Chez Adolf – une série qui, d’année en année, nous fait découvrir le quotidien allemand de la guerre 40-45

Chez Adolf – une série qui, d’année en année, nous fait découvrir le quotidien allemand de la guerre 40-45

Quatre albums, pour une série complète, pour des portraits humains sans manichéisme… Une excellente série !

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D’album en album, nous suivons le destin de Karl Stieg, locataire dans un immeuble appartenant à un bistrotier qui a, en 1933, changé le nom de son établissement pour, tout simplement, l’appeler de son prénom, « Chez Adolf »… Et d’album en album, d’année en année, de 1933 à 1945, c’est le parcours humain et quotidien des habitants de cet immeuble de Hambourg qui nous est conté.

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La montée du nazisme ainsi, est montrée et racontée sans emphase, sans jugement a posteriori non plus. Cette idéologie n’est pas née de torpeur imbécile, loin s’en faut, mais de révolte, de sentiment d’injustice, d’une forme collective d’humiliation. L’Histoire actuelle n’est-elle pas, à ce titre, en train de dangereusement hoqueter ?

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Et donc, dès l’arrivée au pouvoir du chancelier Hitler, c’est toute l’Allemagne qui, progressivement, va se fanatiser autour de cet homme aux discours charismatiques, ou, plus simplement, subir un pouvoir qui, ouvertement, s’est installé, avec ses réalités culturelles, racistes, dictatoriales. Rodolphe, le scénariste de cette saga en quatre volumes, a fait le choix de ne pas nous mettre en présence de héros ou de crapules… Sa façon de décortiquer la grande Histoire est de s’approcher au plus près des gens tels qu’ils sont, et de nous montrer parfois leur lâcheté, parfois leur courage, souvent leur indifférence teintée de peur.

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Le tout début du dernier opus, qui nous montre le célèbre joueur de flûte et les enfants qu’il entraîne vers la mort, est un parfait résumé de ce que les Allemands, chez eux, ont subi, ont dû subir… Avec les jeunesses hitlériennes, par exemple, qui ont formaté toute une génération d’individus obéissants et totalement dépendants… Et c’est bien aux ordres d’un joueur de flûte à la triste moustache que tous les protagonistes de cette série ont dû, bon gré ou mal gré, obéir. Même le personnage central, Karl, professeur dans l’obligation de fermer les yeux, jusqu’à même s’inscrire au parti unique…

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Ce n’est pas un huis-clos que cette série de quatre albums. Mais l’essentiel du quotidien de cette guerre se vit dans un immeuble. C’est là qu’on voit évoluer, intellectuellement, ouvertement ou silencieusement, les personnages. D’espoir infini en désespoir total, de victoires claironnées en défaites meurtrières, ces êtres humains ne sont ni des victimes ni des héros. Pas d’héroïsme, en effet, ici… C’est une histoire à taille humaine, une histoire dans laquelle, malgré l’inéluctable d’une mort annoncée, l’amour et le désir charnel sont comme des barrières dressées face à l’horreur quotidienne.

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C’est un récit qui se découvre un peu au rythme d’une mémoire racontée, se racontant. Un récit qui, ainsi, pose des questions qui ne sont pas que ponctuelles, anecdotiques.

Comment et pourquoi vivre dans un pays fanatisé et assassin de toute liberté ?

Comment et pourquoi continuer à vivre sans se révolter, sans résister ?

Comment l’humain peut-il encore survivre à toutes les défaites qu’il subit, à toutes les horreurs dont, parfois, il est le complice muet, le membre de ce qu’on appelle depuis 1968 la « majorité silencieuse »… La plus dangereuse de toutes les majorités, finalement !

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Comme à son habitude, quand il aborde des sujets historiques, Rodolphe place son scénario dans un contexte historique très finement et sérieusement documenté… Nous parlant, par exemple, de l’escadrille Léonidas dans laquelle des jeunes militaires allemands se savaient condamnés à mourir pour la patrie et son guide.

Ses dialogues, comme toujours aussi, sonnent juste…

  • « Comment dire merci ?… En vivant heureux !
  • Le malheur n’est pas une fatalité. »

Et sa manière de ponctuer son long récit de quatre albums, en nous disant en quelques lignes ce que sont devenus ses anti-héros est une façon fine et intelligente de nous plonger une dernière fois dans une histoire humaine se vivant dans une continuité individuelle, malgré tout, toujours…

Le dessin de Ramón Marcos, d’un réalisme tranquille, ai-je envie de dire, est fait de contrastes, d’approche graphique soutenue des visages de ses personnages. Karl, ainsi, a pratiquement l’air tout le temps impassible, le dessin participant de cette manière à la définition intime de cet homme, axe central du récit. Son dessin restitue aussi, pour créer des ambiances oppressantes, les décors d’une ville qu’on voit, d’album en album, n’être plus qu’un réseau de décombres. Et n’oublions pas l’importance de la couleur, celle de Dimitri Fogolin, qui, à sa manière, évite toutes les exagérations pour privilégier la sensation à l’ostentation.

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Que dire encore que vous n’auriez pas saisi dans les quelques lignes que je viens décrire ?

Ces quatre albums sont plus que de simples réussites. Ils prouvent que la bande dessinée peut aussi restaurer à l’Histoire sa perspective de quotidien et d’humain. En une époque où on nous reparle, la voix tremblante, de pays, de patrie, de résistance, il est important, me semble-t-il, que pour parler de la guerre 40/45, on ne se sente pas obligé de parler de combats aux héroïques relents souvent nauséabonds.

Jacques et Josiane Schraûwen

Chez Adolf – quatre volumes (dessin : Ramón Marcos – scénario : Rodolphe – couleur : Dimitri Fogolin – éditeur : Delcourt – février 2024 pour le dernier tome)

Comme Un Oiseau Dans Un Bocal – Portraits de Surdoués

Comme Un Oiseau Dans Un Bocal – Portraits de Surdoués

La bande dessinée est un média qui ne souffre pas la routine. Et l’éclectisme, en tant que lecteur, s’avère être un chemin permettant de belles découvertes loin des sentiers battus de l’habitude…

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Être éclectique, dans ses choix, c’est accepter de pouvoir être surpris, oui. Et ce fut bien le cas, pour moi, avec ce livre que l’on peut, en partie, qualifier de « didactique ».

 Même si le dessin se révèle efficace, expressif, onirique aussi, je pense que l’important de ce livre ne se trouve pas là, ni dans la construction du scénario. Lou Lubie a voulu faire un album didactique, en effet, et elle y réussit pleinement…

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On est loin, avec son livre, et tant mieux, des idées qu’on se fait des surdoués ! Ne vous attendez pas à plonger dans quelque chose qui ressemble à la série télé HPI (haut potentiel intellectuel), par ailleurs très agréable à regarder… On se trouve très loin aussi de ces parents qui pensent que leur enfant est un génie en herbe, et le disent et le redisent à tout le monde, jusqu’à l’écoeurement !…

Ce qui nous est dit, en fait, dans cet album, c’est que, tout comme les autistes ne sont pas tous « asperger », tous les surdoués n’occupent pas le haut du pavé ni ne sont spontanément heureux.

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Lou Lubie nous raconte la rencontre de hasard entre deux surdoués : un chef cuisinier, d’une part, mais pas un de ces cuisiniers qui se pensent et se disent, de télé en télé, au top de leur métier… Et d’autre part, une jeune femme qui passe de boulot en boulot. Qui se cherche, peut-être, qui a surtout un mal-être qui influence toute sa vie, ses contacts humains, jusqu’à ses amours.

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A partir de ce canevas, l’auteure se fait donc didactique, mais sans emphase, loin s’en faut, même lorsqu’elle aborde des sujets scientifiques précis, comme le calcul du QI, du quotient intellectuel. Elle est tout aussi simple dans son propos comme dans son dessin « animalier » pour nous parler de la différence entre l’apparence et la réalité, ou encore du perfectionnisme qui n’est pas du tout un « truc de surdoués ».

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Ce livre est aussi une très belle histoire d’apprentissage… Celui de l’Amour et de l’Amitié qui ne sont finalement, pour les hpi comme pour tout le monde, que les deux facettes d’un même sentiment… Et, comme message de ce livre, on peut dire avec l’auteure qu’être hpi n’empêche pas tous les troubles mais ce n’est pas un trouble en soi… Ce livre est un bel hymne, à sa manière, à la différence !

La différence… Vous savez, cette réalité qu’on croise tous les jours mille fois, si on se donne la peine d’ouvrir les yeux… Cette force de vie, aussi, qui peut s’épanouir chez tout le monde à partir du moment où l’enfance se vit librement ouverte…

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N’ôtons pas leur enfance, jamais, à qui que ce soit, arrêtons de traiter en « anormaux » ceux qui sont d’abord et avant tout eux-mêmes, c’est-à-dire foncièrement différents de nous. Et ce livre, ainsi, nous permet, nous adultes, d’ouvrir les yeux sur une vérité qui ne demande de notre part aucune aide, mais une attitude intellectuelle, émotionnelle, toute simple : celle de la tolérance.

Jacques et Josiane Schraûwen

Comme Un Oiseau Dans Un Bocal – Portraits de Surdoués (auteur : Lou Lubie – éditeur : Delcourt – septembre 2023 – 184 pages)

Château Fort En Danger – Une bd à hauteur d’enfance pour un récit souriant…

Château Fort En Danger – Une bd à hauteur d’enfance pour un récit souriant…

Destiné aux enfants de 6 à 12 ans, ce petit album est simple, sans être simpliste, et véritablement construit à hauteur d’enfance…

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Le Moyen-Âge est une époque qui, depuis toujours, fait rêver… A ce qu’on appelait l’amour courtois, aux légendes et contes de nos jeunes âges, à la chevalerie et à ses valeurs qui ne sont peut-être, sans doute, que légendaires, elles aussi !…

Mais ce livre-ci choisit un tout autre axe d’approche, un tout autre point de vue.

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Nous sommes en 1205. Mathurin, neuf ans, quitte sa campagne pour essayer de gagner un peu sa vie dans le château de Fiercastel. Et cet album va nous montrer ce gamin découvrir le monde d’un château, l’organisation des gens qui y vivent, nobles et manants, les différents métiers qu’on y trouve. Tout cela en compagnie d’une gamine délurée, Perrine.

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Et puis, évidemment, il va y avoir un traître, qu’ils vont démasquer, ils vont devoir assurer la protection de ce château en danger. L’aventure va être au rendez-vous, bien sûr! Mais elle va l’être, de bout en bout, à hauteur des deux petits héros de ce récit dans lequel l’humour n’est jamais absent.

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A hauteur d’enfance, oui… Dans le texte comme dans le dessin, qui s’amuse à modifier les perspectives pour que le lecteur se sente, véritablement, « petit »… C’est aussi une bd d’aventure didactique grâce à un dossier simple (et ludique) qui, en fin d’ouvrage, nous parle de la vie quotidienne au Moyen-Age. C’est une bande dessinée à hauteur d’enfant, dessinée avec simplicité par Pierre Frampas, et scénarisée par Dominique Joly, historienne, et Fanny Joly, écrivaine pour la jeunesse. Une bd de belle qualité pour jeune public ! Et je vous invite à écouter Fanny Joly, que j’ai eu le plaisir de rencontrer…

Jacques et Josiane Schraûwen

Château Fort En Danger (dessin : Pierre Frampas – scénario : Dominique et Fanny Joly – éditeur : Casterman – août 2023)

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