Goscinny Et Le Facteur Rhésus – un art de l’anti-portrait

Goscinny Et Le Facteur Rhésus – un art de l’anti-portrait

Un petit livre qui nous parle d’un des scénaristes les plus essentiels de la bande dessinée.

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Depuis des années, maintenant, depuis que quelqu’un a décidé de faire des petits Mickeys un art, le neuvième, les études se multiplient autour de ces personnages de papier qui se sont faits éléments moteurs d’une culture populaire.

Neuvième art… Une appellation qui, dans les années 1920, désignait l’art de la table avant de tomber en désuétude… Une appellation qui, dans les années 60, à l’instigation de plusieurs personnes (un critique cinématographique, ou Francis Lacassin, peut-être Morris dans les pages du journal Spirou, etc.) selon les sources, est devenue celle de la bande dessinée.

Il faut dire que, dans les fameuses sixties, la bd, brusquement, s’est ouverte au grand public, pas seulement à un lectorat jeune. Les adultes de cette époque se sont mis, sans doute, à se souvenir d’une enfance pendant laquelle la bd leur était une échappatoire importante…

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Il faut dire aussi que les scénarios se sont mis à devenir de mieux en mieux construits, de plus en plus imaginatifs, de plus en plus, également, ancrés dans des préoccupations de tous les jours, dans des besoins d’évasion, d’aventures, de rêves.

Parmi ces sénaristes, il en est un qui est très vite sorti du lot… Avec Oumpah-pah, avec Lucky Luke. Avec, surtout, dès 1959, Astérix… « Nos ancêtres les Gaulois » revus et corrigés par un dessinateur qui, très vite, est devenu le symbole de la bd d’humour, et un scénariste, René Goscinny qui, après moult et moult incursions dans le monde de l’édition trouvait enfin un public prêt à rire de lui-même, trouvait enfin une façon détournée de se ficher ouvertement d’une société en totale mutation.

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Mais René Goscinny, infatigable créateur, infatigable curieux, ne s’est jamais contenté de ce personnage emblématique. Il a multiplié les plaisirs, les collaborations… Personne n’oubliera, dans le domaine de l’écriture illustrée, le Petit Nicolas, dessiné par Sempé…

Il y a eu les Dingodossiers, Iznogoud… Il y a eu des incursions dans le cinéma, avec bien évidemment les films tirés de la série Astérix… Avec aussi, et on le sait moins, des films comme « Le Viager »…

Et puis, il y a eu les aventures du Facteur Rhésus, en 1964… Une bd presque à l’ancienne, parue dans les revues cultes de Pierre Dac, « L’Os à Moëlle »… Des vignettes dessinées avec, sous chaque dessin, un texte… Un texte de Goscinny, envers et contre tout toujours amoureux de l’écriture… Et des dessins d’une nouvelle venue, toute jeune, Claire Bretécher…

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Une association qui peut paraître bizarre, vu la différence d’univers de ces deux auteurs… Une association qui prouve en tout cas, si besoin en était encore, l’intelligence de Goscinny et son éclectisme dans le choix de ses collaborations.

Et ce livre-ci, écrit par Nicolas Rouvière, nous fait entrer de plain-pied dans l’univers de ce facteur Rhésus, réactionnaire souriant, inspiré sans doute en partie par le facteur cher à Jacques Tati. Un monde qui est le vrai monde, sous le regard aiguisé de Goscinny, et avec le graphisme déjà à la fois souriant et critique de Bretécher qui était à l’aube de devenir un symbole essentiel de la bande dessinée s’ouvrant délibérément aux réalités quotidiennes de l’existence, des femmes aussi et surtout même.

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Mais ce livre va beaucoup plus loin, dans le portrait qu’il nous fait de toute une vie (trop courte) d’un écrivain se plongeant délibérément dans le neuvième art, un portrait multiforme, un portrait éclairé, un portrait né de documents parfois étonnants, toujours passionnants…

Oui, dans ce petit livre, c’est à la rencontre d’un homme que l’on va, à la rencontre des rencontres de cet homme, également. A sa clairvoyance…

En emmêlant l’époque de ce facteur Rhésus et une forme d’humour qu’appréciait Pierre Dac, en mettant côte à côte le destin de Goscinny et celui de Bretécher, l’auteur construit, presque en scénariste, un livre souriant, cultivé, à l’iconographie simple, un petit album qui trouvera sa place dans toutes les bibliothèques de tous les amoureux du neuvième art…

Jacques et Josiane Schraûwen

Goscinny Et Le Facteur Rhésus – un art de l’anti-portrait (auteur : Nicolas Rouvière – éditeur : La Déviation – octobre 2023 – 64 pages)

Le Grand Migrateur – Un géant pour sauver une planète à la dérive…

Le Grand Migrateur – Un géant pour sauver une planète à la dérive…

Une « bd jeunesse » réjouissante qui nous bal(l)ade dans un monde qui ressemble au nôtre, mais avec humour, tendresse, folie…

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Dans l’univers de la bande dessinée (comme dans tous les autres univers culturels d’ailleurs), les modes sont nombreuses. Et chacune d’entre elles crée, après d’excellents livres précurseurs, des tas d’œuvres préformatées, imitatrices, sans grand intérêt. Il faut oser le dire…

La mode de l’heroic fantasy n’y a pas échappé, loin s’en faut. Et se multiplient encore des aventures dont les scénarios ressemblent à une étrange mixture mêlant fantastique, imaginaire, horreur, monstre, magie, que sais-je encore !

Et puis, dans un monde où l’imagination me semble trop souvent faire défaut, il y a parfois d’excellentes surprises. « Le Grand Migrateur » en fait partie.

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D’abord parce qu’il ne sacrifie pas à la facilité de codes bien établis et qu’il nous fait ainsi découvrir un récit coloré sans elfes, sans magie omniprésente, le récit d’un périple humain en quelque sorte.

Dès lors, il m’a paru intéressant de demander aux deux auteurs, Augustin Lebon et Louise Joor, quelle était leur vision de l’heroic fantasy.

Augustin Lebon et Louise Joor

Résumer cet album est assez simple. Nous nous trouvons sur une planète qui ressemble à la nôtre et qui est menacée par la « glaire noire ». Odette, une vieille dame irrespectueuse, pense que ce danger de destruction vient du fait que les humains ont décimé les géants qui, tous les 200 ans, migraient vers le nord, région de la planète couverte par cette glaire noire prête à tout engloutir.

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Et voilà qu’un géant sort de sa léthargie, et qu’Odette, accompagnée du falot Childebert, décide de protéger ce monstre dont elle devine qu’il peut sauver leur monde.

A partir de ce point de départ, l’Aventure déroule ses péripéties dans des paysages variés, chauds et froids, réjouissants ou horrifiants. A partir de ce point de départ, surtout, ce livre mêle plusieurs destins, plusieurs personnages, parfois complices, parfois antinomiques.

Augustin Lebon et Louise Joor : les personnages

Cela dit, ce n’est pas un récit choral. C’est une histoire, simplement, qui permet aux auteurs de se lancer dans des tas de portraits. Et, ce faisant, d’aborder des thématiques nombreuses, toutes proches des réalités de notre propre domaine terrestre.

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Dans ce grand migrateur, on parle de différences physiques, de différences d’idées. Avec ce dialogue savoureux :

« – Il est peut-être jeune, ou simplement différent. »

« – C’est pareil. »

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On parle aussi de la vie se voulant éternelle et toujours confrontée à la mort. On y parle de la rumeur, de ce que peut révéler une légende, on y parle de la lâcheté, de la folie. Et comme dans une fable presque surréaliste, on y montre que la vie sans « parasites » répugnants n’est pas vraiment pensable et vivable.

les thèmes : Augustin Lebon et Louise Joor

C’est un livre, je le disais plus haut, de bd jeunesse. Sans mièvrerie, avec un vrai méchant, avec, par petites notes, ce sentiment de peur qui apparaît et permet aux rêves de se construire.

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L’enfance est tout un pays à elle seule, et c’est un peu elle que les auteurs de ce grand migrateur ont laissé entrer dans leur livre… Par le texte, mais aussi par un dessin parfois tout en transparence, avec une utilisation de la couleur qui progresse au rythme des saisons et des lieux, et permet au dessin de Louise Joor de créer ses propres lumières.

Une bd pour tous : Louise Joor et Auguste Lebon

« Le Grand Migrateur » est un album résolument actuel, par ses thématiques comme par son graphisme. Mais c’est aussi et surtout un livre parfaitement assumé, avec un univers très personnel qui devrait sans difficulté plaire à un jeune public. Mais pas seulement !….

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Grand Migrateur (dessin : Louise Joor – scénario : Augustin Lebon – éditeur : Rue De Sèvres – 2023 – 75 pages)

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