Deadwood Dick – 1. Noir comme la nuit, Rouge comme le sang

Deadwood Dick – 1. Noir comme la nuit, Rouge comme le sang

Un western respectueux des codes de ce genre, mais s’en écartant pour nous faire découvrir un « Far West » inattendu… Passionnant, et, narrativement, extrêmement bien construit.

Deadwood Dick 1 © Paquet

Pendant le dix-neuvième siècle, le public américain des cités de plus en plus oublieuses de leurs origines « sauvages » se plaisait à se plonger dans les aventures des grands noms de l’histoire quotidienne des Etats-Unis, de l’Histoire de ce qu’on a appelé la conquête de l’ouest. Des écrivains, ainsi, ont recueilli les confidences d’acteurs de cette histoire pour en faire des petits livres, souvent à suivre, qui faisaient de ces Buffalo Bill ou Wild Bill Hickok des héros… Mélanges de réalité et d’imaginaire débridé, ces livres ont nourri la culture américaine et, ma foi, la nourrissent encore.

Deadwood Dick appartient à cette iconographie américaine.

De sont vrai nom Nat Love, cet Afro-américain a vécu de 1854 à 1921, dans une époque qui avait certes supprimé l’esclavage, mais pas la réalité de la domination raciale.

Deadwood Dick 1 © Paquet

Et c’est donc lui, à partir des petits livres écrits à son sujet, qui est le héros de cette série en noir et blanc particulièrement aboutie.

Deadwood Dick, fils d’esclaves, ose regarder une femme blanche… Dans une Amérique qui, malgré la guerre de sécession, n’a aucune envie de voir les Afro-Américains devenir les égaux des bons Blancs, c’est un crime. Et dès lors, il est obligé de s’enfuir pour éviter la corde.

Pendant sa fuite, il fait la rencontre d’un homme à la peau identique à la sienne, ancien majordome pour des maîtres blancs envers lesquels il ne conserve que du respect. Entre eux va naître une étrange amitié… Une amitié qui va les amener à s’engager à l’armée, dans un régiment uniquement composé d’hommes comme eux, des Noirs, un régiment dirigé par un Blanc, certes, mais qui fait preuve d’un incontestable regard humaniste et intelligent sur les soldats qu’il dirige.

Deadwood Dick 1 © Paquet

A tout cela va se mêler une confrontation sanglante, violente, avec des Indiens. Une sorte de confrontation mortelle entre trois peuples différents !

Je disais que les codes du western sont respectés. Mais sans manichéisme. Il s’agit bien plus d’un regard posé sur une époque historique précise que d’un jugement a posteriori sur cette époque et ses horreurs, et ses stéréotypes, et ses injustices.

La construction narrative de Michel Masiero est d’une belle efficacité, même si elle s’amuse à mélanger les époques. Deadwood Dick s’adresse directement à ses lecteurs, un peu dans la veine des romans noirs à l’américaine, ceux de Chandler entre autres. Et c’est au travers de ses discours, de ses dialogues, qu’on peut trouver des réflexions qui ont l’heur d’éveiller des échos très contemporains. Comme cette citation : « L’esclavage a été aboli quand j’avais trois ans. Mon père disait qu’on était pauvres et qu’on avait un maître… On est devenus pauvres et libres, peut-être même plus pauvres qu’avant ! ».

Deadwood Dick 1 © Paquet

Michel Masiero donne vie, totalement, aux personnages créés par l’écrivain Joe R. Lansdale, par ailleurs interviewé en fin de livre.

Et le dessin de Corrado Mastantuono, lui, donne existence et chair à tout le récit, à tous les personnages croisés. Il y a dans son trait infiniment de mouvement, il y a dans ses mises en scène quelque chose de profondément cinématographique, il y a dans son approche graphique des décors quelque chose, par contre, de vraiment photographique… Et comment ne pas admirer son traitement du noir et du blanc, des contrastes, du clair-obscur, de l’utilisation de l’ombre et de la lumière pour donner plus de relief à la personnalité de Deadwood Dick ?

Deadwood Dick 1 © Paquet

Un très bon premier volume d’une série qui réussit à la fois à nous restituer une ambiance quelque peu désuète et une réalité qui, elle, n’a rien de nostalgique ou de mélancolique, loin s’en faut !

Jacques Schraûwen

Deadwood Dick – 1. Noir comme la nuit, Rouge comme le sang (dessin : Corrado Mastantuono – scénario : Michel Masiero d’après Joe R. Lansdale – éditeur : Paquet – 143 pages – février 2021

Léonard – 52. Vacances De Génie

Léonard – 52. Vacances De Génie

Un génie et son disciple pensent aux vacances, avec folie, bien entendu ! Avec, aussi, des échos à nos propres quotidiens !

Voilà 46 ans que Turk, en compagnie de son compère Bob De Groot, s’ingénie (jeu de mot…) à faire de Léonard De Vinci un personnage hors du commun, certes, hors du temps, aussi, hors de tout contrôle, surtout !

Léonard 52 © Le Lombard

Voilà 46 printemps que ce vieillard à barbe blanche et à jeunesse omniprésente martyrise avec entrain son disciple-assistant-esclave en l’obligeant à tester toutes ses inventions, toujours inabouties bien évidemment !

Depuis ses débuts, cette série s’aventure à la fois dans l’humour absurde et dans le comique de situation, dans la tradition des gags répétitifs et celle des sourires « bon enfant ».

Léonard 52 © Le Lombard

Zidrou, qui a pris la place de De Groot au scénario, se veut fidèle à l’esprit quelque peu caustique mais gentil de cette série bd. Cela dit, Zidrou reste et restera toujours, même dans ses scénarios les plus convenus, celui qui aime donner un coup de pied dans les habitudes. Et, sous sa houlette, Léonard nous parle plus qu’avant de notre monde, de ses dérives, de ses absurdités, de ses modes, de ses espérances même. Zidrou a ainsi accentué la possibilité d’avoir plusieurs niveaux de lecture différents. Ce qui rend cet album, par exemple, lisible et souriant autant pour les mômes que pour leurs parents ! Pour les enfants, il y a cette « brutalité » surréaliste (et jouissive) qui fait que Basile, le disciple, se fait trucider de toutes les manières possibles et imaginables sans jamais mourir. Un peu comme le Coyote face à Bip Bip… Un humour finalement politiquement incorrect qui fait du bien !

Léonard 52 © Le Lombard

Pour les « grands », il y a des clins d’œil évidents, comme la visite de Basile dans notre vingt-et-unième siècle, aux côtés de Ric Hochet (autre série scénarisée par Zidrou). Mais il y a aussi la création de nouveaux matériaux de construction, il y a des hologrammes, de la robotique, les dangers de l’exposition au soleil, la trottinette électrique et les voyages dans l’espace.

Et Turk s’en donne à cœur joie, avec son dessin efficace et classique, pour donner vie aux inventions de Léonard et de Zidrou !

Léonard 52 © Le Lombard

Mais tout cela est traité d’abord et avant tout au travers du prisme de l’humour, débridé, totalement irréaliste, et, de ce fait, toujours désarmant !

Léonard : une série sympa, des albums vite lus, un héros de papier qui continue son petit bonhomme de chemin, sans heurts, et avec une qualité constante.

Jacques Schraûwen

Léonard – 52. Vacances De Génie (dessin : Turk – scénario : Zidrou – éditeur : Le Lombard – 46 pages – juin 2021)

Idéfix et les Irréductibles – Pas de quartier pour le latin !

Idéfix et les Irréductibles – Pas de quartier pour le latin !

Et j’ai envie de dire : un beau dessin pour pas grand-chose !

Trois petites histoires font tout le contenu de ce petit livre pas cher, souple, tranquille.

Trois petites histoires qui mettent en scène, à Lutèce, Idéfix et quelques animaux opposés au pouvoir absolu de Rome. Il y a un molosse, une chienne toujours distraite, une chatte réfléchie, un hibou qui se prend pour un druide, et un pigeon continuellement affamé. Il y a aussi, bien sûr, des méchants : les chiens policiers aux ordres des Romains et d’une chatte qui ne rêve que de retourner à Rome avec son maître.

© éditions Albert René

Les dessins, je le disais, sont d’une exemplaire fidélité à ceux d’Uderzo. J. Bastide et P. Fenech connaissent leur boulot et, usant d’un découpage tout ce qu’il y a de classique, donnent vie et mouvement à leurs personnages, à tous leurs personnages.

Les scénarios, dus à M. Choquet, Y. Coulon et J. Erbin, sont classiques, eux aussi. Ils se veulent humoristiques, le sont parfois, mais, le plus souvent, tombent quelque peu à plat. Il y a chez ces scénaristes la volonté, sans doute, de ne pas trahir l’œuvre originelle… Mais cette volonté, très vite, rend mièvre le contenu de ces historiettes, mièvre, oui, et, pire, convenu !

© éditions Albert René

Cet album est donc une curiosité que les collectionneurs et fans d’Astérix apprécieront, à mon avis, moyennement. En se demandant, entre autres, pourquoi Idéfix se retrouve à Lutèce, et y croise même Abraracourcix et sa tendre épouse !

Pour les autres, ce livre me semble assez superflu, et répond surtout à des besoins éditoriaux mercantiles !

Jacques Schraûwen

Idéfix et les Irréductibles – Pas de quartier pour le latin ! (dessin : J. Bastide et P. Fenech – scénario : M. Choquet, Y. Coulon et J. Erbin – éditeur : Editions Albert René – 68 pages – juin 2021)

© éditions Albert René