoire frontale assez simple, mais de l’enfouir dans un environnement où les personnages secondaires occupent tous une place essentielle : celle du chœur antique, en quelque sorte. Parce que, oui, ce comics suédois peut montrer à certains moment une connotation de tragédie… Moins à la Sophocle qu’à la Racine ! Parce que, finalement, tout naît et  conduit à une seule réalité humaine et universelle : l’amour, celui des âmes, celui des chairs, celui qui ose défier les morales et les tabous !

 

 

Comics venu du froid suédois, certes, ce  » Alena  » respecte à la perfection les codes de ce genre de bande dessinée : des chapitres, assez  courts, en vue de parutions régulières en petits formats, une part importante de violence gratuite, une manière de jouer avec les couleurs pour créer des univers qui se différencient les uns des autres au premier regard ou presque, des perspectives graphiques parfois démesurées pour rythmer la narration…

Mais le dessin d’Andersson est un dessin qui mêle deux influences, celle de la bd américaine, mais aussi celle de la bd belgo-française. Il en résulte un graphisme qui, parfois proche de l’illustration par des gros plans somptueux, choisit plutôt la voie de l’expression que de la description. Et si Andersson est particulièrement explicite dans les scènes d’horreur sanglante comme dans celles de l’amour charnel, il l’est tout autant pour dessiner les sensations et les sentiments de ses personnages.

Je ne suis pas fan de comics, trop souvent à mon goût, d’un manichéisme pesant qui élimine toute profondeur aux héros qu’ils mettent en scène.

Mais ici, tout m’a séduit, je peux l’avouer : le dessin, qui n’est jamais lassant, jamais répétitif, le scénario qui laisse la part belle à des sujets totalement contemporains, le mélange étroit qui s’y révèle entre l’amour et la mort, entre Eros et Thanatos, comme (je me répète…) dans les tragédies anciennes…

Un très bon livre, donc, à savourer en frissonnant !…

 

Jacques Schraûwen

Alena (auteur : Kim W. Andersson – éditeur : Glénat)