Édika Sous Couvertures – humour gaulois et potache à l’honneur !

Édika Sous Couvertures – humour gaulois et potache à l’honneur !

Fluide Glacial, éditeur et revue, résiste aux modes, au bon goût aussi, depuis 50 ans, et cela se doit d’être souligné !

copyright fluide glacial

C’est en avril 1975, en effet, que trois dessinateurs décident de créer ce qui se veut être un organe de presse « d’umour et bandessinées ». Parmi ces créateurs, Gotlib, qui a déjà fait les beaux jours du journal Pilote, de la revue L’écho des savanes, Gotlib qui a incontestablement apporté un sang nouveau à ce qu’on peut appeler l’humour en bd, avec, par exemple, la mythique rubrique à brac. Son sens du gag, de la provocation aussi, vont faire merveille dans Fluide Glacial avec des auteurs venus de tous les horizons : Tronchet, Binet, Gimenez et sa superbe série, sérieuse elle, des « Paracuellos », Alexis et même Franquin avec ses sublimes idées noires.

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Fluide Glacial, ainsi, s’est défini dans le paysage du neuvième art comme un magazine dans lequel l’humour, sous toutes ses formes, et souvent les plus non-correctes, voire vulgaires, avait sa place… Que toutes les bêtises avaient la liberté de s’exprimer !Et, parmi ces auteurs qui ont fait et font encore les beaux jours de Fluide Glacial, il y a Édika, qui fait l’objet aujourd’hui d’un petit livre sympa.

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On peut dire que ce dessinateur occupe une place de choix dans le choix des couvertures du magazine : il en a fait 83 sur les 582 numéros publiés ! Et on peut dire aussi que ces couvertures ont attiré, toujours, bien des regards, bien des réflexions, bien des critiques bien pensantes souvent… Parce qu’il faut l’avouer, Edika, dans le paysage de la bd, et même dans celui, pourtant déjà bien déjanté, de Fluide Glacial (et cela fait 40 ans qu’il y travaille, qu’il s’y amuse), un électron libre.

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Un humour déjanté, oui, né de la gauloiserie, cet humour vieux comme la France sans doute, et dont on peut dire que sa caractéristique première est d’être, comment dire, leste… voire plus, même ! Et dans ce domaine, Edika aime depuis toujours ruer dans les brancards, enfoncer les portes de la bienséance, avec sans arrêt un sens de l’absurde, du surréalisme, de la provocation gratuite, et, également, avec une forme souriante d’érotisme souvent gras… Disons-le tout de go, Edika adore, avec un graphisme totalement éloigné de tout réalisme, les femmes possédant des appas plus qu’imposants, et de préférence dénudées, les femmes aussi ridiculisant sans cesse les hommes cherchant à les séduire. Cela, je le sais, pourrait paraître n’être que graveleux ! Mais Edika a une manière de dessiner qui n’appartient qu’à lui, en multipliant les détails, à peine visibles parfois, en multipliant les personnages, un peu comme l’immense illustrateur Dubout faisait en d’autres temps.

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Édika a une façon de déformer la réalité qui est hors du commun, hors de tous les codes, on peut dire qu’il réinvente en quelque sorte l’humour à chaque album ! A chaque couverture, aussi… Et ce petit livre de 64 pages est là pour remettre les choses en place : Edika est un humoriste, et il y a un plaisir plus que souriant à se balader dans ses couvertures et, ce faisant, grâce à un texte bien fichu, à l’y découvrir tel qu’il est : un artiste populaire et Français faisant semblant d’être franchouillard !

Jacques et Josiane Schraûwen

Édika sous couvertures (textes de Gérard Viry-Babel, dans la collection « les jolis p’tits cultes », chez Fluide Glacial – 2025 – 66 pages)

L’Or du Spectre – Une bd comme un road movie

L’Or du Spectre – Une bd comme un road movie

J’ai toujours aimé le dessin de Xavier, son sens aigu du réalisme. Après « Le serpent et le coyote », le voici de retour dans un polar scénarisé par Matz.

copyright lombard

Dans cet album, même si les personnages y sont nombreux et nourrissent l’intrigue, les deux « acteurs » principaux y sont la voiture et le paysage ! A certains moments, j’ai d’ailleurs retrouvé des sortes de références à un autre grand dessinateur réaliste, Mézières, pas le Mézières de Valérian, non, mais celui qui aimait les Etats-Unis et en dessiner les déserts comme les villes.

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Tout le récit commence en voiture : une voiture quitte la ville, s’enfonce dans le désert, un homme au volant, une femme à ses côtés, et la fumée de deux cigarettes dans l’habitacle… Et le récit se termine presque de la même manière : une route qui mène de nulle part à nulle part, un camping-car qui soulève une poussière torride, un conducteur, les yeux perdus dans le vague, la cigarette aux lèvres…

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Entre ces deux bagnoles, il y a une histoire. Un polar… Chuck vient de sortir de prison. Il retrouve son amie intime, la blonde Kat. A deux, ils vont partir dans l’Amérique profonde, afin de récupérer un magot que Chuck a planqué avant d’être arrêté et condamné. Seulement, comme dans tout polar qui se respecte, les choses ne vont évidemment pas se révéler simples !

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Parce que va se mêler à tout cela un autre ancien détenu, homosexuel marié à un Indien… Plus un Black débarquant dans cette histoire par hasard… Plus des « américains profonds » croisés au gré des routes suivies par Chuck et Kat… Plus la déchirure de leur couple, malgré quelques ébats passionnés… Plus des trahisons en veux-tu en voilà ! On est loin, très loin même, d’un quelconque code d’honneur entre truands !

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Ce qui va également se mélanger à toutes ces intrigues, emmêlées et prenant sens grâce à quelques flash-backs, un autre personnage, le fameux spectre… Un vieillard sans doute fou cherchant à retrouver ses lingots d’or dans une petite ville fantôme… Beau personnage, d’ailleurs, que ce spectre, qui n’est pas sans rappeler un autre spectre, celui possédant des balles d’or, et dessiné par Giraud, sur un superbe scénario de Charlier.

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Il y a donc, vous l’aurez compris, plusieurs références dans cet album. Une référence évidente, également, à l’immense Hermann… Il y a surtout, pour illustrer un récit dont la construction est quelque peu anarchique, une présence graphique extrêmement intéressante. Xavier est un dessinateur réaliste d’une belle efficacité, c’est une évidence… Il est aussi un dessinateur qui aime varier les approches de son art, choisissant parfois quelques démesures rythmant ses récits, choisissant parfois aussi une relation plus intimiste avec sa narration. Ici, il est plus intimiste, un peu à la façon de ces westerns des années 50 qui prenaient le temps de « montrer »… De faire vibrer l’image… Cet album, c’est peut-être, graphiquement parlant, celui qui permet le mieux de découvrir la nature originelle de Xavier…

copyright lombard

A ce titre, il faut absolument souligner le travail essentiel du coloriste, Jérôme Maffre. Il est, me semble-il, co-auteur totalement de cet album d’errance, de sang et de dérives humaines. Le scénario, quant à lui, contient tout ce qui correspond aux codes du genre… Peut-être, dès lors, est-il trop attendu… Trop lisse, alors que le sujet aurait pu demander, justement, quelque chose de plus abrupt… Matz, à mon humble avis, ne manque pas d’efficacité, mais il a déjà fait mieux… Ses retours en arrière, cette façon de se laisser entraîner par une histoire plutôt que de la diriger, tout cela rend l’album, parfois, manquant d’envolée, d’ambition… N’est pas, ai-je envie de dire, Leone ou Coppola qui veut !

copyright lombard

Cela dit, ce livre est extrêmement agréable à lire. A lire, oui, parce que le dessin de Xavier, justement, est extrêmement narratif, il raconte ce que les mots ne font qu’aborder, il montre les sensations et les émotions des personnages, ce que le scénario ne fait pas vraiment… Un livre à la fois brutal et lent, à la fois sanglant et bien codifié, un livre qu’on lit donc avec plaisir, sans aucun doute… De la bd « délassante », qui change un peu, et c’est tant mieux, de la pléthore d’albums tristement voulus comme intellos et ancrés sur les modes ! Avec Xavier et Matz, on fait de la bd, on ne suit pas la mode, et c’est à applaudir !

Jacques et Josiane Schraûwen

L’Or du Spectre – Une bd comme un road movie (dessin : Xavier – scénario : Matz – couleurs : Maffre – éditeur : Lombard – mai 2025 – 116 pages)

Le Diable Et Coral – Du fantastique sans outrances pour une bd enthousiasmante !

Le Diable Et Coral – Du fantastique sans outrances pour une bd enthousiasmante !

Loin des bd fantastiques à l’américaine ou à la japonaise, voici un album qui s’enfouit dans notre culture européenne.

copyright dargaud

Un dessinateur qui se fait scénariste pour la première fois et qui réussit son coup, cela se souligne… Un album qui s’aventure dans les méandres du fantastique sans rien emprunter à ces modes répétitives venues de l’autre côté de l’Atlantique, cela s’applaudit ! Et donc, oui, j’ai un grand coup de cœur pour ce livre, je l’écris haut et fort!

copyright dargaud

L’histoire que nous raconte cet album foisonne de situations, de rebondissements même… Ce récit nous emmène à Prague, peu de temps avant la guerre 40-45. Coral Loew a 19 ans. Elle est fille de rabbin. Et elle est seule à voir, à ses côtés, le diable… A le voir, et à parler avec lui. Et tout ce livre va nous raconter ce long dialogue entre une jeune fille juive et un Satan ricanant, entre ces deux notions antinomiques et, finalement, très proches l’une de l’autre: le bien et le mal.

copyright dargaud

Ce récit, disons-le sans ambages, est très littéraire, il est également ancré à la réalité historique qui en est la trame, en quelque sorte, cette réalité qui voit Hitler s’installer dans l’actualité en tant que représentant du mal face aux démissions des représentants du bien…

Homs: le bien et le mal

Je ne vais pas vous raconter par le menu tout ce que ce dialogue va révéler, à la fois de la personnalité des deux protagonistes, le diable et Coral, à la fois d’une époque, cette montée inexorable du nazisme, à la fois de thématiques qui, qu’on le veuille ou non, se révèlent universelles. Ce livre, je le disais, foisonne de thèmes profondément humains, usant du fantastique comme vecteur d’émotions très réalistes.

copyright dargaud

Tous les temps, finalement, se ressemblent, dans la mesure où la violence humaine et ses idéologies engendrent toujours les mêmes effets, dans la mesure où l’idéologie continue, inlassablement, à se faire horreur et mort. Ne sommes-nous pas, aujourd’hui, tributaires également de ces discours qui mettent en face en face les idées que l’on se fait du bien et celles que l’on se fait du mal ?

copyright dargaud

Je dis, et je répète, que cet album est résolument « fantastique ». Tout commence, d’ailleurs, par une phrase de Baudelaire : « La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas »… Et ce livre nous montre un diable qui s’amuse, qui use et abuse de faux-semblants, de tricheries, mais qui s’ancre résolument dans la tradition européenne du genre fantastique, un genre qui a permis à bien des artistes, écrivains, peintres, cinéastes, de nous parler de nous-mêmes, de nos failles, de tout ce qui, dans le quotidien le plus banal, peut faire déraper la réalité…

copyright dargaud

Je pense à Gustav Meyrinck, auteur du Golem, à Goethe et à son Faust… Les monstres existent dans cette littérature européenne, dans ce livre aussi, donc, mais ils n’ont pas de super pouvoirs ! Et c’est pour respecter ces codes européens que Homs, l’auteur de cet album, construit sa narration comme un roman, avec des chapitres qui se suivent et dessinent l’histoire progressivement.

Homs: comme un roman

On pourrait avoir peur que ce côté littéraire ne nuise à la lecture. Mais il n’en est rien. Le rythme du récit est soutenu, grâce à un découpage qui joue avec les perspectives, grâce à un dessin réaliste d’une vraie puissance, grâce aussi au talent omniprésent de coloriste de l’auteur…

Homs: la couleur

Le diable et le mal sont partout, et prennent mille et un visages… Et Homs n’évite pas, fort heureusement d’ailleurs, de nous parler de sorcellerie, d’exorcisme aussi, avec une scène qui rappelle le film de William Friedkin. Homs ne cherche pas non plus à donner une morale à ce qui, cependant, reste une fable… Une fable terrible, une fable dans laquelle l’humour est présent, une fable dont les éléments sont universels parce qu’humains, d’abord et avant tout.  

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Et je ne peux terminer cette chronique que par une citation de Mikhaïl Boulgakov : « Que ferait ton bien si le mal n’existait pas et à quoi ressemblerait la terre si les ombres disparaissaient » ! Ce livre appartient, ainsi, tant à la lumière qu’à l’ombre, et sa lecture est un vrai délice, parfois souriant, parfois pervers, toujours passionnant !

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Diable Et Coral (auteur : Homs – éditeur : Dargaud – avril 2025 – 110 pages)