Le Fils de l’Ursari

Prix Jeunesse de l’Association des Critiques de la Bande Dessinée

Je le dis avec plaisir : membre de l’ACBD, c’est sur cet excellent album que s’était porté mon choix… Un livre ancré dans l’actualité, un livre qui nous parle de nous, de nos différences, de nos richesses !

Le Fils de l’Ursari © Rue de Sèvres

Il s’agit bien d’un prix « jeunesse », pas d’un prix « enfance » ! Je pense, en effet, que l’histoire qui est racontée dans ce livre se destine à un public adolescent, à des jeunes qui méritent qu’on leur offre la possibilité, la chance même, de porter des regards de tolérance sur le monde qu’ils sont en train de construire. Ou qu’ils vont bientôt devoir construire !

Cet album nous raconte un trajet humain… Celui d’un gamin, Ciprian, dont le père est montreur d’ours. Ciprian qui appartient au monde des gens du voyage, et connaît, sur les routes et dans les villages, ce qu’est le sentiment d’être regardé comme un étranger, partout, d’être chassé, d’être un objet de crainte.

La famille de Ciprian, comme tant d’autres Roms, se fait embobiner par un « passeur », et s’en vont, le cœur en joie, vers ce qu’ils espèrent être le lieu d’une nouvelle existence : Paris.

Le Fils de l’Ursari © Rue de Sèvres

Seulement, Paris, ce n’est, pour eux, qu’une ville aux fausses lumières. Une cité qui ne les accueille qu’en bidon-ville… Et la dette contractée pour pouvoir venir confronter leurs rêves à une sordide réalité, cette dette va obliger toute la famille à obéir… A mendier… A voler…

Ciprian, agile, intelligent, devient donc, sans vraiment s’en rendre compte, délinquant. Mais cet enfant aux yeux brillants, toujours écarquillés, est d’abord et avant tout observateur. Observateur de la ville, de ses rues, de ses passants. Observateur, aussi, très vite, de gens qui se retrouvent dans un jardin public pour jouer à un jeu qu’il appelle « lézecheck ». Un jeu qu’il ne connaît pas, mais dont il va, rien qu’en regardant des « vieux » y jouer, comprendre et assimiler les techniques, les règles, les stratégies.

Le Fils de l’Ursari © Rue de Sèvres

Cet album nous montre donc plusieurs univers côte à côte. Celui d’immigrés qui n’ont qu’un seul pouvoir, celui d’obéir à ceux qui les ont menés dans un paradis artificiel. Celui, aussi, des gens qui, ici, ailleurs, partout, ont des regards de juges, des regards haineux vis-à-vis de ces étranges individus venus d’ailleurs. Celui également d’un quotidien qui ressemble à la lutte ardue pour survivre. Celui, enfin, d’une véritable espérance, de la possibilité de faire de ces échecs (symbolisme évident…) une trouée lumineuse vers des destins nouveaux et à taille résolument humaine ! Et ce grâce à des Parisiens qui, venus pourtant de milieux dits répressifs, désirent faire de toutes les différences d’aujourd’hui toutes les richesses de demain.

Et pour lier tous ces univers, toutes ces personnalités, les auteurs ajoutent des ingrédients qui font que ce livre n’a rien d’une œuvre soucieuse uniquement « d’engagement » et d’éducation ! C’est un vrai récit passionnant qui nous est offert, c’est une aventure, une quête, avec de la vie, de la mort, des larmes et des sourires, un polar urbain qui devient une aventure humaniste, au sens le plus large et le plus noble du terme.

Le Fils de l’Ursari © Rue de Sèvres

Le dessin de Cyrille Pomès aime, très souvent dans ce livre, se créer à hauteur de son héros, à hauteur d’enfance donc, avec des perspectives qui, volontairement, créent des évidences parfois extrêmement particulières. Alternant les plans rapprochés avec des regards appuyés sur les décors dans lesquels vivent ses personnages, Cyrille Pomès insiste avec une sorte de légèreté poétique, sur les impressions de chacun, de chacun, sur les émotions que tous les personnages vivent, et on ne peut que saluer le superbe travail du dessinateur à la fois sur la lumière et sur les yeux…

Il est des livres dont on sent, très fort, qu’ils ont été créés pour le noir et blanc. Ici, il n’en est rien, et il faut, absolument, souligner le talent d’Isabelle Merlet qui s’est totalement impliquée dans la nécessité de faire de ce livre un vrai message d’ambiance, de ressenti, de poésie, de partage, donc de tolérance !

Le Fils de l’Ursari © Rue de Sèvres

Je ne suis pas un grand fan, je l’avoue, des prix littéraires, trop souvent, me semble-t-il, accordés par quelques-uns qui veulent montrer que le «populaire » manque, pour eux, de caractère et donc d’intérêt !

Ici, avec de Fils de l’Ursari, il n’en est rien. Il s’agit véritablement d’un livre populaire, dans le sens le plus noble du terme, un livre qui parle des gens, qui parle de l’aujourd’hui, sans manichéisme et avec un sens aigu du récit dans ce qu’il doit avoir de plus agréable à la lecture !

Un livre « jeunesse », oui… Un livre pour adolescents, sans aucun doute… Un livre, aussi, pour tous les adultes soucieux de regarder leur monde avec les yeux de l’enfance et de tous ses possibles !

Jacques Schraûwen

Le Fils de l’Ursari (auteur : Cyrille Pomès, d’après le roman de Xavier-Laurent Petit – couleur : Isabelle Merlet – éditeur : Rue De Sèvres – 130 pages – date de parution : avril 2019)