Dieu N’Habite Pas La Havane

Dieu N’Habite Pas La Havane

Une histoire d’amour, de musique, et de vie

Entre le non-dit et l’aveu, un livre qui se lit comme s’écoute une rumba. Sans penser à autre chose qu’au rythme des mots, des dessins, des pas que franchissent les protagonistes de ce récit !

Nous sommes dans les années 50, sans doute. En attestent les décors, les dialogues aussi, et la présence, discrète, dans une des pages de l’album, du Commandante Fidel Castro.

Dieu N’Habite Pas La Havane © Michel Lafon

La Buena Vista est un lieu de rendez-vous pour tous les amateurs de musique cubaine, et y règne le chanteur Don Fuego, un musicien au charisme incontestable, une sorte d’incarnation de l’immortalité de l’âme cubaine.

Mais voilà, même si l’idéologie communiste est omniprésente, même si tous les rouages de la société cubaine, et à La Havane encore plu qu’ailleurs, sont dirigés, noyautés par le Parti, le monde change… Et ce club va changer de propriétaire. Il va cesser d’être le temple athée de la musique des corps pour devenir un endroit bien propre ouvert à des touristes tout aussi propres et peu intéressés par une musique qu’ils ne connaissent pas.

Dieu N’Habite Pas La Havane © Michel Lafon

Don Fuego tombe brutalement de son piédestal. A cinquante ans, sa vie s’écroule, ses certitudes et ses bonheurs disparaissent. Ses rêves aussi…

Divorcé, il traîne dans la ville son ballant, comme le chantait Bécaud, à la recherche de sa gloire passée… En nostalgie, plutôt, celle de ses jeunesses enfuies, de son fils qui veut émigrer vers les Etats-Unis, de sa fille Isabel qu’il n’a pas vu grandir. Il vit chez sa sœur, en bonne entente avec une smala heureuse de vivre.

Petit à petit, il va retrouver le chemin du succès… De petite salle enfumée en petite salle enfumée, il va accepter d’avoir vieilli, il va accepter de retrouver lentement, sans se presser, les sensations qui étaient les siennes lorsqu’il mettait le feu au Buena Vista.

Dieu N’Habite Pas La Havane © Michel Lafon

Don Fuego renaît… Grâce à la musique, mais grâce aussi à une jeune femme mystérieuse qu’il a rencontrée, dont il tombe amoureux, qu’il séduit malgré sa peur et sa méfiance de femme vis-à-vis de tous les hommes.

Ces deux amours, celui d’une femme qu’il apprivoise et de la musique qui le réapprivoise, se mêlent pour redonner à Juan le goût de vivre, le plaisir de chanter et d’être écouté, de redevenir vraiment l’homme qui met le feu en montant sur scène !

Mais tout cela se vit dans une ambiance très particulière, puisqu’un tueur en série sévit sur la plage…

Ne croyez pas pour autant que cette chronique cubaine se fasse pour autant polar…

La scénariste, Véronique Grisseaux, a choisi, en adaptant le roman de Yasmina Khadra, le chemin d’une narration tranquille… D’une errance humaine, en quelque sorte, d’une ballade presque poétique dans une ville et un pays écrasés avec bonheur par un soleil amical.

Dieu N’Habite Pas La Havane © Michel Lafon

Tout le récit est centré sur Juan, le chanteur. Il se définit par ses mots, par ses rencontres, par les gens qui l’entourent aussi : sa sœur, sa famille, son fils, sa fille, un vieux musicien. Mais il reste, dans ce monde, solitaire, jusqu’à l’arrivée de cette femme étrange. Et même avec elle, même au travers de la place qu’elle prend dans son existence, Juan va rester fondamentalement, foncièrement solitaire.

Le scénario est lent, tranquille, mélancolique, il est le portrait d’un homme perdu et vivant dans une ville, il est la trame sereinement rythmée d’une musique qu’on entend de loin sans l’écouter…

Pour réussir à rendre tout cela, graphiquement, il fallait un dessinateur qui puisse, lui aussi, s’effacer derrière son sujet, laisser le dessin créer lui-même une ambiance, des sensations, des sentiments, une mélodie…

Arnaud Floc’h y parvient sans coups d’éclat, avec une sorte d’évidence sans tape-à-l’œil. Avec l’aide essentielle de Christophe Bouchard, le colorise…

Son style est souple, lumineux, il aime ne montrer que très peu les visages en gros plans, préférant les enfouir au quotidien de La Havane, les perdre dans des décors et des paysages, parfois à peine esquissés, parfois vraiment fouillés, un environnement qui, tout compte fait, est le vrai personnage central de ce livre.

Dieu N’Habite Pas La Havane © Michel Lafon

Mais la vraie histoire reste, même si elle est entre guillemets, une histoire d’amour. Un amour impossible, bien évidemment, un amour qui, pourtant, et au-delà de la violence et de la mort, s’ouvre sur la vie, la vraie, celle qui se nourrit de non-dits pour mieux fermer la porte aux passés et à leurs clairs obscurs.

Dieu n’habite peut-être pas La Havane. Mais « si l’existence n’était qu’un chant d’été, personne ne saurait combien la neige est belle en hiver » ! Telle est l’ultime phrase de ce livre, comme l’ultime ponctuation d’une mélodie dans laquelle la mélancolie et le bonheur de vivre se mêlent sans cesse…

Jacques Schraûwen

Dieu N’Habite Pas La Havane (dessin : Arnaud Floc’h – scénario : Véronique Grisseaux, d’près le roman de Yasmina Khadra – couleurs : Christophe Bouchard – éditeur : Michel Lafon – 102 pages – janvier 2021)

Sous Terre

Sous Terre

Science et Fiction !

La bande dessinée, de nos jours, aime s’ouvrir à des horizons très variés. C’est le cas avec ce livre de Mathieu Burniat qui, sans moralisme, nous parle d’écologie.

Sous Terre © Dargaud

Un peu de science au rendez-vous de la bande dessinée, au travers d’une bd étonnante de Mathieu Burniat. Cet auteur belge aime nous emmener dans des histoires qui nous parlent à la foi de science et d’aventure… Il nous a déjà ainsi parlé de théorie quantique, de la mémoire et de ses apprentissages, mais dans des vraies aventures humaines ! C’est une démarche identique qui est présente dans cet album-ci. Au-delà d’une fiction évidente, Burniat nous parle d’enjeux essentiellement humains. Et c’est cette dualité du propos qui rend ce livre réellement passionnant.

Mathieu Burniat : le scénario
Sous Terre © Dargaud

Hadès, dieu des enfers, veut passer la main, il veut prendre du bon temps et se cherche un remplaçant. Il passe une petite annonce qui recueille quelques centaines de réponses. Commence alors un concours au bout duquel un seul candidat pourra devenir dieu des enfers et de toutes ses richesses ! Pour cela, cinq épreuves sont à réaliser dans un univers qui se trouve dans les deux mètres de terre qui existent sous nos pieds…

Mathieu Burniat : le sol

Et donc, aujourd’hui, c’est du sol qu’il nous parle, mais à taille d’homme en quelque sorte.

Il s’agit d’une vulgarisation scientifique donc, mais d’une fiction, d’abord et avant tout… Une fiction pleine de symboles, construite comme une fable, peuplée d’allégories, aussi.

Sous Terre © Dargaud

Les candidats ne mesurent que quelques millimètres et vont devoir recueillir cinq éléments : la matière organique, la matière minérale, le milieu aqueux, l’atmosphère et, le tout ensemble, la vie, tout simplement. Cela ressemble à un « trivial pursuit » en live, mais la lutte va être sévère, mortelle pour tout le monde, sauf pour la gagnante, Suzanne, qui va se révéler d’une tout autre trempe que le vieil Hadès !

Mathieu Burniat : bd et vulgarisation scientifique

Le récit est passionnant, plein de rebondissements, de vulgarisation scientifique pointue et ludique en même temps. Entre les vers, les champignons et les bactéries, Mathieu Burniat fait du sol un terrain de jeu inattendu ! Pour lui comme pour ses lecteurs… Et, ce faisant, il nous parle aussi, surtout peut-être, et plus loin qu’un simple message écologique, de valeurs que l’humanité devrait retrouver, comme la symbiose, l’échange, la culture de la différence, l’union des faiblesses qui peuvent se révéler des forces neuves.

Mathieu Burniat : la symbiose…

C’est une bande dessinée très particulière… Ecologiste dans le sens scientifique du terme, sans pédanterie. On s’amuse, on apprend à connaître notre monde pour ne plus en avoir peur, pour mieux s’en faire un allié. Un excellent livre, jamais moralisateur, pour tous les âges, sans aucun doute !

Sous Terre © Dargaud

Un livre dans lequel l’humour ne manque pas. Dès le départ, d’ailleurs, le personnage central choisi pour donner des conseils de vie à l’humanité, c’est le dieu des enfers… Comme pour nous dire, le sourire aux lèvres, qu’entre l’enfer et le paradis la frontière est bien floue !

Mathieu Burniat : Hadès, dieu des enfers

La science reste cependant bien présente, avec, en fin d’album, quelques pages pour nous montrer ce qu’est, d’une manière presque didactique, de nos jours, l’agriculture, ce qu’elle pourrait aussi devenir si nous, humains, nous acceptions de faire de la nature une compagne à respecter… C’est d’harmonie, en fait, que nous parle Burniat tout au long de ce livre…

Jacques Schraûwen

Sous Terre (auteur : Mathieu Burniat – conseiller scientifique : Marc-André Selosse – éditeur : Dargaud – 175 pages – mars 2021)

Sous Terre © Dargaud
United Comics of Belgium

United Comics of Belgium

Une exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée à Bruxelles

Depuis plus d’un an, la culture est en souffrance. L’édition, il est vrai, ne s’en est pas trop mal sorti. Et la bande dessinée reste un des fleurons de l’édition.

United Comics of Belgium © Centre Belge de la bande dessinée

Mais il est tout aussi vrai que bien des projets BD ont été annulés, ou reportés, que bien des jeunes auteurs n’ont pas pu émerger. C’est pourquoi Je pense important de vous parler d’une exposition qui met en évidence une année de bande dessinée en Belgique… Une exposition qui montre la vitalité de la BD chez nous, au nord comme au sud, à vingt ans comme à 60 et plus !

United Comics of Belgium © Centre Belge de la bande dessinée

Cette exposition qui a lieu jusqu’en septembre prochain au centre belge de la bande dessinée, à Bruxelles, ne manque ainsi ni d’intérêt ni d’originalité.

D’abord parce que le CBBD, sous l’égide de sa directrice, Isabelle Debekker, s’ouvre aussi, désormais, plus activement à la bd belge contemporaine, sous toutes ses formes. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une belle collaboration entre le CBBD et deux associations d’auteurs. Enfin, parce que l’initiative de Thierry Van Hasselt et Bernard Yslaire débouche sur une exposition sans tape-à-l’œil, mis en scène avec galent par Mélanie Andrieu.

United Comics of Belgium © Centre Belge de la bande dessinée

Cela s’appelle « United Comics of Belgium ». Et on y retrouve 27 auteurs, côté à côte, face à face, qui, tous, ont publié en 2020. Des auteurs reconnus, et d’autres venus de la bande dessinée alternative, comme on dit. Et leurs œuvres, aux cimaises du CBBD, entament une sorte de dialogue qui, en fait, se révèle devenir un instantané de ce qu’est la culture du neuvième art dans notre petit pays.

Isabelle Dedekker

27 auteurs… Comment ont-ils été choisis ?

Une carte blanche a été remise à neuf auteurs qui sont ainsi devenus co-commissaires de l’exposition. Chacun d’entre eux présente ses créations récentes et invite un auteur qu’il considère comme important. Et, en outre, neuf autres artistes ont été choisis collégialement. De Johann De Moor à Olivier Grenson, de Marc Hardy à Mobidic, de Léonie Bischoff à Judith Vanistendaele, entre autres, c’est vraiment un panorama de la bd belge actuelle qui nous est présenté… Flamande comme francophone, il faut le souligner !

United Comics of Belgium © Centre Belge de la bande dessinée

Comme dans toute exposition de groupe, tout est toujours affaire de goût… Je trouve intéressant d’y voir la place qu’occupe la bande dessinée non traditionnelle, celle que l’on dit alternative, même si mes attirances personnelles ne sont pas celles-là… Mais j’ai vraiment aimé redécouvrir Jean-Claire Lacroix, classique dans son approche de la narration, juste à côté de l’Anversoise Ephameron et son travail sur la démence. J’ai adoré voir face à face Hermann, le plus extraordinaire des dessinateurs réalistes, et Exaheva, un jeune auteur qui aime la bd expérimentale, numérique et interactive…

United Comics of Belgium © Centre Belge de la bande dessinée

Je peux aussi citer Benoît Féroumont et Max de Radiguès, Léonie Bischoff et ses dessins orginaux du livre exceptionnel qu’elle a consacré à Anaïs Nin…

Dans une exposition de ce genre, on ne peut pas tout apprécier, c’est certain… Mais ce que ne pourront qu’apprécier les visiteurs, c’est ce large éventail de créations graphiques qui nous prouve que la bande dessinée est, véritablement un art majeur, aux horizons extrêmement variés ! Une exposition à découvrir par tous les amoureux et les curieux de bande dessinée !

Jacques Schraûwen

United Comics of Belgium, une exposition à voir au Centre Belge de la bande dessinée à Bruxelles jusqu’au 26 septembre 2021

https://www.cbbd.be/fr/accueil

United Comics of Belgium © Centre Belge de la bande dessinée