Le Travailleur De La Nuit

Le destin d’Alexandre Jacob, truand, anarchiste et libertaire… Un album aux bases historiques sérieuses, au dessin lumineux, aux personnages vraiment attachants !

Le Travailleur De La Nuit © Rue De Sèvres

 

Une enfance à Marseille, à la fin du dix-neuvième siècle… Un amour de la Mer qui le pousse à s’en aller au gré des vagues, à découvrir, sur un bateau, qu’entre rêve et réalité il y a la distance du pouvoir que tant veulent imposer à tant d’autres. C’est là, en se sentant brimé, en se voulant absent de cette loi violente imposant ses règles aux plus faibles, que le jeune Alexandre va se  forger une personnalité hors du commun.

Obligé, pour des raisons de santé, d’abandonner les flots et leurs voyages, Alexandre va, sur terre, trouver un emploi qui ne l’empêchera pas de dire haut et fort ce que sont devenues ses convictions. Parlant bien, intelligent, ayant fait quelques études en une époque où cela n’était pas fréquent, c’est en effet à terre, dans le monde professionnel, qu’il va avoir besoin d’affirmer des sentiments qui n’ont rien de légaliste, loin s’en faut, qui sont même résolument anarchistes. Aucun pouvoir ne mérite qu’on s’en fasse le valet !

 

Le Travailleur De La Nuit © Rue De Sèvres

 

Ce livre, à force de flash-backs mêlés aux présents des personnages, pourrait être ardu à suivre, mais il n’en est rien que du contraire. Matz n’a pas besoin d’artifices littéraires pour passer, en une page, voire même en une case, du présent au passé. Et le dessin de Léonard Chemineau, semi-réaliste et nimbé d’une lumière et d’une couleur qui tantôt accentuent les détails, tantôt les estompent pour mieux laisser la place aux expressions et aux sentiments, ce graphisme n’a nul besoin de tape-à-l’œil non plus pour réussir à raconter une histoire passionnante et, ma fois, totalement passionnée de par son propos !

Un propos éminemment politique, puisque les auteurs nous font entrer dans le quotidien d’un anarchiste qui, de par le refus que la société a de lui laisser la parole, devient truand, voleur, mais ne volant qu’aux nantis. A travers Alexandre, c’est un peu Arsène Lupin qu’on retrouve, mais un Arsène Lupin possédant une culture politique assumée.

 

Le Travailleur De La Nuit © Rue De Sèvres

 

Il y a dans cet album bien des thèmes abordés, et aucun ne l’est fait avec facilité, avec manichéisme, même quand il s’agit pour les auteurs de nous montrer leur héros au bagne. Il faut dire que Matz a toujours privilégié, dans ses scénarios, l’humain et ses possibles au discours, qu’il soit politique ou simplement romanesque.

Et Alexandre, s’il se définit de par son anarchisme, se définit tout autant, plus même sans doute, par l’amour qu’il porte, à sa mère d’une part, à sa compagne d’autre part, un amour qui transfigure toutes ses actions et leur donne un sens qui dépasse la simple anecdote.

Cela dit, le côté « fouillé » de ce livre est évident, au travers des personnages réels, bien entendu, au travers des décors, restitués parfois avec minutie, au travers aussi d’une des nombreuses formes qu’a prises l’anarchie au début du vingtième siècle. Une anarchie autant active qu’intellectuelle, et s’opposant à toute prise de pouvoir par l’homme sur l’homme, s’opposant donc tout autant au socialisme qu’à l’armée, à la religion qu’à la bourgeoisie, au syndicalisme qu’au prolétariat.

 

 

 

Le Travailleur De La Nuit © Rue De Sèvres

 

Le vingtième siècle fut une des époques les plus animées, une des époques qui vit le plus d’innovations de toute l’histoire de l’humanité, peut-être.

Et j’aime ces livres qui, comme celui-ci, nous montrent à voir, de l’intérieur, le monde dont nous sommes, finalement, issus. Et qui le font avec un regard aigu, avec un sens profond du récit, avec un respect complet des instants décrits et de leurs environnements, intellectuels, politiques, militaires, quotidiens.

Ce « Travailleurs de la nuit », ainsi, de par ses thèmes, s’inscrit dans la  lignée des histoires de Léo Malet ou de Manchette ou encore A.D.G., de celles de Tardi ou de Bilal… Et il ne peut que trouver une bonne place dans votre bibliothèque, c’est évident !

 

Jacques Schraûwen

Le Travailleur De La Nuit (dessin et couleur: Léonard Chemineau – scénario : Matz – éditeur : Rue De Sèvres)