Une ancienne chronique, parue sur le site internet de la rtbf à l’époque…
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Pourquoi en reparler aujourd’hui?… Parce que l’autrice, Louise Joor, vient d’en récupérer tous les droits. Et que, dès lors, une suite de cette fable à la fois fantastique et superbement humaine reste possible…
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Pour redécouvrir les personnages de cette autrice au talent évident, suivez le lien, tout simplement…
J’ai toujours aimé la littérature policière… J’ai, de ce fait, toujours adoré me plonger dans des polars du neuvième art… Avec « Nuits Romaines », je suis comblé ! Un scénario simple mais extrêmement bien construit, et un graphisme exceptionnel !
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Le personnage central est un flic plus très jeune, mais loin d’être vieux, fumeur invétéré, désespéré et désespérant. Un flic paumé qui, après plus de vingt ans d’enquêtes glauques dans la glauque ambiance des nuits romaines, sait que « le cauchemar jamais ne s’apaise ». Et sa nouvelle enquête le désespère encore plus : il s’agit d’enfants assassinés… Il s’agit d’un tueur de mômes… Il s’agit de « l’homme en noir » qui va, jusque dans les rêves de Flavio, ce flic, réveiller ses angoisses les plus sombres.
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Un tueur d’enfants… Un policier désabusé et hanté par le mal… Une ville sublime qui se révèle, la nuit venue, un décor presque fantomatique, pratiquement fantastique… Un dessinateur qui se laisse aller à de la folie visuelle exceptionnellement efficace… Tous les ingrédients sont en place pour que ce livre soit une sorte de « comics » américain. Mais il n’en est rien ! Là où les comics multiplieraient les démesures graphiques, les plans impossibles, le découpage bling-bling, ce livre choisit les chemins de l’ambiance, les routes sinueuses de la nuit, les paysages citadins qui ne sont qu’esquissés… Même en usant des codes du roman noir américain, cet album se révèle résolument européen… Et si tape-à-l’œil il y a, c’est au service, et uniquement au service, de l’histoire qui y est racontée…
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« On s’est habitués au mal », dit Flavio, se perdant dans une enquête aux certitudes soudain trop criardes. Il se souvient de toutes ces mères auxquelles il a promis de rendre vivants leurs enfants… Et il sait que « les promesses ne sont pas là pour qu’on les tienne »… Luigi Boccia, le scénariste, esquisse le profil d’un flic à la Chandler, à la Carter Brown… Il nous plonge dans une ambiance qu’on pourrait croire à la Stephen King, et il le fait pour mieux nous jeter en pâture à un quotidien sournois et inacceptable… Réel… Il attache son récit exclusivement aux gestes et aux mots de son personnage central, construisant sa narration au fil de petites touches éparses qui peu à peu racontent l’histoire sans jamais perdre le lecteur…
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Le dessin d’Alessandro Manzella est étonnant… Superbement étonnant… C’est un dessin qui se blottit derrière la couleur, qui, parfois, rappelle les bandes dessinées sud-américaines des années 60/70… Mais c’est un graphisme qui empoigne le lecteur dès la première page, et ne le lâche plus au fil des planches ! Je dirais qu’il y vraiment un jeu, dans la couleur de Manzella, d’ombres et de lumières, avec une façon moderne, en quelque sorte, de perpétuer les clairs-obscurs chers aux peintres vénitiens, entre autres.
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Les profils des personnages sont parfois à peine esquissés, s’enfouissant aux méandres d’une peinture qui est, peut-être, l’élément essentiel du dessin, donc du récit… Et il y a véritablement un travail « sombre » de cette couleur, avec des visages qui s’en échappent en gros plans, avec l’omniprésence des cigarettes et des néons qu’on voit briller dans l’ombre opaque de la nuit… Au fil des pages, donc de l’enquête, les personnages deviennent de plus en plus visibles, présents, « dessinés »… Obligeant ainsi le lecteur à mieux entrer encore dans leurs quotidiens, dans leurs folies, dans le « mal »…
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« Il y une grande différence entre vivre et survivre, mais à la fin, il n’y a pas d’autre choix que de s’y faire. » Cette phrase ponctue à sa manière une histoire horrible mais réaliste… Et je ne sais pas si c’est volontaire ou s’il s’agit d’une erreur d’impression, mais il y a, dans le texte, vers le milieu du livre, une seule petite phrase écrite en rouge… « on peut rien faire » ! Quatre mots qui, à leur manière, racontent l’inutilité de toute action face à l’innommable…
Ce livre est un polar sublime dans sa forme, simple mais juste dans son récit… C’est aussi un album qui, totalement, appartient à l’Art… Le neuvième en l’occurrence, mais aussi celui d’une forme de peinture qui emporte le lecteur sans jamais lui lâcher la main ni le regard !
Jacques et Josiane Schraûwen
Nuits Romaines (dessin : Alessandro Manzella – scénario : Luigi Boccia – éditeur : Mosquito – mars 2025)
A l’heure où les projecteurs de l’actualité s’attardent sur un film inspiré par les aventures de la plus célèbre des hôtesses de l’air, Walthéry continue à s’inspirer, lui, de Sirius pour se plonger dans le passé familial de son héroïne…
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C’est en 1965, je pense, que Natacha a vu le jour dans les pages du journal « Spirou »… Une naissance due, comme me l’avait raconté François Walthéry lui-même, à une idée de Delporte qui voyait là une manière de lier connaissance avec une voisine, justement hôtesse de l’air…
Bien sûr, avant elle, il y avait eu d’autres héroïnes dans l’univers de la bande dessinée… Mais, reconnaissons-le, toujours très sages, comme Line, Belle du Ballet, etc. Cela dit, les années 60/70 furent aussi celles de l’entrée de la bd dans son âge adulte, avec des femmes dessinées bien moins sages, celles de Pichard, de Forest, de Crepax, par exemple… Mais, reconnaissons-le aussi, Natacha fut probablement la première héroïne « sexy » dans une revue de bd pour jeune public…
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Et voici donc que sort de presse le vingt-quatrième épisode de cette série à succès, qui a enthousiasmé plusieurs générations de lecteurs ! Natacha, c’est une femme à la fois très féminine et très féministe… Son ami Walter, steward, change les rôles habituels de ce genre de bd d’aventures et étant, lui, le faire-valoir de son amie. Leurs aventures aux quatre coins du monde, endiablées, souriantes, mélangent depuis 60 ans des thématiques de toutes sortes, mais toujours traitées avec un humour parfois bon enfant, parfois aussi moins policé… C’est incontestablement le cas, d’ailleurs, dans cet album-ci!
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Et dans ce volume-ci, Walthéry continue à réécrire les scénarios de Sirius, un des grands de l’âge d’or populaire de la bd… Bien sûr, les aventures de l’épervier bleu, avec Sirius, c’était du réalisme, pur et dur. La façon dont Walthéry récupère, avec un dessin non réaliste lui, les canevas des albums de Sirius, lui permet d’actualiser ces anciens scénarios tout en leur rendant hommage. Cet artifice de narration est simple : Natacha et Walter découvrent les aventures de leurs ancêtres, et le récit, dès lors, mêle présent et passé lointain. Dans ce numéro 24, on retrouve donc les grands-parents de nos deux comparses, après la guerre de 40-45, dans l’océan, à bord de l’épervier bleu. Il y a un paquebot où tout le monde a été endormi pour favoriser un vol original, il y a un court emprisonnement, il y a la poursuite des méchants, il y a un savant fou et son adjoint nazi… Et le révolver de mémé Natacha, au nom délicat…
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Je ne vais pas vous en dire plus… On sent dans cet album sans temps mort que Walthéry s’est amusé… A dessiner des scènes de combat, voire même de tueries, avec sang bien visible, et d’y saupoudrer toujours un humour efficace, parfois très noir même… Un humour qui, à certains moment, se fait parallèle de celui de Maurice Tillieux, l’extraordinaire créateur de Gil Jourdan, lui qui fut, comme Sirius, ami de Walthéry… On sent aussi, il faut le dire, qu’il n’est pas tout à fait à l’aise dans l’ambiance sf de l’histoire qu’il nous raconte, qu’il nous dessine… Mais il s’amuse, oui… A inventer, par exemple, une injure que le capitaine hergéen aurait aimée : « Cynocéphale eczémateux » ! Il s’est amusé à replonger dans un scénario « à l’ancienne », un scénario « âge d’or » de la bd, avant qu’elle devienne un art… Une histoire rocambolesque avec science-fiction, savant fou, maître du monde, tueries, sang, une histoire, en fait, très virile au départ, menée de main de maître(sse) par Natacha…
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Certes, cet album n’est pas le meilleur ni le plus passionnant… Il m’a même un tout petit peu déçu par le fait que Natacha s’y révèle infiniment moins sexy qu’avant ! Comme si l’époque actuelle et ses neuves imbéciles censures (Dany et Yann, souvenez-vous !) avaient réussi à « assagir » le trait de François Walthéry… Yves Delporte doit en rire jaune dans son au-delà !
Mais un album de Natacha, c’est toujours, quand même, un plaisir… Cela se lit d’une traite, cela se savoure, ce sont quelques dizaines de pages pleines de mouvements, pleines de cadrages qui montrent tout le talent graphique de narrateur de Walthéry…
François Walthéry… Un « vieux de la vieille » qui continue à éblouir, en se fichant pas mal des modes et en n’oubliant jamais, d’album en album, ce qu’il doit à des aînés bien trop oubliés de nos jours, il faut bien le dire !
Une rencontre avec François Walthéry, datant d’il y a quelques années
Jacques et Josiane Schraûwen
Natacha – 24. Chanson D’Avril (dessin : Walthéry, d’après un scénario de Sirius – couleur : Usagi – éditeur : Dupuis – 56 pages – mars 2025)