Angoulème 2025

Angoulème 2025

Vous savez combien cette grand-messe du neuvième art offerte à des hordes de chasseurs de dédicaces infantilisés ne me plaît pas, pour une simple raison, c’est que, au niveau du grand prix, on ne peut pas dire que la diversité soit à l’honneur, cette année encore moins que d’habitude !

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Mais à côté de ce grand prix « officiel », soi-disant répondant à un plébiscite (permettez-moi d’en douter, et pas qu’un peu), il y a les « fauves ». Et certains d’entre eux méritent assurément, eux, d’être mis en avant !

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Et tout d’abord, on ne peut que se réjouir du « FAUVE POLAR SNCF » donné à un livre que je considère comme étant le meilleur des albums parus en 2024… « Revoir Comanche » n’est pourtant ni un polar ni un western, malgré ce qu’Angoulème et ses suiveurs disent ici et là… « Revoir Comanche », c’est un livre dont le propos dépasse totalement toutes les conventions de genre littéraire, c’est une œuvre qui, au-delà d’une anecdote, et de par son sujet même, se fait un brillant hommage non seulement aux « anciens » du neuvième art, mais surtout au temps présent, aux hantises de l’âge, aux angoisses de la vie, donc de la mort, tot simplement.

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« Deux filles nues », de Luz, a reçu le FAUVE D’OR… Un prix, cette année en tout cas, qui est véritablement mérité ! (même si, vous le savez, je n’accorde que peu d’intérêt aux prix…) Mais dans cet album étonnant, le dessinateur Luz nous plonge dans l’horreur du nazisme et de ses dictatures, jusque dans la culture, de ses censures, donc, aussi… L’histoire pourrait être celle d’un tableau (réel) des années trente, volé par les nazis, jusqu’à sa restitution après la guerre. Mais c’est surtout l’histoire de cette société-là, celle de la haine, au travers des regards portés par le tableau lui-même… Un dessin vif, aux perspectives parfois surprenantes, par un dessinateur qui fut actif dans Charlie hebdo, pour un sujet qui parle de résistance, de droit à la parole, et de refus essentiel de toute censure.

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Le PRIX DU PUBLIC-France Télévision a été remis, quant à lui, à un album résolument moderne, résolument ancré dans les réalités féminines de notre présent, et avec un talent indéniable ! Alix Garin nous offre avec ce livre une œuvre extrêmement personnelle, comme elle l’avait déjà fait, d’ailleurs, avec « Ne M’oublie Pas »… C’est d’elle que cette autrice belge parle… De sa vie, de sa sexualité, de ses combats quotidiens contre le rejet de la différence ou, pire encore, contre l’indifférence. Une œuvre féminine, féministe, humaine et humaniste surtout !

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Le PRIX SPECIAL DU JURY (ex-aequo) a été remporté par un livre très particulier, dans son format comme dans son contenu, dans son dessin comme dans les nombreux thèmes qui y sont abordés. Redolfi et Deveney nous racontent l’histoire d’un groupe de gens « normaux », pas des héros, attendant qu’une météorite vienne frapper et détruire la Terre… Leur récit, avec un dessin à la fois discret et expressif, n’a rien d’un moment de science-fiction, ni d’un hommage à Tintin ! Il est la description de vous, de moi, de l’amour, de la haine, du racisme, du handicap, des apparences, du monde du travail… Un livre déroutant parfois et qu’il faut lire comme on lit un poème, comme on regarde un tableau…

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Je vais terminer mon tour d’horizon totalement subjectif avec le PRIX JEUNESSE qui nous emporte dans l’après-Fukushima, avec deux enfants, une blogueuse et un gamin qui parle avec l’ailleurs… Il y a de la poésie, de l’humour, de la tendresse, de l’intelligence, du fantastique, autant de qualités du scénariste Laurent Galandon qui méritent mille fois de voir mis en évidence son travail depuis des années !

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D’autres fauves ne manquent pas d’intérêt, c’est vrai, des prix off, aussi, comme « LE PRIX SCHLINGO » donné à « Mamie n’a plus toute sa tête » (dont vous pouvez trouver la chronique faite en son temps sur mon site)… Ce que j’ai voulu, au sujet d’Angoulème, c’est ne parler que des livres que j’ai lus, que j’ai, surtout, aimés… Avec, n’en déplaise à d’aucuns, un véritable éclectisme, tant dans les thèmes abordés que dans les graphismes…

Jacques et Josiane Schraûwen

Albert Roche – Héros de guerre

Albert Roche – Héros de guerre

L’héroïsme, valeur étrange que le monde moderne remet à la mode… Le héros de cette bande dessinée fut-il vraiment un héros? Réponse dans cette petite chronique, peut-être !

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En préambule de cet album, il y a cette phrase : « Tous les grands conflits génèrent des héros, mais parfois ceux-ci ne laissent pas, dans l’Histoire, la trace qu’ils méritent. » !

Je pense, quant à moi, que les vrais héroïsmes, comme les vraies douleurs, sont ou devraient être muettes…

Je pense, depuis très très longtemps, que les héros ne sont que des détails dans des conflits qui renient à l’humain toute vérité pour ne laisser la place qu’à des intérêts mercantiles usant de chair à canon comme s’il s’agissait d’une forme ultime de la sacro-sainte Justice !

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Tout cela pour vous dire que, oui, les « héros » m’emmerdent, eux dont on fait des exemples pour attiser les sentiments les plus bas de l’âme humaine : la mort, l’obéissance aveugle et aveuglée, le degré zéro de l’intelligence… Je parle de ces hommes et femmes que l’Histoire (donc la politique…) a érigés en modèles… Je ne parle pas de la résistance, je ne parle pas de celles et ceux que la vie et ses quotidiens ont choisi pour être « contre » plus que « pour »…

Tout cela, pourtant, pour vous dire que j’ai aimé cet album… Certes, le scénario nous fait découvrir, n’ayons pas peur de le dire, une sorte, justement, d’anti-héros, un presque gamin plus que simple, n’ayant qu’une idée en tête, devenir soldat et sauver la patrie au gré de cette boucherie que fut la guerre 14-18 !

Un benêt… Et qui finit par être engagé pour aller se faire tuer dans les tranchées un peu partout en France. Et la mort, ne voulant pas de lui, en a fait un héros reconnu, applaudi même à la fin de la guerre, et décoré, et tout, et tout…

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Et pourtant, oui, j’ai aimé ce livre ! Le texte de Julien Hervieux, peaufiné, use d’un style digne des patriotes littéraires de ce début de vingtième siècle ici illustré. On pourrait prendre ce texte au premier degré, c’est vrai, mais je préfère, quant à moi, penser que, justement, il permet de mettre en évidence la bêtise de ce désir chez un humain de devenir un héros ! Et quand je parle de bêtise, je suis encore gentil…

Le personnage central, dessiné par Eric Stalner avec tout le talent qu’on lui connaît, a un côté proche, à certains moments, du gamin du film « La Tambour »… Ce qui, également, détourne le propos peut-être trop convenu…

Parlons-en, de ce dessin… Eric Stalner est des dessinateurs réalistes les plus talentueux de la bd, c’est une évidence… Le portrait qu’il nous fait d’un soldat devient ainsi, par les détails de ses dessins, le portrait parfois caricaturé d’une armée qui ne peut, comme toute armée d’ailleurs, qu’être déshumanisée… Et, justement, dans cet art graphique du portrait, Eric Stalner fait merveille, s’approchant au plus près des visages, des regards aussi, nous montrant, par exemple, les yeux émerveillés et éblouis de ce fameux Albert Roche, pauvre gamin de la campagne ayant voulu être héros à tout prix ! Stalner a toujours aimé, également jouer avec les perspectives, et donc avec la construction même de ses planches… Et tout cela, avec un travail phénoménal sur la couleur, fait de cet album un livre passionnant dont le propos, grâce en grande partie au dessin, n’a rien, finalement, d’un hommage aux faux-semblants de l’héroïsme…

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Albert Roche… Un héros oublié… J’ai envie de dire : tant mieux ! Et même si ce n’est pas là le propos initial de cet album, de cette collection même, j’ai pris plaisir à ressentir, en le lisant, le vrai regard critique d’un vrai auteur…

Jacques et Josiane Schraûwen

Albert Roche – Héros de guerre (dessin et couleur : Eric Stalner – scénario : Julien Hervieux – éditeur : Grandangle – septembre 2024 – 64 pages)

Au Pied Des Etoiles – Face à face et côte à côte pour deux auteurs très différents l’un de l’autre

Au Pied Des Etoiles – Face à face et côte à côte pour deux auteurs très différents l’un de l’autre

Un professeur de physique, José Olivares, propose à deux artistes du neuvième art d’aller regarder les étoiles au Chili, et de les dessiner. Nous sommes en 2019. Cinq ans plus tard, voici ce qu’a été ce voyage en humanité…

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Il y a donc, d’abord, ce rêve étrange d’un professeur : faire découvrir à ses élèves le désert d’Atacama au Chili, là où se trouvent les plus grands observatoires sur terre. Atacama, la « porte du ciel »… Et ce prof de Grenoble parvient à convaincre deux auteurs complets, deux auteurs de bd, Emmanuel Lepage et Edmond Baudoin, d’aller donner vie à ce rêve… Deux générations différentes, deux styles graphiques totalement différents aussi, deux approches de la narration presque opposées…

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Un projet étrange… Un projet fou… Qui aurait dû prendre vie dès 2020, mais qui a été retardé à cause de la crise du covid, d’abord, à cause du cancer, ensuite et surtout, face auquel Emmanuel Lepage a dû se battre. Un combat dont il est sorti avec la volonté, farouche, vivante, de le faire, ce voyage au Chili, dans lequel vivent, sous les étoiles, en même temps les survivants, victimes ou bourreaux, d’une dictature répugnante… Et ce voyage, à deux, s’est réalisé finalement en 2021. Pour regarder les étoiles et les dessiner ? Oui… Mais ce but initial a très vite laissé la place à un dialogue entre deux artistes, à deux monologues dessinés et écrits se répondant l’un à l’autre parfois, à deux fusions d’idées, parfois également.

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Il en résulte ce livre… Un livre qui est bien plus qu’un simple exercice de style, bien plus aussi qu’un moment d’existences éphémère. Dans le désert chilien, sous le ciel étoilé, les mots et les dessins échangés parlent d’un autre infini que celui du firmament… C’est un livre dans lequel l’émotion et le sentiment se conjuguent avec un humanisme simple, une amitié sans fioritures. C’est un livre qui redéfinit le sens même du mot « voyage », c’est un album qui parle du besoin de vérité, d’art, de culture, de combat, de résistance, de refus du renoncement. De politique, aussi, loin des salons feutrés d’une Europe à la recherche d’elle-même…

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Oui, c’est un livre profondément humain, un livre de confidences que se font Baudoin et Lepage, l’un à l’autre, et chacun à lui-même. Oui, c’est un livre de voyage, au sens le plus total du terme : des paysages, des traces à même l’âme et la chair, des mots et des dessins qui, sous une forme quelque peu anarchique, révèlent deux hommes debout face à la vie, à ses failles, à ses éblouissements aussi… Une œuvre atypique qui enrichit encore un peu plus le catalogue des superbes éditions Futuropolis !

Jacques et Josiane Schraûwen

Au Pied Des Etoiles (auteurs : Edmond Baudoin et Emmanuel Lepage – éditeur : Futuropolis – 264 pages – mars 2024)