Proies Faciles – Vautours – Un polar sombre, une Espagne qui n’échappe ni aux corruptions ni aux perversités…

Proies Faciles – Vautours – Un polar sombre, une Espagne qui n’échappe ni aux corruptions ni aux perversités…

La bande dessinée, comme devraient l’être tous les arts, peut aussi s’intéresser de très près à la société qui est nôtre, en faire un portrait lucide. C’est le cas avec cet album puissant et pudique en même temps.

copyright rue de sevres

Dans une grande cité d’Espagne, qui ressemble à toutes les grandes cités du monde, Irina, une jeune fille de 15 ans, est trouvée par ses parents, morte dans son lit. Un suicide ?… C’est ce que pensent les autorités judiciaires. C’est ce que ne pensent pas l’inspectrice Tabares et son adjoint Sotillo.

copyright rue de sevres

Et leur enquête va les mener, et nous mener en leur compagnie, dans un monde de perversion, de pédopornographie, de réseaux organisés, d’échanges de photos, de location d’enfants… Par des adultes, par des proches, mais aussi par des adolescents eux-mêmes ! Et c’est là une réalité horrible qui n’a rien d’imaginaire, et que, par ailleurs, l’écrivaine Lisa Gardner explique parfaitement dans son roman « Arrêtez-moi ».

copyright rue de sevres

C’est une bd sombre… Terriblement sombre, puisqu’elle se plonge dans des réalités qui ne peuvent qu’interpeller l’intelligence humaine, dans ce qu’elle a de non virtuel… Et Miguelanxo Prado nous offre ce récit au quotidien… On suit, avec lui, simplement, une enquête dans ce qu’elle peut avoir de plus routinier, de plus ardu en fonction des compromissions rencontrées. Il nous fait le portrait d’humains, nos semblables, desquels les apparences ne sont plus que tronquées…

copyright rue de sevres

Je le disais, ce récit est terriblement sombre. Jusque dans le dessin, d’ailleurs, formidablement mis en évidence par le papier utilisé pour l’édition de ce livre.

Un dessin aux couleurs puissantes mais aux lumières presque crépusculaires… Cela dit, Prado, évite tout tape-à-l’œil, tout voyeurisme. C’est une tragédie qu’il met en scène, pas du grand spectacle ! Il nous raconte une enquête vécue de l’intérieur, jour après jour, routinière… Un peu comme Ed Mc Bain le faisait avec son inspecteur Carella. Et cela nous permet, lecteurs, de créer des liens avec les personnages croisés… Des personnages désespérants et si peu désespérés, des personnages aigres et pesants… Et s’approcher ainsi au plus près d’eux, en faire la trame réelle et réaliste de son livre, c’est, sans aucun doute, ce que Prado aime…

Miguelanxo Prado

C’est vraiment un album à ne pas rater, dans lequel les vautours humains sont aussi parfois ceux auxquels on ne s’attend pas… Didactique, parfois, quant aux méandres de cette pédopornographie qui pourrit la société dans ses fondements moraux et/ou humanistes… Une société dont on se demande, le livre refermé, si elle est encore viable… Vivable!

copyright rue de sevres

Jacques et Josiane Schraûwen

Proies Faciles – Vautours (auteur : Miguelanxo Prado – éditeur : Rue de Sèvres – janvier 2024 – 84 pages)

Cécile Bertrand: 1953-2024

Cécile Bertrand: 1953-2024

copyright bart van der moeren

Elle fut coloriste, elle fut dessinatrice pour jeune public, elle fut une collaboratrice de la revue 64_page. Elle fut surtout, et depuis des années, une observatrice de la vie qui nous entoure, du monde qui nous enserre. Tout au long de ses dessins de presse, vifs, efficaces, lucides… Intelligents et engagés, toujours, mais sans tape-à-l’oeil inutile!

copyright cécile bertrand

Cécile avait l’humilité du vrai talent… Elle était un regard… Elle ne s’est jamais mise en avant pour le seul plaisir d’un égo inutile… C’était, tout simplement, quelqu’un de bien… De vivant… De souriant…  Quelqu’un dont les engagements étaient ceux de la bienveillance, au long des conseils qu’elle prodiguait au nouveaux venus dans le monde de plus en plus censuré du dessin politiquement incorrect…

copyright cécile bertrand

Jacques Schraûwen

copyright cécile bertrand
ORIGNAL – Une bd pudique et réaliste qui parle du harcèlement scolaire

ORIGNAL – Une bd pudique et réaliste qui parle du harcèlement scolaire

Ce livre est paru une première fois, en noir et blanc, il y a une dizaine d’années, en une époque où on ne parlait pratiquement pas de ce qui était pourtant, déjà, et depuis toujours sans doute, une réalité scolaire : le harcèlement…

copyright casterman

Et les éditions Casterman ont eu la bonne idée de rééditer ce petit livre simple, intelligent, sans tape-à-l’œil, sans mélo, qui, en 2024, parle infiniment plus à tout un chacun. L’histoire se passe au Canada, dans des paysages tantôt citadins, tantôt naturels et sauvages auxquels la couleur de Nicolas Vilet apporte une superbe luminosité.

copyright casterman

Joe, le personnage central, est humilié, battu, volé, harcelé donc par Jason, le petit chef de son école, de sa classe en tout cas…

Max de Radiguès: Joe

Cela va de l’enferment dans une toilette au passage à tabac, du vol de ses affaires à la destruction de ce à quoi il tient. Et dans ce monde des élèves, tout se fait et se vit dans une sorte de silence apeuré… Quant aux adultes, ils ne voient rien, ou ne veulent rien voir, et quand ce n’est pas le cas, quand l’infirmière de l’école, par exemple, comprend parfaitement ce qui arrive, elle préfère, à une intervention adulte, tenter de pousser la victime à réagir… Voilà le canevas de cet album…

copyright casterman

C’est un sujet difficile, délicat, dur même… Un sujet que Max de Radiguès, l’auteur de cet Orignal, traite avec pudeur, même dans une scène qui se révèle sexuellement humiliante. On pourrait presque parler d’une bd observatrice, réalisée comme à distance. Mais il n’en est rien, tant il est vrai que le lecteur ne peut que ressentir l’émotion que l’auteur réussit à tracer en dessins clairs, simples sans jamais être simplistes.

Max de Radiguès: dessin et narration

Une émotion, d’ailleurs, que la fiction du scénario rend tangible puisqu’elle naît d’une situation précise et nauséabonde, mais dans un cadre où des tas de thématiques différentes sont présentes : la littérature, le courage, la lâcheté, les couples gays… C’est en petites touches que de Radiguès fait progresser son récit, faisant de celui-ci, par la magie de son talent de scénariste, un drame sombre…

Un drame dont la fin, d’ailleurs, peut surprendre, étonner, rendre mal à l’aise, également.

Max de Radiguès: fiction…

Mais ce livre est bien un livre de fiction, et tout y participe à ce que le lecteur se sente obligé de dépasser les simples apparences de l’imaginaire pour réfléchir aussi au réel…

copyright casterman

On peut se poser la question du titre de cet album… Que vient faire cet animal dans un récit tristement humain ?

Il est là parce que Joe, dans ses fuites du réel, croise la route de cet Elan américain… Et que c’est lui, symbole d’une nature qui n’a rien d’angélique et qui peut se révéler à la fois bienfaisante et cruelle, c’est cet animal sauvage qui va ponctuer le récit de cet album… Le dessin de Max de Radiguès est souple, rapide, il ne s’encombre pas de détails. Mais, incontestablement, il prend ici toute sa puissance par la grâce de cette nature qu’il nous dessine et se révèle partie prenante du récit, puisque c’est dans cette nature que la vie va pouvoir reprendre le dessus, en quelque sorte…

copyright casterman

Une nature omniprésente, presque palpable, que Max de Radiguès parvient à partager, au sens profond du terme, avec ses lecteurs… Comme un souvenir que le temps n’efface pas !

Max de Radiguès: la nature…

Orignal… Un livre original, intelligent, parfaitement maîtrisé… Et dont la réédition arrive à son heure, avec une couleur qui rythme les ambiances et estompe légèrement le propos… Un livre pour nous aider, peut-être, à ne plus nous aveugler…

Jacques et Josiane Schraûwen

Orignal (auteur : Max de Radiguès – couleur : Nicolas Vilet – éditeur : Casterman – février 2024 – 160 pages)