Darnand : Le Bourreau Français

Pourquoi parler aujourd’hui de Joseph Darnand, un des personnages les plus sombres de la seconde guerre mondiale ?… C’est ce que vous expliquent les auteurs de cette bd dans cette chronique consacrée à un livre étonnant, et passionnant !

          Darnand©rue de Sèvres

D’une guerre à l’autre… De héros à salaud… Le tout au nom de la patrie, de l’honneur, d’un hymne national, d’un besoin de reconnaissance… Le tout dans un univers d’idéologies lentement changeantes, glissant, elles aussi, de la normalité à l’horreur la plus sanglante.

Et comme figure emblématique de cette époque de la grande histoire humaine, un personnage hors du commun, Joseph Darnand.

Voilà le choix de Patrice Perna pour son nouveau scénario, superbement dessiné par Fabien Bedouel.

Un choix qui peut paraître étrange, c’est vrai, mais qui correspond bien à la volonté que Patrice Perna a toujours eue de s’écarter des sentiers trop balisés de l’édition, de s’attacher à des personnages qui ont du corps, qui ont un vrai destin, et de nous en offrir un portrait sans fioritures mais sans manichéisme non plus.

Voilà aussi le choix de l’éditeur, Hervé Langlois, pour qui l’important, dans la bande dessinée, n’est pas seulement le récit, mais toutes les réflexions qu’il est capable d’ouvrir chez le lecteur.

Darnand©rue de Sèvres

Patrice Perna: choix du sujet

 

Hervé Langlois, éditeur

D’une guerre à l’autre… En compagnie de ce Joseph Darnand dont la destinée a été pour le moins exemplaire, au sens premier du terme.

C’est en 1916, âgé de presque 19 ans, que Joseph Darnand entre de plain-pied dans la guerre, celle que l’on a dite « grande »… Très vite, il va se mettre en évidence, par sa bravoure, par son autorité naturelle, par son courage aussi, et l’intelligence de ses actions militaires derrière les lignes ennemies. Par son sens du respect et de l’amitié à porter, également, à ses hommes, pour qui il est prêt à se sacrifier.

De ce fait, la guerre terminée, il sera décoré, on dira de lui qu’il a été un artisan de la victoire, il reçoit la médaille militaire des mains du général Pétain, à qui il vouera dès lors une admiration sans bornes, il est également décoré, comme sous-officier d’élite, de la Légion d’honneur.

Et puis, la vie normale le rattrape, l’uniforme rangé dans une armoire poussiéreuse et remplacé par un costume de vendeur.

Par nostalgie sans doute de l’existence folle qui fut la sienne, une existence qui prenait tout son prix par le fait qu’elle pouvait s’arrêter à tout moment, il commence vite à vivre d’autres engagements, dans des mouvements d’extrême droite, l’Action Française, de Maurras, la ligue royaliste aussi.

Et lorsque viendra la guerre de 40, Joseph Darnand se rangera aux côtés de l’occupant, pour une collaboration totale et totalement active, en tant que dirigeant, entre autres, de la Milice, une organisation paramilitaire qui se rendra coupable de crimes atroces.

Pour Patrice Perna, tout l’intérêt de raconter le trajet de cet homme réside d’abord dans le plaisir qu’il a à créer des narrations qui obligent le lecteur à remplir les trous du récit, à créer un fil narratif qui n’a rien de linéaire, à mêler même les époques en laissant opaques certains moments qui pourraient pourtant se révéler essentiels dans la compréhension du personnage qu’il met en scène.

Tout l’intérêt aussi, pour lui, est de dépasser le simple portrait d’un personnage odieux pour nous peindre également le tableau d’une époque. Pendant l’entre-deux guerres, et depuis bien longtemps, l’antisémitisme et le racisme de manière générale étaient des réalités de tous les jours, même et surtout chez les « penseurs », les « écrivains », les artistes. Et le fait de n’en parler que par petites touches permet surtout à Patrice Perna de nous rappeler que l’extrémisme n’est pas neuf, et qu’il peut rejaillir à tout moment, créateur de bourreaux aussi impitoyables que Darnand.

Darnand©rue de Sèvres

Patrice Perna: narration
Patrice Perna: l’extrême droite

 

Ce « Darnand » va se conjuguer en trois volumes. La qualité des deux auteurs, complices déjà pour les séries « Kersten » et « Forçats », est de plonger les lecteurs, dès le premier tome, dans ce qu’ils nous racontent, et de maintenir l’intérêt de tout un chacun en laissant des tas de portes ouvertes, en laissant des zones d’ombre dont on devine qu’elles seront, à un moment ou un autre, jetées en pleine lumière.

Le scénario de Perna restitue l’époque, son ambiance, et la manière de parler de chaque personnage.

Le dessin de Fabien Bedouel est réaliste, bien évidemment, il est également de facture classique, beaucoup plus que dans ses albums précédents réalisés avec Patrice Perna. Et ce dessin parvient à éviter tout voyeurisme inutile, même dans le compte-rendu dessiné de scènes de guerre absolument innommables. Mais il n’a rien, non plus, et fort heureusement, de policé, de sage, de passe-partout !

Darnand©rue de Sèvres

Patrice Perna et Fabien Bedouel: le dessin
Fabien Bedouel: le dessinateur

 

Il faut également épingler ici le travail de Sandrine Bonini, la coloriste. Avec une palette traditionnelle, sans accumulation d’effets spéciaux, à l’instar du travail du dessinateur, elle réussit à ajouter une note de poésie aux scènes les plus horribles, à transformer même certaines planches, certaines cases, en éléments presque abstraits (je pense aux scènes qui mettent en évidence la neige, ou certains décors…).

Le regard que portent ces trois auteurs sur l’Histoire, cette Histoire récente qui reste l’orée de celle qu’on vit aujourd’hui, ce regard est un regard aigu, intelligent, humaniste mais sans faux fuyant.

Et Joseph Darnand, odieux, trouve dans leur récit un contrepoint avec un autre personnage, Ange… Un contrepoint qui permet à l’album, comme je le disais plus haut, de laisser des portes ouvertes, de laisser surtout quelques fenêtres ouvertes sur un ciel plus bleu, moins chargé de haine…

Fabien Bedouel: la couleur de Sandrine Bonini

Un livre à ne pas rater !…

Jacques Schraûwen

Darnand : Le Bourreau Français – tome 1 (dessin : Fabien Bedouel – scénario : Patrice Perna – couleurs : Sandrine Bonini – éditeur : Rue De Sèvres)