Les Petits Métiers Méconnus – Du soleil au coeur

Les Petits Métiers Méconnus – Du soleil au coeur

Septembre… La fin des vacances, le retour au boulot, le ciel qui se grisaille, la pluie qui pleure aux carreaux, l’automne qui n’a pas encore ses chatoiements infinis… Le temps, pourquoi pas, de rêver à l’improbable, et de le découvrir possible !

copyright dupuis

Vincent Zabus est de ces scénaristes pour lesquels la vie, celle qu’il regarde autant que celle qu’il vit sans doute, fourmille de folies à peine cachées parfois, totalement tues d’autres fois, frémissantes, calfeutrées, hurlantes… De ces petites folies quotidiennes qui font que l’ennui, le temps d’un regard, le temps d’un sourire, s’efface ! Et comme Vincent Zabus est pétri à la fois de poésie et de talent, de douceur et d’amour, avec un a souvent majuscule, il nous les offre dans ces livres, ces moments hors de l’instant, ces instants minusculement éternisés, ces rêveries qui font croire que le monde, finalement, pourrait être meilleur que ce qu’il est.

copyright dupuis

Et c’est donc en regardant ce monde qui l’entoure que Vincent Zabus a imaginé seize métiers qui pourraient embellir le quotidien… Des métiers qui n’existent pas ?… Eh, qui sait ! Avec Zabus, avec la bande dessinée, avec le théâtre de l’existence de rue en rue, tout est toujours possible ! Et comme Zabus est également très partageur, il a offert ses rêves et ses imaginaires à quinze dessinateurs. Quinze artistes qui, avec une évidente amitié, ont prolongé de leurs graphismes variés les essentielles dérives poétiques d’un écrivain serein, tranquille, toujours rieur… et pensif !

copyright dupuis

Je n’aime pas, je l’ai déjà dit, la littérature « positive » qui se mêle, de nos jours, à celle des faits divers les plus sordides… La positive attitude me semble tout aussi dangereuse pour l’intelligence humaine que la multiplication des meurtres racontés avec tous les détails ! Ce sont deux pôles, je pense, d’une seule réalité : l’être humain s’ennuie comme un rat déjà en train de mourir ! Cela dit, dans ce livre des petits métiers méconnus, je ne vois rien de fabriqué dans la description de pensables (ou impensables) bonheurs. Zabus nous offre, et le terme est bien choisi, quelques fables sans morale… Des fables qui auraient pu, en d’autres temps moins vénaux, tempérer les égocentrismes pompeux de quelques philosophes autoproclamés…

copyright dupuis

Non, Pour Zabus et ses complices, ce livre est une caresse offerte aux quotidiens qui sont nôtres… Pourquoi donc n’existe-t-il pas, ce marieur d’ombres qui, sur la couverture, serait capable de faire se rejoindre quelques solitudes ? Pourquoi ne trouve-t-on pas, sur nos marchés publics, ce vendeur de gros mots qui parvient à leur redonner leur importance de sourire comme de révolte ? Pourquoi n’existe-t-il pas, ce réparateur de miroir qui, en changeant un reflet, change la vie ? Pourquoi ne rencontre-t-on pas ce raconteur de rue qui trouve en lui les mots qui remplacent chez un ami aveugle les images qu’il n’a plus ? Pourquoi ne crée-t-on pas un musée des anonymes, dans lequel mille et un objets racontent en silence mille-et-une existences inconnues, donc méconnues ?

copyright dupuis

Cet album est un livre charmant, dans sa première signification : il charme, il poétise le présent sans besoin de rimes, il offre du rêve qu’il ne tient, peut-être, qu’au lecteur de réaliser ! Zabus est un magicien… Et si je ne vais pas citer tous ses assistants qui, je le devine, ont chacun apporté sa présence et son originalité à la construction de ce livre, je ne peux que souligner l’essentiel de leur art ux côtés de Zabus, et cela se sent… D’Hippolyte à Campi, de Maurel à Durieux, d’Alfred à Berberian, de Efa à Clérisse, ce livre se fait aussi, tranquillement, une ode à la bande dessinée dans tous ses états, dans tous ses genres, dans toutes ses approches artistiques…

copyright dupuis

Le temps d’une lecture, profitez de la chance de penser que des métiers méconnus se vivent tout près de vous, et qu’il ne tient qu’à ouvrir les yeux pour les apercevoir après les avoir devinés… Oubliez tous les gris du ciel comme de l’âme, du souvenir comme de la peur du lendemain, et devenez, à votre tour, les complices de ce scénariste qui occupe, dans les méandres du neuvième art, une place à part, une place, donc, à mettre absolument en évidence… Dans votre bibliothèque, par exemple…

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Petits Métiers Méconnus (scénario : Vincent Zabus – dessin : 15 auteurs – éditeur : Dupuis – 124 pages)

Musée – Les regards de Chabouté dans le Musée d’Orsay

Musée – Les regards de Chabouté dans le Musée d’Orsay

Je sacrifie encore aujourd’hui, ici, à mon plaisir de réveiller des œuvres parues il y a déjà quelque temps. Pourquoi ?… Parce que j’ai la certitude qu’un livre peut mériter bien plus que l’intérêt d’une seule saison littéraire ! Surtout quand ce livre est l’œuvre d’un artiste exceptionnel !

copyright vents d’ouest

Et Chabouté est un auteur essentiel dans l’univers du neuvième art, il est, je pense, un des meilleurs dessinateurs de sa génération, probablement même le meilleur. D’autres que moi (et je pense à Thierry Bellefroid) l’ont déjà dit, d’autres que moi ont mis depuis des années en évidence son sens de la lumière, son travail de conteur en images, la puissance de ses contrastes entre noir et blanc. Je voudrais, moi, simplement, parler de son regard… De SES regards pluriels sur le monde qui l’entoure sans jamais l’enfermer.

copyright vents d’ouest

De nos jours, on voit bien plus qu’on regarde… Cartier-Bresson (je crois que c’est lui) disait que la technique photographique n’était là qu’en petit complément de l’œil du photographe, seul capable de saisir un instant et de l’immortaliser. Dans l’art de Chabouté, on se situe dans la même démarche, sur le même chemin. Quels que soient les thèmes qu’il a abordés pendant sa carrière, même avec Landru ou Moby Dick, ce sont les détails des existences dessinées qu’il aime mettre en évidence, même et souvent sans insister. Chabouté ne prend pas ses lecteurs par la main, il les agrippe par les yeux… Il en fait, ainsi, les complices de sa propre vision.

copyright vents d’ouest

De la même manière, Chabouté n’aime les mots que lorsqu’ils servent à dire ce que sont ceux qui les prononcent. C’est la raison pour laquelle les dialogues sont extrêmement rares dans ses livres. Ils ne ponctuent ni n’expliquent rien, ils sont là, toujours, parce que vivre, c’est aussi communiquer, même pour ne le faire qu’au travers de phrases toutes faites, de ces phrases de pauvres gens, en quelque sorte, dont Ferré parle dans sa chanson « Avec le temps ».

copyright vents d’ouest

N’est-ce pas, d’ailleurs, la véritable trame de l’œuvre de Chabouté que de nous raconter le temps qui passe ? De le faire en dessins, en noirs et blancs puissants, en pages/planches qui laissent le silence s’installer entre les cases, en découpages qui, pour mathématiques qu’ils puissent avoir l’air, construisent une géométrie improbable de la poésie ?… Et c’est cette poésie, celle du quotidien, mais également celle de l’Art avec un A majuscule, qui se déroule dans cet album-ci…

copyright vents d’ouest

Un album qui nous emmène dans un des musées français les plus importants, celui d’Orsay. Un lieu dont les architectures créent sans cesse des perspectives changeantes. Des visiteurs s’y baladent, curieux ou simples badauds, intéressés ou supportant tant bien que mal leur ennui. Ces visiteurs, hommes, femmes, enfants, guides, surveillants même, s’arrêtent pour s’approcher plus près d’une toile, d’une sculpture. Ce sont, dès lors, leurs regards que Chabouté nous montre, des regards qui, étrangement, nous regardent nous-mêmes comme si nous étions, lecteurs, le tableau qu’il admirent, ou pas, qu’ils aiment, ou pas. Et à travers ces regards, à travers aussi les bribes de conversations que Chabouté retranscrit au hasard du temps qui passe, c’est une image de notre société qui nous est offerte, une image qui n’a rien d’extraordinaire, rien d’ordinaire non plus, une image comme un puzzle à éternellement recommencer.

copyright vents d’ouest

Il y a l’intellectuel qui parle de l’eurythmie de la pluralité chromatique, il y a cette dame qui parle de calme et de sérénité, il  a ces deux ménagères qui, devant une toile de Manet, parlent de leur manière de cuire les asperges, il y a une petite fille qui raconte les tableaux à son grand-père aveugle, et puis il y a des dizaines de regards qui s’approchent de très près de nous, donc d’un tableau qu’ils sont seuls à voir, et dans ces regards-là, tout se dessine entre le sourire, la tendresse, l’admiration, le dégoût, la fuite, face à un tableau qu’on finira, vous et moi, par découvrir aussi…

copyright vents d’ouest

Et puis, il y a la nuit dans le musée… Les statues qui prennent vie, se croisent, nouent des relations, il y a les tableaux, les « plats » qui ne peuvent bouger que si les sculptures les aident à le faire, mais qui parlent entre eux… Ils parlent de tous ces gens qu’ils ont vu passer, presque défiler, au long de la journée. Une femme peinte regarde par la fenêtre, chaque soir, un homme dans la rue promener son chien… Elle le regarde, et c’est à travers ce passant et son animal de compagnie qu’on ressent la fuite des jours, la fuite des heures, la fuite de toute existence… Je ne sais pas si c’est voulu, mais cette silhouette tenant son chien en laisse, et l’accompagnant jusqu’à ses derniers moments, m’a fait penser à un autre dessinateur de bande dessinée, génial lui aussi… Peut-être s’agit-il, pour Chabouté, de faire un clin d’œil à Schuiten, je ne sais pas, mais ce personnage se révèle être le pivot entre la magie de la nuit qui rend l’art réellement vivant, et la grisaille de la journée et de ses longues habitudes, seules capable d’engendrer l’Amour, l’émotion, au-delà de toutes les apparences.

copyright vents d’ouest

Je suis incapable de définir ce qu’est la poésie… Une manière, peut-être, de dénuder toutes les émotions de l’âme… Mais ce dont je suis certain, c’est que ce « Musée » est une ode poétique et presque immobile, même si elle est habitée par des mouvements sans fin, une ode à la vie qui se fait existence, parfois, de manière voulue ou impromptue. Ce livre date d’il y a deux ans, je sais… Mais il est un de ces vrais chefs d’œuvre qui font de la bande dessinée un art que l’on dit neuvième, et qui se nourrit de tous les autres…

Jacques et Josiane Schraûwen

Musée (auteur : Chabouté – éditeur : Vents D’Ouest – avril 2023 – 190 pages)

Attila (Les maîtres de guerre)

Attila (Les maîtres de guerre)

Les bandes dessinées « historiques » soufflent souvent, dans le monde du neuvième art, le chaud et le froid… Certains scénaristes, même à la mode, font parfois du n’importe quoi ! Avec cet album-ci, il n’en est rien…

copyright delcourt

Non, je ne citerai pas ces scénaristes qui, avec l’alibi de la liberté de l’imagination, oublient la vérité historique élémentaire ! Mais il y en a, croyez-moi!… Et ce n’est pas le cas avec « Attila ». Mais n’allez cependant pas croire qu’on se trouve en présence d’un livre lourd, intello, fouillé, barbant en un mot ! (oui, il y a aussi des albums de ce genre en bd, tristement…) Jean-Pierre Pécau, le scénariste, fut prof d’histoire… Il fut aussi actif dans les jeux de rôle, dans les bd d’héroïc fantasy. Et avec ce livre-ci, il nous offre un récit à la fois fidèle à la grande histoire et puissamment « aventurier » dans son élaboration.

copyright delcourt

Vous l’aurez compris, ce livre n’est pas une longue fresque biographique. Certes, on y raconte une partie de la vie d’Attila entre sa prise de pouvoir sur les Huns et leurs alliés, et sa mort sans doute assassiné et trahi… Et ce récit, concis, avec des raccourcis qui permettent de resserrer l’histoire sur son aspect visuel, guerrier, violent, spectaculaire, ce récit ne trahit rien de l’Histoire avec un H majuscule. Il nous montre ainsi une époque historique précise, celle de la décadence des deux empires romains, le byzantin et l’italien, celle, également, d’une forme de combat pratiquement idéologique, même inconsciemment, entre les peuples nomades et la civilisation sédentaire s’étendant au détriment des cultures plus dénaturées qu’assimilées…

copyright delcourt

Dans la lignée des grandes bd historiques de ces dernières années (Murena, par exemple), ce « Attila », un one-shot lui, allie scénaristiquement parlant le sérieux de l’approche globale du récit et une passion presque cinématographique de la visualisation de ce récit. Dragan Paunovic a, graphiquement, un sens de la démesure absolument époustouflant… L’Histoire est d’une violence et d’une barbarie extrêmes, et le dessin de Paunovic ne cherche pas à estomper ces réalités quotidiennes d’une époque qu’il est grand temps, sans doute, d’arrêter de « magnifier » ! Je me dois de souligner l’apport tout aussi brutal et violent de la couleur, apport dû à Bertrand Denoulet, qui ne cherche nullement à cacher les horreurs de la guerre, des tueries, des luttes pour d’imbéciles pouvoirs… Là où les dessins passent des grandes scènes épiques à des cadrages plus intimes, la couleur de Denoulet reste, de par ses rouges puissants, rouge-sang, rouges ardents, le lien presque narratif de l’album…

copyright delcourt

Je dois souligner aussi le petit dossier historique qui clôture l’album et permet encore mieux de comprendre cette époque lointaine qui ne fut, pour la plupart d’entre nous, que petite matière scolaire.

Ce livre est une fresque rapide, vive, puissante… L’image de ce que la guerre a toujours eu de répugnant. Attila fut maître de guerre, sans aucun doute… D’autres que lui ont, dans ce domaine, une sorte de sanctification qui fait oublier qu’ils ont été les auteurs de tueries absolument répugnantes (oui, je pense à Napoléon, entre autres).

copyright delcourt

Et j’aime cet album-ci, parce qu’il montre, simplement, sans fioritures, mais avec un vrai talent à la fois de conteur et de dessinateur, la réalité, au-delà de toutes les politiques toujours innommables, de ce qu’est la guerre : une tuerie, rien de plus ! Et, de nos jours, je pense qu’il devient de plus en plus important de le dire et de le répéter !

Jacques et Josiane Schraûwen

Attila (Les maîtres de guerre) (dessin : Paunovic – scénario : Pecau – couleur : Denoulet – éditeur : Delcourt – août 2025 – 62 pages)