Gotlib : « Entretiens » avec Numa Sadoul et « Pervers Pépère »

Tous les talents et toutes les provocations d’un des pères de la bd moderne !

Gotlib… Ce nom, au panthéon du neuvième art, s’associe une bande dessinée résolument adulte, dans le propos et dans la forme. Mais au-delà de « Hamster Jovial » et du grossièrement et érotiquement déjanté « Pervers Pépère », il y a eu dans la carrière de Gotlib bien plus ! A toujours redécouvrir !…

Entretiens avec Gotlib (auteur : Numa Sadoul – éditeur : Dargaud)

 C’estau début du mois de décembre 2016 que Gotlib a quitté définitivement la scène. En y laissant bien plus qu’une ombre éphémère : une place essentielle dans la grande Histoire de la bande dessinée.

C’est dans les années 70 que Numa Sadoul, amoureux total de la BD, s’était entretenu avec Gotlib, en vue d’une monographie qui, en effet, parut en 1974 chez Albin Michel. Mais, à l’époque, l’intérêt pour les petits mickeys n’était l’apanage que d’une minorité de lecteurs. Et ce livre ne contenait qu’une toute petite part des mots échangés entre Sadoul, déjà historien du neuvième art, et Gotlib, histrion provocateur de ce même art.

Voici donc, enfin, l’intégrale (inédite) de cette rencontre souriante, amusée, intelligente, et, surtout, nous permettant de découvrir et de comprendre tout le génie (le mot n’est pas trop fort…) de Gotlib.

Partagé en chapitres aux titres explicites (ils vont de « Quelques repères biographiques » au « Sexe », en passant par « L’humour », « Les angoisses » « Les dingodossiers », « L’Echo des Savanes »), ce livre n’a rien d’un pensum, que du contraire ! On entend, au fil des pages, le rire de Gotlib, on en reconnaît toutes les tonalités au gré des nombreuses illustrations qui, de par leur choix éclectique, résument parfaitement toute la carrière et toute l’œuvre du grand Marcel…

Dans ce livre d’entretiens, Gotlib nous décrit, simplement, en parlant à Numa Sadoul comme à un ami, ses rêves d’enfant, d’adolescent provocateur, et les moyens utilisés, narrativement, humainement, avec même une vraie dose d’humanisme, pour arriver à réaliser ces envies et arriver, finalement, sans vraiment le vouloir, à imprimer dans le monde de la culture son nom comme celui d’un véritable inventeur graphique et scénaristique !…

Pervers Pépère (auteur : Gotlib – éditeur : Fluide Glacial)

Bien sûr, avec un titre pareil, ce livre paru en 1981 fait croire, immédiatement, à un contenu graveleux. Et il est vrai <que le propos de cet album, à tous les points de vue, les mots comme les dessins, se révèle totalement politiquement incorrect ! On y parle d’exhibitionnisme, avec des mises en scène dignes des dessins d’humour de revues bien anciennes comme Le Rire… Mais des mises en scène toujours détournées, parce que ce qui intéresse Gotlib, c’est la confrontation des genres, c’est la touche surréaliste dans la dénonciation d’un acte pervers, c’est le subit et subtil retour à la poésie de l’enfance en plein milieu d’une situation inacceptable…

Pervers Pépère est un personnage à inscrire dans la fraternité à la fois du vieux dégueulasse de Reiser et des êtres créés par Serre et dessinés avec un talent trop oublié aujourd’hui.

L’humour de Gotlib fait bien plus que flirter avec les dessous de ceinture, mais il le fait avec une espèce de bonne santé qui excuse tout, et tout ne se doit-il pas d’être excusé quand cela se termine par des éclats de rire ?…

Et on rit beaucoup avec ce pervers pépère qui ridiculise la religion, le fétichisme, les rapports humains dans ce qu’ils ont de routiniers. Avec Gotlib, l’humour finit par ressembler au fantastique à la belge… Le récit graveleux et vulgaire d’une aventure vécue au quotidien de ses personnages, ce récit, soudain, devient autre par la grâce d’une faille dans ce qui est raconté !…

Oui, Gotlib pratique dans son dessin la scatologie, l’érotisme et le vice… Mais il le fait avec une telle bonne humeur qu’on ne peut que l’applaudir ! Comme on ne peut qu’applaudir la puissance de ses cadrages et de ses découpages et la douce folie parfaitement orchestrée de ses dessins !

Deux livres pour retrouver et faire redécouvrir un auteur complet, qui doit beaucoup, sans doute, à Goscinny, dont il a détourné tous les talents pour les faire siens…

Deux livres pour tous les amateurs de bande dessinée, pour tous les amoureux d’un humour qui n’a pas peur des mots ni des dessins, pour tous ceux qui pensent qu’en bd comme ailleurs, la liberté se doit aussi d’être celle de pouvoir rire absolument de tout !

Jacques Schraûwen