Le Corbeau La Corneille Et La Colombe – Jean-Claude Servais et les symboles de la faune de chez nous

Le Corbeau La Corneille Et La Colombe – Jean-Claude Servais et les symboles de la faune de chez nous

Jean-Claude Servais est Gaumais, profondément gaumais… De Chassepierre à Virton, en passant par Florenville, ses sources d’inspiration, il les trouve dans la nature qui l’entoure, cette nature dans laquelle il aime se perdre pour mieux se retrouver. Nous perdre, pour mieux nous redécouvrir !

copyright servais

Et pour le moment, dans le musée Gaumais de Virton, il y a une exposition consacrée au Loup, dans laquelle on peut admirer plusieurs planches originales de ce dessinateur… Un dessinateur inspiré par la nature, certes, mais aussi par notre monde tel qu’il est, avec ses dérives de plus en plus présentes.

Jean-Claude Servais: la nature… (copyright Schraûwen)

Je le disais, l’actualité de Jean-Claude Servais est multiforme, pour le moment…

copyright Servais

Avec, aussi, la sortie d’un album, chez BDMUST, reprenant toutes ses premières bandes dessinées, inédites pour la plupart.

Jean-Claude Servais: les débuts (copyright Schraûwen)

Jean-Claude Servais est le chantre de cette région belge qui est sienne et qui lui colle aux talons de livre en livre. Il est, dans le paysage du neuvième art belge, un artiste essentiel… Comme l’est aussi Hermann… Deux auteurs complets, deux auteurs qui ont une carrière qui les a vus évoluer dans leurs graphismes, dans leurs centres d’intérêt, deux artistes qui sont restés fidèles à leurs passions de jeunesse…

Jean-Claude Servais: Hermann (copyright Schraûwen-

L’autre actualité de Servais, c’est un nouvel album, chez Dupuis… Dans « Le Corbeau La Corneille Et La Colombe », tout commence en Gaume, en 1935. Eléonore, une jeune écolière, a adopté une corneille. Cette gamine grandit à son rythme, chantant pour la famille des ritournelles comme « il était un petit homme… », vivant une vie tranquille et rurale…

copyright Dupuis

Elle y ressent les premiers émois du sentiment amoureux. Elle y voit partir les hommes pour la guerre, aussi… Elle fuit les horreurs dont on lui parle en forêt gaumaise, où une rencontre avec un déserteur allemand va décider de son destin. Je ne vais pas en dire plus, pour ne rien révéler d’une histoire humaine qui pourrait se construire comme un mélodrame, mais un mélodrame dans lequel Jean-Claude Servais construit un univers très varié. Si cette histoire à taille humaine est la trame de son album, Servais y mêle mythologies et contes, nature et évolution de la société, ce qui fait que ce livre peut être lu de plusieurs manières.

Jean-Claude Servais: Le Corbeau La Corneille Et La Colombe (copyright Schraûwen)

Le premier mythe dont Servais nous parle dans ce livre est lié à Apollon et à son corbeau blanc… Un corbeau qui le trahit et qu’il condamne, désormais, à être noir… Noir comme la peur, la mort, la haine… Et ensuite, de mythe viking en conte ardennais, de corbeau en corneille, de musique en larmes, de fables de La Fontaine en explications didactiques sur les différences entre tous les cornidés, de Rimbaud à Poe et Baudelaire, tout le récit mène à une ultime image, celle d’une colombe, symbole de la paix pour les chrétiens, symbole de la sublimation pour les alchimistes.

copyright dupuis

Et tout cela, m’a dit Jean-Claude Servais, naît de son imaginaire, certes, mais aussi, et surtout peut-être, de ses recherches, littéraires et graphiques… Artiste observateur, en quelque sorte, il restitue au papier ce que lui-même a pu découvrir…

Jean-Claude Servais: passeur (copyright Schraûwen)

Une rencontre avec Jean-Claude Servais, c’est toujours, pour moi, un moment de plaisir, de partage, d’éblouissement même. Cet auteur fait véritablement partie de notre existence, à Josiane et moi, au travers de ses livres qui, depuis ses tout débuts, nous ont enchantés… Oui, Servais est un enchanteur, le Merlin du neuvième art, en quelque sorte ! Et ce livre-ci, nous parlant des corvidés, ne pourra que vous enchanter également !

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Corbeau La Corneille Et La Colombe (auteur : Jean-Claude Servais – couleurs : Guy Raives – éditeur : Dupuis – octobre 2025 – 79 pages)

copyright dupuis

Le Musée gaumais à Virton accueille l’exposition « Loup qui es-tu ? » du 11 octobre 2025 au 10 mai 2026.

https://bdmust.be/catalogue/albums/les-inedits-de-servais/les-inedits-de-servais

Constance et les ombres – tome 1

Constance et les ombres – tome 1

Une nouvelle série qui s’initie dans un album « tous publics » que les adolescents comme leurs parents aimeront…

copyright dupuis

Une petite fille naît dans une demeure luxueuse du début du vingtième siècle. Et déjà l’accompagne, invisible pour tout le monde sauf pour elle, un monstre velu à la dentition terrible, aux mains ornées de griffes capables de lacérer n’importe qui, n’importe quoi… Mais ce monstre est gentil… Il est là pour aider cette enfant à grandir loin des dangers qui la menacent, comme ils menacent, finalement, toutes les enfances… Et la menace qui hante la petite Constance prend la forme, dans ses cauchemars, dans une forme rêvée de la réalité aussi, d’une meute de loups féroces, prêts à toutes les cruautés…

copyright dupuis

Le scénario d’Ingrid Chabbert parvient, très vite, à faire monter une forme de tension… Et le récit qu’elle nous offre est tout à fait susceptible, c’est évident, de plaire à un large public, un public adolescent d’abord, de cet âge où l’existence, depuis toujours, se fait révolte contre un monde (trop) bien établi.

copyright dupuis

Ce monde, dans cet album, est celui des parents de Constance. Toute adolescence ne se construit-elle pas, d’ailleurs, dans les affrontements qu’on peut avoir, qu’on doit avoir, avec ceux qui nous ont mis au monde ?… La famille proche de Constance est formée par une mère sans beaucoup de tendresse, par un père sérieux, sévère même, riche sans doute, travailleur efficace certainement, par une servante, Eugénie, qui est la seule à témoigner d’une véritable affection pour la petite fille, et par Louis, le grand frère de Constance.

copyright dupuis

Constance est une petite fille qui grandit, une gamine qui glisse d’un monde à l’autre, de celui de l’enfance à celui d’un âge menant inexorablement à celui qu’on dit adulte. Son frère meurt… Et ce décès transforme la vie de Constance, qui ne peut plus sortir de chez elle, qui se sent prisonnière, qui est sans cesse rabrouée par sa mère, usant de laudanum, et par son père. Constance n’a de liberté qu’aux instants où elle peut lire, s’enfouir en d’autres vies que la sienne, terne malgré une maison somptueuse et des vêtements qui l’habillent de grâce et de printemps.

copyright dupuis

Et reviennent dans sa vie de presque jeune femme ses cauchemars… Ses visions… Ces fameux loups… Et revient son adorable monstre prêt à tout pour l’aider, et sans doute pour la sauver… Le scénario est d’une belle efficacité. Il se fait linéaire, malgré les années qui passent au fil du récit… Il fait penser à toute cette littérature anglo-saxonne mettant en scène des enfants : Peter Pan, un peu, Alice beaucoup, et puis Dickens et Mark Twain… Ce sont, plus que des influences, des références à une façon universelle que les écrivains ont toujours eue d’approcher les univers perdus, et rarement paradisiaques, de l’enfance. Ingrid Chabbert use d’un langage simple sans jamais être simpliste, pour aborder, par petites touches, des réalités adolescentes et, ma foi, d’y mettre en évidences des « valeurs »… Grandir, vieillir, c’est le lot de chacune, de chacun. Et ce livre nous dit, calmement, et de façon tantôt symbolique tantôt bien réelle, que nul ne peut vieillir sans « quelqu’un » à ses côtés…

copyright dupuis

Ce quelqu’un, c’est ce monstre… Ce quelqu’un, c’est aussi Tim, un garçon bien réel… Ce quelqu’un, c’est également les Loups, les parents, tous ces éléments négatifs qui construisent une vie sans idéalisation de son déroulement. Le talent de la scénariste, c’est de faire de tout cela une entité qui, bien plus que tenir la route, se fait passionnante, je dirais « tranquillement » passionnante… Et le talent de la dessinatrice Luisa Russo, dont le dessin, personnel pourtant, oscille entre les artifices mangas et ceux de Disney, son talent, oui, c’est de créer un monde réel, par un dessin non réaliste… Un univers qui n’est pas celui des Bisounours, mais qui, en faisant un peu peur, fait aussi sourire, réfléchir… Avancer dans la vie, sa propre vie, qu’on ait 7 ou 77 ans !….

Jacques et Josiane Schraûwen

Constance et les ombres – tome 1 (dessin : Luisa Russo – scénario : Ingrid Chabbert – éditeur : Dupuis – 2025 – 72 pages)

Les Combattantes – une histoire des violences sexistes et sexuelles

Les Combattantes – une histoire des violences sexistes et sexuelles

Puisque nous voici dans ce qu’on peut appeler le mois de la rentrée littéraire, je vais donc, pourquoi pas, sacrifier à cette mode éditoriale de mettre en avant un livre qui vient tout juste de sortir de presse.

copyright delcout

Une des nouveautés de cette rentrée littéraire, en bande dessinée, correspond à ce qu’on pourrait appeler l’air du temps… Cela veut dire que cet album, riche de quelque 400 pages, aborde un thème que l’actualité met de nos jours très souvent en évidence, et très souvent avec justesse, à défaut de justice, je veux parler des violences faites aux femmes.

copyright delcourt

C’est donc un livre ancré dans l’actualité, un livre dans lequel les autrices, Géraldine Grenet au scénario et Marie-Ange Rousseau au dessin, dépassent le militantisme, pour nous parler de cette réalité inacceptable et, ce faisant, de chercher à en faire comprendre les rouages aux lecteurs que nous sommes. Ces violences, elles nous les racontent, elles nous les expliquent, elles nous disent ce qu’elles ont été, et la façon dont, au fil des ans, et depuis peu finalement, elles sont devenues une vérité tangible pour l’opinion publique, pour la justice aussi.

copyright delcourt

Et ce livre, vous l’aurez compris, se veut d’abord et avant tout didactique. Et pour ce faire, les autrices l’ont construit en différents chapitres et sous-chapitres, particulièrement bien documentés, particulièrement bien ouverts à différents témoignages également. Cet album prend donc l’apparence d’une sorte d’encyclopédie, d’une sorte d’enquête plutôt autour d’une thématique dans laquelle, qu’on le veuille ou non, l’horreur est omniprésente.

copyright delcourt

En premier lieu, les autrices s’intéressent à l’histoire de ces violences, en élargissant le propos, en s’intéressant à la réalité internationale, en définissant différents pôles de ces violences, qui peuvent être sexuelles, économiques, psychologiques, voire même institutionnelles. Ce premier chapitre se veut descriptif, explicatif, et permet au lecteur d’entrer ainsi de plain-pied dans le sujet qui va faire tout le contenu de ce livre.

Dans un deuxième chapitre, les autrices nous parlent des lieux de vie dans lesquels jaillissent ces violences, et abordent ainsi des réalités qui dépassent, et c’est tant mieux, le seul cadre d’une forme grave du sexisme. Il s’agit, par exemple, de rappeler que l’inceste, donc la violence dans le strict cadre familial, est sans doute un fléau que la justice n’a toujours pas pris profondément en compte. Il s’agit aussi de ce qu’on peut appeler, dans différents pays autour du monde, et parfois très proches du nôtre, de la violence faite aux femmes de façon institutionnelle, au travers d’un rapport de pouvoirs.

copyright delcourt

Le troisième chapitre est celui de la santé, et de l’accueil hospitalier réservé aux femmes violentées. Là aussi, les deux autrices enfoncent quelques portes inattendues, grâce entre autres à des témoignages qui nous montrent, que l’accueil hospitalier n’est pas toujours meilleur que celui des commissariats.  Et, enfin, le dernier chapitre, lui, s’intéresse au système juridique et judiciaire… Et ce domaine-là n’est pas le plus reluisant, vous vous en doutez !

copyright delcourt

C’est bien à un large panorama de ces violences que nous confronte ce livre… De manière féministe, militante, savante, donc parfois un peu pesante, c’est vrai. Mais le dessin, simple, sans fioritures, laisse la place aux mots… A un langage qui, passant par un média populaire, celui du neuvième art, devient lisible par tout un chacun, et s’éloigne de ce militantisme pour ouvrir un dialogue, une réflexion en tout cas, et en profondeur… La contextualisation du propos n’a rien de trop manichéen, et si on peut reprocher, ici et là, des propos sans doute trop définitifs, ce livre est important… Ce n’est pas de vulgarisation, qu’il s’agit, mais d’un désir de provoquer véritablement une prise de conscience ! Et à ce titre, comme je le disais plus haut, ce livre est plus qu’un objet de mode, un ouvrage important, qui a comme but de chasser le silence pour que les mots et les actes puissent prendre le pas sur une horreur souvent quotidienne.

Jacques Et Josiane Schraûwen

Les Combattantes (dessin : Marie-Ange Rousseau – scénario : Géraldine Grenet – éditeur : Delcourt – sortie le 3 septembre 2025 – 400 pages)