La Guerre des Lulus : une série de bande dessinée qui quitte le giron du neuvième art…

La Guerre des Lulus : une série de bande dessinée qui quitte le giron du neuvième art…

« La Guerre des Lulus » est une série bd dont le succès est incontestable… Un succès qui a donné des idées pour le prolonger…

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Cette série, déclinée en 10 tomes, scénarisée par l’excellent Régis Hautière et dessinée par le non moins bon Hardoc, a séduit, par son contenu comme par son talent, un  jeune public qui a vieilli en même temps qu’elle.

La guerre abordée dans cette série, c’est celle de 14-18.

Les Lulus, ce sont quatre gamins dont le prénom commence par ces deux lettres, LU. Il y a Lucien, Luigi, Ludwig et Lucas. Pensionnaires dans un orphelinat perdu dans la province française, ils sont en vadrouille le jour où leur « maison » doit être évacuée, la guerre se présentant à ses portes…

Oui, c’est la guerre qui est au centre de cette série. Au centre, parce qu’elle est omniprésente. Mais elle n’est, finalement, que le moteur d’une aventure humaine vécue par ces enfants que l’horreur et la violence ont perdus sur les routes à la fois de l’aventure et de l’exil, de la peur et du courage, de la quête intimiste et de l’espérance réfléchie.

La grande force de cette série, c’est que tout est vu à hauteur d’enfance d’abord, d’adolescence ensuite

La guerre est là, tout autour d’eux, et ils vont devoir se débrouiller… sans adultes… Avec la compagnie d’une nouvelle venue, Luce. D’album en album, on les voit survivre, vieillir, tout au long d’aventures qui parviennent à mettre un sujet extrêmement difficile à portée d’un jeune public.

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Et aujourd’hui, donc, ce récit en plusieurs volumes s’ouvre à d’autres formes artistiques.

Régis Hautière est un scénariste que j’ai toujours aimé pour l’intelligence de ses histoires, pour l’importance qu’il accorde, toujours, à ses personnages : aucun d’eux n’est une silhouette, tous existent, ont leur manière de parler, de bouger, de vivre. Et son scénario est devenu la base de romans écrits par Eva Grynszpan, et destinés eux aussi, bien évidemment, à un public de jeunes à partir de 9 ans. Les deux premiers volumes sont disponibles, correspondant d’ailleurs aux deux premiers albums de la série bd : « La maison des enfants trouvés », et « Hans ».

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On peut trouver cette idée étrange, adapter une série de bandes dessinées en romans… Personnellement, je trouve au contraire qu’il y a là un pari plus qu’intéressant : celui de remettre la littérature à l’honneur, pour un public jeune qui prendra plaisir à re-découvrir une histoire qu’il connaît peut-être déjà, mais qui, par la magie de l’écriture, se complète énormément…

Le travail d’Eva Grynszpan n’est donc pas de retranscrire en mots, en descriptions, en dialogues, les albums dessinés, mais de raconter la même histoire en abordant par touches réalistes parfois, humoristiques également, historiques bien entendu, poétiques souvent.

Je dirais que la rencontre avec le récit de Régis Hautière ne se fait plus frontalement, mais par le biais de réflexions, d’ambiances… Sans pour autant édulcorer l’histoire, celle de nos cinq personnages, celle d’une guerre, aussi. Eva Grynszpan a du talent, et ces deux premiers romans illustrés sont, littérairement, une vraie réussite.

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Et, en guise d’adaptation, ce n’est pas tout… Parce que, dans quelques jours, c’est un film qui va sortir en salle !

Intitulé La guerre des Lulus, comme les bd, comme les romans, ce film sortira le 18 janvier. Il s’agira d’une véritable adaptation, donc avec des raccourcis dans la narration… Yann Samuell en est le metteur en scène et le scénariste, et le casting est attirant, sans aucun doute : Isabelle Carré, Didier Bourdon, François Damiens… Je n’ai pas encore vu le film. Je n’en ai visionné, comme tout un chacun peut le faire, que la bande-annonce, sur le site Allociné.

Et je dois avouer que je n’ai pas beaucoup de respect pour les adaptations cinématographiques de bandes dessinées, avec Ducobu, avec L’inacceptable Gaston, le mièvre Boule et Bill, etc.

Mais ici, le sujet traité dépasse le simple divertissement destiné à passer le temps… Et j’ai un apriori favorable… Permettre à un jeune public de pouvoir suivre sur grand écran les aventures de mômes qui ont leur âge et qui se retrouvent errant dans un monde où l’horreur est omniprésente, je trouve cela intéressant, important même… Et je croise les doigts pour que ce film soit une réussite…

Jacques et Josiane Schraûwen

« La Guerre des Lulus », un film qui doit sortir le 18 janvier prochain. Et, au départ de ce film, une série BD et deux romans de Eva Grynszpan, le tout paru chez Casterman.

Ginette : l’humour grivois et bienveillant de Florence Cestac !

Ginette : l’humour grivois et bienveillant de Florence Cestac !

Florence Cestac fait, sans aucun doute, partie des grandes autrices de la bande dessinée. Elle a d’ailleurs gagné le grand prix de la ville d’Angoulème en 2000 (sans les magouilles habituelles…), et le prix Saint-Michel en 2014. Et la voici présente dans un domaine qu’on ne peut que qualifier de hautement grivois !

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L’œuvre de Florence Cestac est extrêmement variée. Elle a toujours voyagé entre la bd adulte et la bd pour jeune public, avec des personnages aux gros nez qui, même dans des scénarios sérieux, font preuve de dérision… D’auto-dérision, tant il est vrai que, ces dernières années surtout, Florence Cestac s’est lancée dans des albums résolument axés sur sa propre existence, son enfance, son éducation, sa famille.

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Les gros nez… Le terme est lâché… Il a longtemps défini ce qu’on a appelé l’école de Charleroi, et Florence Cestac ne s’est jamais cachée de l’influence que Franquin avait eue sur sa passion pour le dessin. Mais on retrouve aussi dans son trait tout en courbes, des réminiscences de Calvo ou de Marijac. En fait, le style, extrêmement personnel de Florence Cestac, s’inscrit dans la continuité d’un art en mouvement mais fidèle, aussi, à ceux et celles qui en ont fait, justement, un art !

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Et la voilà aujourd’hui nous plongeant dans une histoire vive, animée, souriante et, ma foi, « X » !

Le nom de la collection dans laquelle est éditée sa « Ginette » est d’ailleurs sans équivoque : « BD-CUL » !

Qui est cette fameuse Ginette ?

Une professionnelle de la « chose » qui tout au long de sa belle carrière « en a déroulé du câble », et toute seule, sans mac, sans souteneur! Grâce à l’aide protectrice et musclée de Léon Chinchard, un fic de choc qui a été un des premiers clients de la belle allongée en sa belle jeunesse.

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Et Ginette se raconte… Elle décrit ses clients, et Florence Cestac s’en fait l’illustratrice, sans tabou, avec une grivoiserie qui fait du bien, avec un sens de l’humour qui n’est pas sans rappeler celui d’un Bunuel mettant en scène Francis Blanche dans « Belle de jour ».

L’humour est dans les mots, dans les gestes, dans les attitudes, dans les nudités, dans les étreintes.

Il ne s’agit nullement, vous l’aurez compris, d’une œuvre à ambition sociologique ! Et pourtant… Florence Cestac a toujours été une femme engagée, féministe souvent, affrontant les ordres établis par des pouvoirs toujours bien-pensants.

Elle n’échappe pas à cette force qui est la sienne dans ce petit livre que je qualifie, pleinement, de jouissif ! Mais le portrait qu’elle nous fait d’une « putain » ne manque pas de provocation, loin des images habituelles, qu’elles soient morales ou d’Epinal. On est loin, aussi, de l’approche intellectuelle qu’un Sartre en a faite…

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L’érotisme, la pornographie, ce sont des réalités qui font partie intégrante de la condition humaine (pas celle de Malraux, non…). Prendre ces réalités avec humour, c’est leur offrir une place de choix, la place qui est la leur : celle du plaisir, tout simplement…

Et Florence Cestac y parvient avec une simplicité et un constant sourire qui font de ce petit album, vite lu, vite aimé, un moment de lecture bien agréable !

Jacques et Josiane Schraûwen

Ginette (auteure : Florence Cestac – éditeur : BD-CUL – septembre 2021 – 100 pages)

Go West Young Man

Go West Young Man

14 histoires et 75 ans pour revisiter les mythes du western

Tiburce Oger et Hervé Richez, les scénaristes de cet album, aiment l’ouest américain et toutes les légendes qu’il véhicule… Et c’est à ce monde proche toujours de la tragédie qu’ils consacrent cet album, avec l’aide de 15 dessinateurs !

Go West Young Man © GrandAngle

C’est dès ses débuts que la bande dessinée s’est intéressée au western, avec, dès les années 1900, des portraits des figures mythiques de la grande aventure américaine.

Au fil du temps, s’inspirant à la fois des nombreux romans américains (de Louis Lamour entre autres), du cinéma et d’une certaine forme de politique « bien-pensante », les aventures western se sont multipliées. Pendant la guerre 40-45, le magazine Spirou a fait ainsi dessiner Red Ryder par Jijé, avec, en filigrane, l’image d’une certaine forme de liberté que l’occupation nazie supprimait…

Go West Young Man © GrandAngle

Au gré des années et des acceptations de passés peu glorieux, les thématiques propres à ce genre ont évolué, elles aussi, et il faut souligner l’extraordinaire portée du film « Little Big Man » en 1970, après lequel raconter une histoire de la grande Histoire américaine de manière manichéenne devint pratiquement impossible !

Go West Young Man © GrandAngle

En bande dessinée, les choses n’ont pas été différentes. Jerry Spring avait déjà modifié les règles en vigueur dans le domaine du western, Hermann, Greg et Comanche les ont totalement chamboulées…

Et, depuis, bien des dessinateurs, de Fuente à Palacios, de Giraud à Prugne, se sont aventurés dans cet univers tellement particulier. Et ce sont quatorze d’entre eux qu’on retrouve dans ce livre étonnant.

Plutôt que de parler de roman graphique, je préfère décrire ce livre comme un recueil de nouvelles graphiques, de sketches dans le style des films italiens et français des années 50…

Go West Young Man © GrandAngle

Il y a, comme dans ces films, un fil conducteur qui fait toute l’unité de l’album : une montre qui, de récit en récit, passe de main en main, de gousset en gousset…

Tout commence en 1763, avec le dessinateur Prugne, les Indiens, et la variole importée par les hommes blancs. Ensuite, C’est Taduc qui nous dessine l’amour et ses métissages, avant de passer le relais à Blasco Martinez qui rappelle les remous sociétaux du racisme le plus répugnant. Meyer aborde, quant à lui, ce thème souvent mis en scène dans les films des années 40 et 50, le pony express.

Go West Young Man © GrandAngle

Et puis, il y a Meynet et la guerre de Sécession, Bertail et les nouvelles guerres entre Indiens et Blancs, Labiano et les truands qui tuent par peur, Boucq et les voleurs de bétail, Hérenguel, la vengeance et le justice, Blanc-Dumont et Cuzor face à Geronimo, Rossi et les Indiens, encore, Rouge et la fin d’une époque, Toulhoat et Pancho Villa, et, enfin, Gastine qui boucle la boucle en nous parlant d’injustices plus contemporaines.

Ainsi, entre 1763 et 1938, c’est le temps qui égrène l’Histoire…

Oui, au travers d’une montre, c’est le temps le héros de ce livre, un temps qui n’a que le gout du sang.

Go West Young Man © GrandAngle

Mais cette Histoire, dite majuscule, abandonne les oripeaux de la convenance sous la plume de Tiburce Oger et Hervé Richez, se faisant d’abord et avant tout une suite de portraits humains. Des portraits lucides, réalistes, donc dépassant toujours les simples remous iconiques d’un rêve mensonger pour s’enfouir dans ce qui fait vraiment l’humanité : les failles, les violences, les horreurs, les impossibles espérances.

C’est un livre qui, incontestablement, rend un hommage vibrant et réussi à un genre que le neuvième art vénère depuis longtemps, le western.

Go West Young Man © GrandAngle

Je dirais même que cet hommage prend un ton très classique dans sa forme. Chacun des dessinateurs s’est efforcé, avec l’aide de quelques excellents coloristes, de se fondre dans une forme classique, tant

au niveau narratif que graphique. Cela n’en rend que plus puissant encore, sans doute, le propos qui, lui, parvient à écorcher l’image qu’on peut avoir du passé, un passé qui n’est pas le nôtre mais qui ne peut que nous être le miroir de nos propres heures enfuies.

Go West Young Man © GrandAngle

Il m’est impossible de mettre en avant l’un ou l’autre des artistes qui meublent, dans tous les sens du terme, cet extraordinaire livre, tant ils forment un casting parfait ! Et parfaitement talentueux ! Et si j’ai un regret, un seul, c’est de ne pas voir au générique de cette fresque dessinée le nom d’Hermann…

Mais ce n’est qu’un regret tout personnel, qui n’enlève rien au plaisir qui fut mien de me plonger dans un univers qui m’a remis en mémoire Gary Cooper, Clint Eastwood, Dustin Hoffman, Richard Harris…

Jacques Schraûwen

Go West Young Man (scénario : Tiburce Oger, avec la collaboration d’Hervé Richez – 16 dessinateurs et 5 coloristes – éditeur : GrandAngle – novembre 2021 – 111 pages)