Bouncer : tome 12 – Hécatombe

Bouncer : tome 12 – Hécatombe

Un héros atypique pour un western démesuré : Bouncer nous revient après cinq ans d’absence !

copyright glénat

Je n’ai jamais été très fan, je l’avoue, des scénarios d’Alejandro Jodorowsky. Sauf pour cette série dessinée par François Boucq et s’enfouissant dans tout ce que le western peut avoir de dramatique… De tragique, même. Ce cow-boy manchot, qui n’a rien de solitaire, qui tue pour laisser vivre, qui cultive d’étranges amitiés, qui se meut dans un monde à la fois sauvage et terriblement humain, qui affronte à la fois les démons de l’invisible, voire de la superstition, et ceux de l’enfer régnant sur terre, cet anti-héros est, à mon humble avis, un de ces personnages de bd qui ont réussi à révolutionner le genre.

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D’abord, bien évidemment, parce qu’il est manchot, ce qui ne l’empêche nullement d’être redoutable l’arme à la main.

Ensuite, parce qu’il est loin, très loin même, d’être monolithique. C’est un homme perdu dans une existence qu’il ne veut pas mais qu’il doit assumer, c’est un homme pétri de convictions et qui est obligé de les renier, c’est un homme qui se veut samaritain et qui voit tout le monde mourir à ses côtés ou fuir… C’est, tout simplement, un homme qui a des failles, qui les montre, qui ne les renie pas, ce qui fait de lui une sorte de tueur humaniste aux amours désespérées.

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Dans cet épisode-ci, sachez qu’il y a des lingots d’or bien enfermés dans une banque. Qu’il y a, face à face, deux établissements dans lesquels les femmes accortes et peu farouches se donnent sans sentiment. Il y a les proches de Bouncer, rencontrés dans l’épisode précédent. Il y a des militaires venus surveiller l’or. Il y a d’autres militaires, des noirs cette fois, qui arrivent. Il y a un remarquable magicien et son assistante. Il y a la pluie, la boue, et, bien évidemment, la disparition des lingots d’or. Il ne peut donc y avoir, finalement, qu’une suite ininterrompue de violence, de morts, d’horreurs, une vraie hécatombe qui va faire de la petite ville de Barro City presque un cimetière à ciel ouvert !

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François Boucq est un orfèvre… Sa façon de dessiner cette boue omniprésente est d’une redoutable efficacité, tout comme la façon qu’il a d’aborder de front, sans aucune humanité, les scènes des violences les plus extrêmes. Son dessin et ses couleurs, je ne vais pas dire que cela magnifie le propos, mais cela parvient à créer, au-delà du récit, bien plus qu’une ambiance. Il nous plonge, presque violemment, dans ce qu’il nous raconte, il nous immerge dans une narration qui, pourtant, pourrait ne pas être facile à suivre, tant il y a de personnages, de rebondissements, de volte-face.

Pour ce faire, Boucq multiplie les angles de vue, les perspectives, aussi, et cela créé un rythme pictural qui complète et simplifie le touffu du scénario.

Je disais que François Boucq dessine avec force l’horreur… Mais son dessin se révèle aussi, de ci de là, infiniment plus calme… Il est, avec Hermann sans doute, un des rares dessinateurs capables de faire ressentir, dans un dessin, dans une planche, le poids tranquille de l’attente !

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Je disais, en début de chronique, que je n’avais jamais été fan de Jodorowsky. Ou, plutôt, de ses dérives chamaniques, de la plupart de ses scénarios alambiqués. Ici, avec Bouncer, il n’en est rien. Les thèmes qu’il met en scène, pour nombreux qu’ils soient, sont ceux qui continuent, aujourd’hui chez nous comme hier dans l’ouest américain, à revêtir une importance dans laquelle la liberté occupe le premier plan. Liberté d’être, de décider, de vivre et/ou de mourir… Dans cette hécatombe grandiose, on parle de haine, mais aussi d’amitié et d’amour, de trahison, de violence et de justice, de racisme et d’empathie, de guerre et de rédemption.

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Mais tout cela se fait, profondément, selon des codes mélangés, ceux du western et ceux de la tragédie…

Parce, qu’est-ce qui caractérise une tragédie ?

D’abord, il faut sans doute que les sentiments qui y sont présents se fassent exacerbés, de façon à ce que les lecteurs puissent s’y balader en terrain connu. Il faut qu’il y ait des affrontements entre personnes proches les unes des autres. Il faut que la mort joue le rôle central tout en devenant l’ultime sursaut de l’intrigue. Il faut que la famille, au sens large du terme, se déchire. Et puis, il faut qu’il y ait un chœur…

Dans ce Bouncer, il y en a plusieurs, de ces cercles d’observateurs, de commentateurs, qui apparaissent à chaque fois que Bouncer est absent du mouvement de l’histoire racontée… Et qui imposent, le temps d’une intervention, leur regard, leur compréhension, leur incompréhension aussi…

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Livre de souffrance et de sang, livre qui illustre l’inéluctable de toute destinée humaine, livre dans lequel les mots, ciselés, appartiennent totalement au rythme du récit, cette « Hécatombe » tragique est, pour moi, le meilleur volume de cette série par ailleurs exceptionnelle !

Jacques et Josiane Schraûwen

Bouncer : tome 12 – Hécatombe (dessin : François Boucq – scénario : Alejandro Jodorowsky – éditeur : Glénat – octobre 2023 – 140 pages)

Bob de Groot : un scénariste sachant scénariser…

Bob de Groot : un scénariste sachant scénariser…

A 82 ans, Bob de Groot a rejoint le paradis des auteurs de bande dessinée pour qui le public était essentiel…

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Qui donc, parmi les amateurs de bd, n’a pas au moins une fois tenu entre les mains un album signé Bob de Groot ?…. Qui n’a pas, au moins une fois, souri aux aventures des héros déjantés et presque surréalistes qu’il a inventés ? Qui n’a pas, au moins une fois, éprouvé un véritable étonnement devant la facilité que ce scénariste avait à passer de l’humour bon enfant à une forme de réalisme dans le propos qui dépassait le cadre étroit de la bonne pensée ?…

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Je ne vais pas, loin s’en faut, vous faire ici un relevé complet des œuvres qui ont vu son nom au générique de leur succès. Un succès que, à l’instar d’un Cauvin, de Groot revendiquait avec le sourire et des étincelles au coin des yeux.

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Je pense, et j’ai toujours pensé, que l’art, quel qu’il soit, ne peut être que populaire. Je suis persuadé que n’importe quel artiste, ou se croyant tel, n’a finalement qu’un but : qu’on voie ses œuvres, qu’on lise ses textes, qu’on écoute ses musiques… L’hermétisme intellectuel qui, de nos jours, fleurit un peu partout dans les domaines de la culture, renie cette vérité… Renie le fait que, même dans l’univers de la provocation, rien ne peut exister, artistiquement parlant, sans qu’un dialogue s’installe entre un public et un auteur.

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Il est de bon ton, aujourd’hui, de regarder de haut ces auteurs « populaires » !… Que des gens imbus de leur personne (je pourrais un nommer pas mal, croyez-moi… Et j’en ai rencontré…) crachent dans la soupe et oublient l’histoire même du média dont ils usent et abusent pour se faire connaître, c’est dans l’air du temps… Freud et Jung n’ont-ils pas dit qu’il fallait tuer le père pour être soi ?… Avec Blutch, au moins, ce passage devient un véritable hommage !

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J’ai, il y a des années, rencontré Bob de Groot, chez lui… Pas pour parler de bande dessinée, mais, à la demande de Nicole Debarre de la RTBF, pour lui demander ce qu’il pouvait conseiller aux auditeurs comme lecture pour les vacances d’été. C’était un homme charmant, tranquille, souriant, accueillant pour le débutant que j’étais. Un homme dont les scénarios enchantaient des milliers et des milliers de jeunes, grâce à un humour qui, parfois, ressemblait à celui de Tex Avery.

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Grâce à un sens inné du « gag », de cette manière, en une seule page, d’accrocher le lecteur et de le pousser très exactement dans la direction voulue par l’écrivain de bd qu’il était.

Ce talent a fleuri dans bien des séries, parfois sorties de la mémoire de tout un chacun…

Mais Bob de Groot, c’était aussi un talent plus réaliste, parfois… Avec « des femmes et des villes », par exemple… Plus poétique, aussi, avec « Alice au pays des merveilles »…

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Bob de Groot, c’était un artiste, un vrai, un de ces êtres humains qui, sans se prendre au sérieux, connaissent leurs capacités et en font profiter, presque humblement, ceux qui aiment ses sourires.

Un auteur, complet, et merveilleusement populaire…

Jacques et Josiane Schraûwen

Lien vers une chronique consacrée à Robin Dubois : SUIVEZ LE LIEN !

Boule à Zéro : 10. Les Bras Levés

Boule à Zéro : 10. Les Bras Levés

La fin d’une aventure humaine superbement racontée ?… Peut-être… Ou pas…

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C’est le mois dernier qu’est sorti de presse le dixième tome de « Boule à Zéro », une série dont j’ai déjà parlé ici… L’histoire que nous racontent ces dix albums est extrêmement simple… Zita et une adolescente de quatorze ans dans un corps enfantin… Zita est une enfant malade, vivant dans un hôpital, où on s’efforce de soigner son cancer…

Si Zita a comme surnom « boule à zéro », c’est parce que les traitements qu’elle subit l’ont rendue chauve. Et donc, depuis 2012, Ernst au dessin, aidé dans ce dixième volume par Diaz, et Zidrou au scénario nous racontent le quotidien de Zita dans l’étage des enfants gravement malades d’un hôpital comme les autres. Le quotidien, oui, les rencontres, les amitiés qui naissent malgré la présence, dans les lieux comme dans les mots, de la mort…

A l’heure où l’intelligence artificielle, le plaisir de la guerre et l’envol vers d’hypothétiques étoiles prennent le pouvoir sur l’intérêt porté à son voisin, « Boule à Zéro » est une série qui fait du bien… Même lorsque le chagrin se mêle à la lecture. Une série pour laquelle nous avions eu le coup de foudre, dès le premier album, Josiane et moi.

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C’est un thème extrêmement dur…

Merveilleusement sensible, ai-je envie de dire…

Parce que c’est cela qui sous-tend toute cette formidable aventure éditoriale : l’émotion ! Mais une émotion sans mièvrerie, sans facilité… Une émotion pleine d’humour, grâce au dessin de Ernst, souriant, lumineux, et au texte de Zidrou qui parvient, avec un talent fou, à mêler intimement les plaisirs aux chagrins, les larmes aux sourires. C’est un thème dur, oui, mais traité avec tendresse.

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Parce que le quotidien de Zita n’est fait que de cela : ses sourires, sa bonne humeur, son entrain, sa facilité à faire la nique à la mort tout en la connaissant, tout en la respectant, son bonheur à amuser les enfants de son étage, les vieux de l’étage de gérontologie, et les infirmiers et infirmières, son médecin, les aides-soignants, les proches en visite. Faire la nique à la mort, oui… Comme bien des gens atteints par cette maladie dont on nous dit chaque année qu’on en guérit de plus en plus, alors que les chiffres, eux, montrent qu’on en meurt toujours autant !

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Faire la nique à la mort en éclatant de rire. En disant, comme sur la couverture de cet album : i’m back, je suis de retour… De retour dans le monde des vrais vivants, puisque c’est là le thème de ce dixième album, intitulé « Les bras levés »…

Zita semble guérie.

On a essayé sur elle un traitement révolutionnaire, et tous les résultats sont bons… Elle peut sortir… Mieux encore, son corps d’enfant entre, enfin, dans l’adolescence… Ses seins commencent à pousser et elle a ses règles… Elle qui a toujours été souriante pour apprivoiser le bonheur de chaque instant, elle se retrouve libérée, avec des parents qui, séparés, vont sans doute se retrouver.

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Tout ce livre est construit par petites séquences, un peu comme pour nous faire suivre les adieux de Zita à tous ceux qu’elle aime dans cet établissement auquel elle a offert son âme. Avec un merle qui veut rester dans cet hôpital, et dont on dit : « la place d’un oiseau, c’est dans le ciel, pas dans un hôpital ». L’oiseau est dans le ciel, et Zita renaît enfin. Une autre citation de ce livre : « Dans un hôpital, quand ce qui nous y conduit est grave, on arrive en pleurant, on part en faisant pleurer les autres »… Et c’est en vivant, en grandissant au-delà de la maladie que Zita va devoir apprendre à devenir elle-même…

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La fin est joyeuse, comme un rayon de soleil. Une fin qui laisse peut-être bien la porte ouverte à d’autres aventures, dans la vraie, la nouvelle vie de Zita… C’est une série dans laquelle tout le monde peut se reconnaître, c’est une série époustouflante d’observation, d’espoir, de réalisme, aussi… de larmes amères et de sourires souverains… Une série, due à deux auteurs exceptionnels et à un éditeur courageux, dix albums qui se doivent se trouver en bonne place dans toute bibliothèque !

Jacques et JOSIANE Schraûwen

Boule à Zéro : 10. Les Bras Levés (dessin : Ernst et Diaz – scénario : Zidrou – couleurs : Laurent Carpentier – éditeur : Bamboo – mars 2023 – 48 pages)