Marsupilami : 34. Marsu Club

Marsupilami : 34. Marsu Club

Trente-quatre albums, déjà, pour cet animal improbable créé par Franquin et repris, sous sa houlette, par Batem… Des hauts, des bas, mais souvent un plaisir tranquille, serein, souriant au rendez-vous des aventures que cette bête (qui ne l’est point) partage avec nous !

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Nous retrouvons des personnages bien connus dans cet album : Diane Fosset, la botaniste amie du Marsupilami et de sa petite famille, Georges, et bien entendu le jeune Hector. Ils sont en ville, prêts à regagner l’Angleterre… La tristesse devrait être au rendez-vous de ces humains, mais ce n’est pas le cas… C’est une sorte d’appréhension, plutôt. Parce qu’Hector a disparu dans cette cité grouillante de passants de toutes sortes… En fait, il s’est transformé, sous l’effet de la magie du sorcier Touhtankilosé, en marsupilami et veut s’installer dans la jungle, auprès de ses amis au pelage jaune et noir…

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Seulement, cet humain devenant animal va découvrir que les codes de la vie en « communauté » ne sont pas ceux que, petit garçon, il connaît… Il devient mâle concurrent, par exemple… Tout cela résultant d’un sens du territoire que Hector n’imaginait pas du tout !

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Et donc, cet album nous raconte deux histoires parallèles… Diane et Georges qui recherchent dans une grande ville le gamin disparu, d’une part, et ce gamin transformé en marsupilami faisant l’apprentissage de la vie animale, d’autre part. Scénaristiquement, Colman fait du bon boulot, multipliant les gags, nous parlant de plein de choses très actuelles, le racisme, l’écologie (celle des vrais scientifiques, pas celle des bobos idéologues), l’entraide, l’amitié au-delà de toutes les différences. Il nous propose, de ce fait, un portrait du jaguar très différent des autres albums… Un méchant un peu con, habituellement, devenant, ici, une sorte de psy dont les marsupilamis, entre autres, vont avoir besoin pour accepter et assumer le départ de leurs amis humains…

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Reconnaissons-le, il y a dans les thématiques abordées dans ce livre quelque chose de convenu… De correspondant aux modes actuelles… Mais c’est fait gentiment, sans idéologie, justement… Et c’est fait, d’abord et avant tout, pour amuser les lecteurs ! Graphiquement, Batem reste pareil à lui-même, prenant plaisir à nous plonger dans des paysages colorés, vivants, grouillants. On reste, avec lui, dans une forme de continuité de qualité de ce que faisait Franquin, sans trahison… Le Marsupilami, qu’on se le dise, ce n’est fort heureusement pas Gaston ! Le Marsupilami est une série qui a évolué, qui ne nous montre pas du tout le même monde, la même société qu’il y a cinquante ans ! C’est une série, désormais, et surtout dans cet album-ci, qui nous parle de « l’ordre des choses » qu’il vaut mieux ne pas perturber… Qui nous parle d’amitiés improbables… De l’identité, aussi… C’est un album gentil, et qui, je trouve, s’éloigne d’un côté écolo-bobo qui était parfois pesant dans les albums précédents.

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Et il y a aussi dans ce livre de bien belles trouvailles graphiques… Comme le langage entre animaux de la jungle, qui se visualise à coups de symboles internautes, émoticons, etc. Il y a des belles trouvailles, aussi, au niveau des références scénaristiques. Comme celle se rapportant au Livre de la Jungle. Le vrai, celui, de Kipling, pas la daube de Disney !… Ou se rapportant à Merlin l’enchanteur, l’excellent film, cette fois, de Disney…

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Au total, un livre réussi, dans la lignée d’une série populaire et, ma foi, parfaitement assumée, la plupart du temps. Dans le scénario, dans le dessin, et dans la couleur de Cerise ! Avec quelques phrases qui, justement, donnent le ton à ce côté populaire de la bd : une forme non pas de morale bien-pensante, mais de lucidité poétique… Comme ces deux citations-ci… « Crois moins et ressens plus. » et « Les pierres sont immobiles parce qu’elles ne rêvent pas. » !

Et c’est vrai que le rêve peut faire bouger la vie… La tolérance… Et que le Marsupilami fait partie des bien beaux rêves dessinés !

Jacques et Josiane Schraûwen

Marsupilami : 34. Marsu Club (dessin : Batem- scénario : Colman – couleur : Cersise – éditeur : Dupuis – mars 2025 – 56 pages)

Un Sombre Manteau – Un récit symbolique et fantastique dans les Pyrénées rurales du dix-neuvième siècle

Un Sombre Manteau – Un récit symbolique et fantastique dans les Pyrénées rurales du dix-neuvième siècle

La bande dessinée espagnole, graphiquement, possède quelques-uns des artistes les plus puissants de ces dernières années… Jaime Martin en fait partie, et cet album en est une preuve éclatante !

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En dédicace de ce livre, Jaime Martin dit : « A Isa, qui me suggérait depuis longtemps de travailler sur la figure des trementinaires. Je l’ai fait à ma manière… parce que j’aime les sujets sombres ».

J’avoue que je ne savais rien de ce terme étrange, et que ma curiosité naturelle (et essentielle…) m’a poussé à aller en découvrir le sens. Il s’agit d’une sorte de métier disparu, en Espagne, celui de la collecte et de la vente d’herbes et de remèdes naturels exclusivement pratiqué par certaines femmes. Et donc j’ai compris que j’allais me plonger, avec ce livre, dans une part de l’Histoire de l’Espagne.

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Mais c’était mal connaître Jaime Martin qui, certes, ancre ses récits, très souvent, dans ce que l’Histoire peut nous raconter de nous-mêmes tout en redéfinissant nos origines, nos racines, mais aime surtout les petites histoires, celles de ces gens qu’on croise, hier comme avant-hier, aujourd’hui comme toujours, en les voyant à peine, en les méprisant toujours… C’était oublier que Jaime Martin, dont le dessin puissant aime se perdre dans les méandres d’une nature toujours indomptée, cultive une forme de fantastique parfois lumineux, parfois horrible, toujours naissant d’un quotidien presque banal…

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Et c’est le cas, évidemment, dans cet album aux envoûtements d’images comme de mots…

Nous nous retrouvons dans un petit village des Pyrénées, en dehors duquel vit Mara, une vieille femme qui parcourt routes et lieux pour vendre ses remèdes à qui en a besoin… Cette guérisseuse, dans cette Espagne loin de toute modernité, éveille comme partout ailleurs, et depuis toujours sans doute, à la fois de la reconnaissance, à la fois de la méfiance, à la fois de la sympathie, à la fois de la peur… Dans l’univers solitaire de cette guérisseuse arrive une jeune femme en fuite d’on ne sait quoi, une jeune femme brisée par la vie, incontestablement, une jeune femme qui, et c’est là le côté fantastique du récit, dialogue avec les Loups.

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Ces deux femmes, la solitaire Mara et la muette Serena, vont unir leurs destinées. Et petit à petit va se construire une narration dans laquelle le lecteur, en même temps que ces deux héroïnes, va découvrir deux fils de mémoire qui, emmêlés, vont permettre à ces deux femmes de redevenir elles-mêmes. Vous pourriez croire qu’il s’agit, donc, d’un récit d’émancipation. C’est en partie vrai, mais en partie seulement ! Parce que Jaime Martin nous restitue, d’abord et avant tout, un monde rural dans lequel la rumeur prend le pas sur la vérité, dans lequel les sentiments n’ont que peu de place, dans lequel le patriarcat est de règle et la nature, en même temps, libre et souveraine…

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Jaime Martin nous montre deux destins, féminins oui, mais universels aussi. Parce ce que cet auteur évite les jugements pour, essentiellement, nous faire aimer ces femmes, nous faire aimer leur pays, leurs voyages, leurs libertés toujours à acquérir. Jaime Martin est un poète graphique qui se promène en même temps dans des contes et des fables qui l’habitent et dans des réalités qu’il veut partager.

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Jaime Martin n’est pas qu’un grand dessinateur… C’est un fabuleux (j’en reviens aux fables…) raconteur d’histoire… Un scénariste qui fait de son récit une sorte de labyrinthe dont il semble, lui comme ses lecteurs, chercher la sortie… Il en résulte un album qui parle d’Histoire, de pauvreté, mais aussi de LA nature… Un album qui parle de mémoire et des arrangements que l’humain a avec ses propres passés… Un album qui mélange les genres, le fantastique et la fable, oui, mais le polar aussi, à l’ancienne, dans une paysannerie où bien des lois se superposent à celles que l’on dit officielles !

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Ce que j’aime dans la bande dessinée, c’est la variété de ses possibles… Les différentes manières que le talent peut avoir pour émouvoir les lecteurs… Ce que j’aime dans le neuvième art, c’est tout sauf les modes et leurs prix officiels, c’est tout sauf les gribouillis que d’aucuns nous présentent comme des chefs d’œuvre… Ce que j’aime dans la BD, c’est me laisser emporter par un besoin d’éclectisme, simplement, mais par le besoin, surtout, de découvrir des univers surprenants, habités !…

Et l’univers de Jaime Martin, croyez-moi, fait partie de ces mondes dessinés et racontés qui me font croire encore en l’intelligence de l’art !

Jacques et Josiane Schraûwen

Un Sombre Manteau (auteur : Jaime Martin – éditeur : Dupuis – mai 2024 – 102 pages)

Moody Rouge – Un manga, une autrice française

Moody Rouge – Un manga, une autrice française

Je ne suis ni fan ni spécialiste de l’univers des mangas, je l’avoue humblement. Par contre, j’ai toujours eu la curiosité de la découverte, le plaisir de franchir des pas au bout desquels la surprise peut être au rendez-vous…

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Et ce fut le cas avec cet album-ci… Un manga, certes… Mais teinté d’une légère forme occidentale, par les lieux décrits, par la construction narrative aussi… Une bande dessinée, simplement, aux codes japonais, mais aux mains d’une jeune autrice européenne au talent évident.

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Moody Rouge, c’est ce qu’on appelle un « manga horrifique ». Un manga dont l’autrice, Ariane Astier, s’approprie les codes propres à ce genre, elle se plonge et nous plonge en même temps dans un univers qui ressemble à un puzzle… Et son récit qui s’inspire à la fois du fantastique occidental, et je pense à Jean Ray et à Stephen King, et à une forme japonaise de conjuguer l’horreur au quotidien, et qui se révèle envoûtant comme tout fantastique se doit d’être.

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C’est un livre, disons-le, déconcertant… Je parlais de puzzle, et le mot me semble bien choisi. La narration se balade, en même temps que son personnage central, entre réel et songe, entre souvenance et réalité, nous donnant, comme à son héros, des pistes de (re)connaissance éparses et nombreuses. Mais c’est aussi un livre dans lequel, comme Ariane Astier me l’a dit, on peut se laisser emporter sans vraies difficultés…

Ariane Astier

Et comme le choix a été fait de traiter le réel à travers le prisme de l’horrifique, on pourrait aussi être déstabilisés, en tant que lecteurs. Derrière les apparences, l’horreur est là, derrière la vie, il y a la mort… et inversement !  Mais cet incessant mélange n’empêche pas la lecture de se faire intéressante, souriante parfois (rarement)…

Ariane Astier

Dans cet album, nous partons, lecteurs en même temps qu’autrice peut-être, à la découverte de Ben, enfant adopté, jeune homme perdu et rêvant de ses vrais parents. Un jeune homme qui, à l’occasion d’un séjour dans les montagnes allemandes, va se sentir attiré par un peintre sombre et étrange, dans son personnage comme dans ses sujets… Et c’est avec cet artiste que le fantastique, et donc l’horreur, va pouvoir jaillir!

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Et cette attirance va l’entrainer dans les méandres de ses souvenances, dans un univers, surtout, où l’horreur la plus terrible devient la règle… On parle de possession, de violence, de vampirisme, de religion, de mort, de trahison, de sang… C’est, en fait, une bd très freudienne, une bd dans laquelle on sent une certaine introspection… Une bd dont le but, aussi, est de parler de la famille, de ses failles, de ses dérives, et donc, au-delà de l’imaginaire, de ses horreurs quotidiennes…

Ariane Astier

La bande dessinée, comme tous les arts, (ainsi que l’art de la peinture, mis en évidence dans les pages de de livre) n’est jamais totalement gratuite dans son propos… Et on ne peur que ressentir, ici et là, la patte d’une vraie créatrice dans ce « Moody Rouge », avec une empreinte parfois très personnelle…

Ariane Astier

Je le disais, cet album est, résolument, un manga. Son graphisme, dès lors, nous offre un dessin clair (même s’il est horrifique…), plein de mouvement, plein de vivacité aussi, d’ombre et de lumière, mais s’approchant au plus près des visages, donc des expressions, pour éviter les exagérations souvent trop présentes dans les mangas originels… Il y a, certes, quelques petites cases dans lesquelles Ariane Astier se laisse aller à du dessin humoristique, mais elles sont là, en quelque sorte, pour aérer un peu le récit, tant pour sa créatrice sans doute que pour ses lecteurs.

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Ce qui est frappant aussi, dans le dessin d’Ariane Astier, c’est le plaisir qu’elle a pris, en quelques endroits, de faire des pleines pages qui abandonnent le noir et blanc pour des mises en couleurs qui, d’un classicisme tranquille, deviennent comme des phares au milieu des ombres de la mort…  

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Et puis il faut insister sur le fait que tous les personnages de ce livre ont une apparence terriblement androgyne. Est-ce pour perdre le lecteur ? Est-ce pour mêler à « l’aventure » une approche « questionnante » de la féminité et de la masculinité ? Est-ce pour créer une ambiance sensuelle et sexuelle, diffuse ? Ou, plus simplement, pour rester totalement dans l’univers du manga ?

Ariane Astier

Ce Moody Rouge n’a rien d’une bluette, vous l’aurez compris… Il est, cela dit, une vraie bande dessinée, à mettre sur le même pied que les bd européennes, que les comics américains lorsque l’important, en racontant une histoire dessinée, réside dans une forme de qualité… Et les qualités artistiques ne souffrant pas de frontières, il est intéressant, et agréable, et important sans doute, en tant que lecteur (et de chroniqueur…) de ne pas avoir d’a priori, et de se souvenir que c’est dans la variété que réside l’art, d’abord et avant tout, et quel que soit cet art…

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Un livre qui, peut-être, semble parfois un peu brouillon dans l’évolution de son « histoire », mais un livre d’auteur, réellement, dont les dessins ne peuvent que plaire, et qui se lit, se découvre, avec plaisir…

Jacques et Josiane Schraûwen

Moody Rouge (autrice : Ariane Astier – éditeur : Casterman – janvier 2025)