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Yezidie !

Un scénario choc, un dessin tout en douceur, un livre puissant qui reste ancré à la mémoire, longtemps après avoir été refermé… Et une chronique en colère !

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2014. Daesh crée son califat, dans la violence, physique et religieuse. Mossoul est tombé. Et les villages, à leur tour, l’un après l’autre, se doivent de prêter allégeance à un pouvoir islamiste absolu.

Dans cet Orient déchiré par des années de guerre et un retour en puissance de l’obscurantisme, le Yézidisme est une religion monothéiste orale qui puise ses références et sa foi dans le Coran comme dans la Bible, entre autres. Les Yézidis forment une communauté kurde, une communauté que les intégristes de l’Islam appellent celle des adorateurs du démon, une communauté prise donc comme cible par Daesh, bien évidemment.

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A chaque village occupé, capturé, les guerriers d’un Islam politique et dictatorial ont la bonté immense de laisser un triple choix aux habitants : la conversion, la richesse ou le glaive !

Devenir musulmans, donc, ou donner tout ce qu’on a à la cause de l’horreur religieuse organisée, ou se faire tuer. Avec, en outre, l’emprisonnement des hommes susceptibles de pouvoir se révolter et, plus horrible encore, des jeunes filles capables de plaire aux maîtres agissant sous le drapeau d’un califat moyenâgeux.

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C’est dans ce contexte que les auteurs, l’excellent Aurelien Ducoudray et l’étonnante Mini Ludvin, nous offrent le portrait d’une jeune fille, Zéré, capturée pour devenir esclave et se faire vendre par Daesh à de riches musulmans.

Oui, l’étonnante dessinatrice Mini Ludvin… Cette artiste, connue pour son grimoire d’Elfie et ses illustrations pour la jeunesse parvient, ici, avec un dessin gentil, joli, à accompagner un récit qui est profondément horrible… Ce dessin n’estompe pas le récit, tout au contraire, il lui permet de prendre vie… De nous raconter librement l’errance de cette jeune fille, Zéré, avec comme horizons des réalités que l’Occident ne réussit pas à combattre : l’esclavagisme des enfants, les luttes dans l’ombre pour en sauver quelques-uns, le fanatisme religieux, la réalité du peuple kurde que d’aucuns cherchent à éradiquer, une vérité sur laquelle les politiciens de chez nous préfèrent fermer les yeux, les trahisons infâmes qui en rappellent d’autres. Des réalités, oui, dont l’Occident, finalement, s’est fait le complice, lui qui laisse impunément s’organiser depuis des années le véritable génocide d’un peuple que l’Islam semble haïr.

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Vous l’aurez compris, ce livre nous ouvre les yeux sur ce qui est en train de se passer, tout près de nous, en fait… Sur une tuerie organisée qui n’est toujours pas terminée… Il nous montre, sans fioritures, sans besoin non plus de démesure dans la description de l’horreur, la totale inutilité humaniste de l’ONU, de l’Europe, de toutes les grandes puissances se croyant les remparts de la démocratie ! Nous ne sommes vraiment plus, dans notre univers fonctionnarisé à l’extrême par un libéralisme déshumanisé, loin de ce qu’était notre monde sous l’égide de l’inutile SDN !

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C’est un livre superbe, dont l’éditeur dit : un scénario comme une claque, un dessin comme une caresse… Au travers de l’histoire, dans laquelle l’imaginaire a peu sa place, c’est d’une jeunesse volée que cet album nous parle, une jeunesse détruite dans la vie, la vraie vie, donc la vraie guerre, donc la vraie mort… Loin de tous les tristes extrémismes qui, de notre côté de la démocratie, prennent une place de plus en plus importante, avides de pouvoir bien plus que de justice humaine !

C’est un livre coup de poing, c’est un album bd qui nous montre ce que nous acceptons, toutes et tous, en acceptant de croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Tout ne peut pas aller pour le mieux dans un monde où des jugements de valeur politique mettent en première place la rentabilité, en deuxième place, le pouvoir, en troisième place la mode et ses manipulations, et, très loin derrière, l’humain… Des gosses qui crèvent dans les mines pour nous construire un avenir meilleur… Des femmes qu’on lapide au nom de dieux tous semblables dans leur non-humanité… Des gamines qu’on vend comme objets sexuels à des dominants à qui nos politiciens ne dédaignent pas de serrer la main…

Une bd à ne pas rater ! Un récit « d’aujourd’hui » ! Une bd qui nous fait réfléchir, une bd qui prend position en nous montrant que les trahisons dans l’horreur et les manipulations sont monnaie courante, et que, finalement, au-delà de l’indignation de façade, ce sont les Kurdes eux-mêmes qui sont obligés de résister… Sans l’aide de Biden, de Michel, de Macron… Résister, et mourir…

Jacques et Josiane Schraûwen

Yézidie ! (dessin : Mini Ludvin – scénario : Aurélien Ducoudray – éditeur : Dupuis – 144 pages – janvier 2023)

Yakari : de la bande dessinée au cinéma

Yakari : de la bande dessinée au cinéma

C’est à partir de ce 12 août que vous allez pouvoir, en famille, aller voir le film Yakari, particulièrement bien réussi !… A découvrir dans une interview en vidéo visible dans cette chronique !

Yakari © Cinéart

Derib est un dessinateur suisse qui appartient au renouveau thématique de la bande dessinée, dès les années 70. Avec, tout d’abord, deux séries destinées plus spécifiquement à un jeune public : Attila, d’une part, scénarisé par Rosy, et Yakari d’autre part, scénarisé par Job. Dans les années 70, il va se lancer dans une série qui, très vite, va devenir essentielle dans l’histoire du neuvième art, dans celle du récit western également : Buddy Longway. Avec, dans le journal Tintin, une scène d’amour mythique entre Buddy et Chinook… Une scène qui, à l’époque, fut redessinée par Eddy Paape…

Derib, copyright Cinéart

Au fil des années, Derib a dessiné bien d’autres héros, de «Arnaud de Casteloup » à « Go West », de « Tu seras reine » à « Jo », de « Pythagore » à « Red road ».

Mais cet auteur éclectique, capable tout autant de parler de Sida que de culture peau-rouge, d’une vache que d’un poulain, n’a jamais délaissé ses deux séries phares, Buddy Longway, jusqu’à ce qu’il décide lui-même de terminer cette série définitivement, comme dans la vraie vie, en 2006, et Yakari. Deux séries dans lesquelles Derib se plonge dans une culture, celle des Indiens d’Amérique du nord, loin des clichés, de quelque ordre qu’ils soient.

Yakari © Cinéart

Yakari en est à une quarantaine d’albums, à un jeu vidéo, à des adaptations télévisées plus ou moins réussies aussi. Et il a droit aujourd’hui à un long métrage.

Au vu de pas mal de films adaptés de bd de ces dernières années (non, je ne citerai personne…), on pouvait avoir peur de cette adaptation-ci. Mais il n’en est rien, que du contraire, tout l’esprit de la série dessinée se retrouve sur grand écran, avec une image lumineuse qui ne trahit en rien le dessin de Derib, avec un scénario qui s’inspire réellement des aventures vécues par le petit indien depuis 1969…

Ce film nous raconte une aventure, celle vécue par Yakari, un petit Sioux, et de son cheval, Petit Tonnerre, celle du pouvoir de ce gamin de parler avec les animaux, celle de la rencontre avec de terribles chasseurs. Ce film, c’est à la fois le récit d’une quête initiatique et la description d’une enfance capable de n’avoir aucun préjugé et d’aimer la nature pour ce qu’elle est : vivante, passionnée, passionnante…

Yakari © Cinéart

Loin des mièvreries trop souvent présentes dans les films dits pour enfants, loin de la trahison quelque peu débilisante de bien des films inspirés par des bandes dessinées, ce Yakari est une excellente surprise, graphiquement et scénaristiquement. Un vrai film familial, oui, qui nous parle aussi des enfants que nous avons étés un jour… Une première vision de ce film eut lieu , avec une interview de Derib que j’ai eu le plaisir de faire…

copyright Fabien Van Eeckhaut/UGC

Jacques Schraûwen

Yasmina et les Mangeurs de patates

Yasmina et les Mangeurs de patates

Permaculture et OGM pour une bd virevoltante et gentiment militante!

Wauter Mannaert est végétarien. Il est donc, incontestablement, dans l’air du temps, selon l’expression consacrée. Mais son livre n’a rien de carré : c’est, selon ses propres dires, un livre rigolo, à savourer sans arrière-pensée, même si son propos fait réfléchir !

Yasmina © Dargaud

En pleine ville, Yasmina a une passion : préparer des bons plats, dans lesquels le légume est roi. Des plats que savoure son père, qui a bien du mal à nouer les deux bouts. Yasmina s’approvisionne chez deux amis, Cyrille et Marco, deux maraîchers dont les méthodes de culture s’opposent ! Elle-même s’occupe de cueillir des plantes sauvages qui agrémentent ses inventions culinaires. Et quand un ingrédient lui manque, elle ne fait ni une ni deux, et s’introduit dans le potager de sa voisine du haut, un potager entre ciel et terre !

Et puis, un jour, apparaît dans ce paysage urbain mêlé de campagne un industriel, Tom de Perre (jolie contrepèterie !…). Un industriel qui empêche Cyrille et Marco de continuer leurs cultures, un industriel, surtout, qui inonde le marché alimentaire de patates sous toutes les formes possibles. Des patates, aussi, surtout, qui exercent, dès la première bouchée, une véritable addiction sur tous les consommateurs !

Yasmina, pour pouvoir continuer à être inventive dans sa cuisine, va donc devoir se lancer dans une vraie enquête policière pour empêcher la patate d’envahir l’humanité !

Pour construire son scénario, endiablé, enjoué, Wauter Mannaert a puisé ses idées, tout simplement, dans le quotidien, dans l’actualité.


Yasmina © Dargaud

Wauter Mannaert : l’idée

Le sujet, reconnaissons-le, est sensible. Et  » nourrit  » quelques extrémismes, de nos jours, qui sont d’une totale intolérance, reconnaissons-le aussi ! Mais Wauter Mannaert n’a vraiment pas voulu faire un livre tristement militant. Et c’est pourquoi sa construction narrative joue d’abord avec les codes habituels de la comédie : des personnages bien typés, une héroïne jeune et dynamique, deux compères qui sont un peu les « Laurel et Hardy » du récit, et un grand méchant totalement caricatural !


Yasmina © Dargaud

Wauter Mannaert : la construcion

Cela dit, Wauter Mannaert est Belge… Habitant d’un petit pays aux mille divisions, d’un petit pays dans lequel ont fleuri des courants littéraires et artistiques essentiels, comme le surréalisme et le fantastique, cet auteur ne pouvait pas renier son appartenance à cet univers de dérision décalée qui est le nôtre ! Il y a donc bien du fantastique dans son scénario, un peu outrancier, forcément surréaliste, de manière à rendre l’histoire racontée improbable mais totalement  » rigolote « , selon les propres mots de ce jeune auteur talentueux… Et donc, apte à faire sourire tous les publics !


Wauter Mannaert : le surréalisme

C’est une bande dessinée à la fois urbaine et campagnarde, comme je le disais plus haut. Et il est vrai qu’à Bruxelles existent encore quelques quartiers qui réussissent à mélanger ces deux mondes. Et ainsi, pour son dessin, Wauter Mannaert n’a pas eu besoin d’aller chercher bien loin. Ce sont les endroits proches de chez lui et les gens qu’il croise tous les jours qui, comme il le dit, ont inspiré ses dessins, ses décors comme ses personnages !


Yasmina © Dargaud

Wauter Mannaert : le dessin

Je ne suis pas végétarien… Je suis « carnassier », et je le revendique… J’ai donc eu un peu d’appréhension en ouvrant cet album, je me dois de l’avouer, avec la peur, oui, de me plonger dans un livre au militantisme frontal, un livre vantant les seuls mérites du légume !

Eh bien, il n’en est rien !

Cet album de bd est virevoltant, son graphisme vif et « rapide », immédiat comme le sont les dessins de blogs, est efficace et plein de charme. Son scénario est sans temps mort, didactique à certains moments, sans jamais oublier de faire sourire. L’ensemble forme un livre véritablement « tous publics », qui peut faire réfléchir, qui montre, surtout, que les choix de chacun, en guise de nourriture comme de convictions quotidiennes, n’ont pas à interférer avec la tolérance et l’humanisme !…

Un très agréable livre, donc, que je ne peux que vous conseiller, à toutes et à tous !

Jacques Schraûwen

Yasmina et les Mangeurs de patates (auteur : Wauter Mannaert – éditeur : Dargaud)


Yasmina © Dargaud