Pierre Kroll : deux livres ancrés dans l’actualité

Pierre Kroll : deux livres ancrés dans l’actualité

Chaque année, lorsque s’envolent les feuilles mortes, Pierre Kroll s’amuse à revenir sur son travail de toute une année. Avec, pour 2021, un album supplémentaire concernant la retraite annoncée de l’Allemande Angela Merkel.

Angela 2005 2021

(auteur : Pierre Kroll – éditeur : Kennes – 120 pages)

Angela 2005 – 2021 © Kennes

Angela Merkel s’en va… Et, avec elle, ce sont quelque 16 ans de vie européenne qui se rangent au rayon des souvenances.

On ne peut nier que cette femme politique, issue de l’Allemagne de l’Est, a marqué l’Histoire Européenne de sa présence, de son pouvoir, de son idéologie politique.

Angela 2005 – 2021 © Kennes

Et Pierre Kroll s’est amusé à faire une compilation subjective des dessins qu’il a consacrée à cette femme forte de l’unité (ou de la désunion ?) européenne.

Pierre Kroll : une compilation

Mis bout à bout, dans l’ordre chronologique de leur parution dans la presse, ces dessins nous racontent une femme d’Etat, certes, mais, aussi, en même temps, ils nous racontent l’Europe…

Angela 2005 – 2021 © Kennes

Et, pour que ce récit ait un sens, pour qu’il soit un portrait non seulement d’une femme mais du monde dans lequel elle a « opéré », Kroll a ressenti le besoin d’agrémenter cette suite graphique de quelques textes, qu’il est important de lire. D’abord parce qu’ils replacent les dessins dans leur contexte historique, ensuite parce que ces commentaires sont aussi ceux d’un auteur vis-à-vis de son seul travail.

Pierre Kroll : le texte

Kroll nous montre notre monde, avec humour, sans occulter la réalité d’un pouvoir qui parfois, semble absolu. Le pouvoir d’une femme… Un pouvoir que les dessins de Kroll n’occultent en rien, tout en y ajoutant aussi ce que furent, pendant ces seize ans, les lâchetés européennes, donc les lâchetés de Merkel et de ses « consorts » nombreux et, finalement, eux, interchangeables !

Pierre Kroll : le pouvoir

Ce qui est frappant dans ce livre, c’est l’impertinence de l’auteur… Pas sa méchanceté, non, mais son plaisir, en des instantanés graphiques, à égratigner une femme qui, sans aucun doute, a dirigé réellement l’Europe.

Ce livre, en fait, c’est une visite touristique et humoristique dans une institution pleine de remous (Grèce, Brexit, Italie, France), une visite qui n’empêche pas la réflexion…

Angela 2005 – 2021 © Kennes

Parce que c’est cela aussi, l’intérêt de cette mise en perspective : permettre au lecteur, au spectateur, de pouvoir aller plus loin que la seule communication officielle. Et la force de Kroll, outre sa façon d’être toujours très proche de l’actualité, c’est en effet, cette impertinence… Le plaisir qu’l prend à dépasser les seules limites de l’info… Même quand il prend plaisir à dénuder la chancelière !

Pierre Kroll : Merkel dénudée

Piqûres de rappel

(auteur : Pierre Kroll – éditeur : Les Arènes – octobre 2021)

Piqûres de rappel © Les Arènes

Ce livre-ci s’inscrit dans la tradition déjà bien ancrée des parutions de fin d’année de Pierre Kroll. La surprise ne vient pas, donc, des dessins publiés dans ce livre, mais dans le choix que Kroll a décidé d’opérer dans ces dessins.

Dessinateur de presse, Pierre Kroll, comme ses confrères, travaille en parallèle des journalistes.

Piqûres de rappel © Les Arènes

Cela dit, le dessin de presse s’apparente-t-il à du journalisme ? Oui, puisqu’il s’inscrit véritablement dans la construction d’un journal, d’une revue. Non, parce que le dessinateur se doit de présenter un regard personnel, donc empreint de subjectivité, sur un fait d’actualité. A ce titre, on peut dire que le dessin de presse est une forme graphique d’un travail d’éditorialiste.

Pierre Kroll : Merkel dénudée

Ce qui est frappant, ainsi, dans une époque comme la nôtre où le « politiquement correct » prend de plus en plus de place dans le quotidien de tout un chacun, c’est que Pierre Kroll ne se contente pas, loin s’en faut, de se faire l’écho des discours officiels.

Piqûres de rappel © Les Arènes

Le dessinateur de presse, au-delà du seul aspect journalistique de son approche de l’actualité, a donc une marge de manœuvre qu’on pourrait assimiler à une vraie liberté… Une liberté qui, malgré tout, a toujours des limites !

Pierre Kroll : la liberté

Ce « Piqûres de rappel », évidemment, parle essentiellement du covid et de la façon dont le monde politique l’a ( ???) géré… De la manière, aussi, dont la population l’a subi, et a subi bon gré, mal gré les mille et uns décrets et diktats du pouvoir politique.

Piqûres de rappel © Les Arènes

Et un des talents de Pierre Kroll, c’est d’être à l’écoute, d’être un observateur et, dès lors, de laisser ses personnages, ses « petits mickeys », parler eux-mêmes de leurs convictions. Je n’irais pas jusqu’à dire, bien entendu, que Kroll évite ainsi de « prendre position », de dire ce que sont ses convictions personnelles ! Mais il fait là, à mon humble avis, une véritable approche journalistique que ses collègues, les « vrais » journalistes font, il faut bien le reconnaître, de moins en moins souvent : laisser la parole à tout le monde, laisser s’exprimer tous les avis, avec des pistes de jugements, avec, surtout, des fenêtres ainsi grandes ouvertes sur des paysages dans lesquels le dialogue et l’analyse sont possibles…

Piqûres de rappel © Les Arènes

C’est cela, la démocratie, également…

Et Pierre Kroll nous montre l’importance d’un dessin de presse qui, non inféodé, se doit, aujourd’hui plus qu’hier encore, de nous faire sourire, de nous faire réfléchir !…

Jacques Schraûwen

Pierre Kroll © DYOD

Kivu

Signé Christophe Simon et Jean Van Hamme, ce livre permet de mieux découvrir le travail du prix Nobel de la Paix, le docteur Mukwege… Grâce surtout à un dessin classique et d’une superbe efficacité !

 

Kivu © Le Lombard

 

Une bd comme celle-ci s’ancre profondément dans l’actualité, c’est une évidence. D’autant plus qu’un des personnages croisés dans cet album vient de recevoir le Prix Nobel de la Paix.
Cela dit, si on s’en tient uniquement au scénario de Jean Van Hamme, cette personnalité extraordinaire n’est pas du tout le centre du récit que nous livre le scénariste. Van Hamme veut nous parler d’une situation qu’aucun pays civilisé ne devrait accepter, certes, mais il le fait en multipliant ses angles d’attaque, en se perdant dans des considérations généralistes, en ne parvenant pas à être un vrai dialoguiste, non plus… Ses scénarios tournent très souvent autour du pouvoir, de l’argent, et c’est à partir de ces deux thèmes qu’il aime construire ses intrigues, que ce soit pour Treize ou pour Largo Winch par exemple.
Ici, ce « truc » me semble occulter le fond du propos, essentiel, qui est celui, simplement, de l’humanisme héroïque du docteur Mukwege, et celui d’autres personnages aussi, trop vite esquissés, dans une région du monde où l’humain semble pourtant ne plus avoir sa place !
Cela dit, Christophe Simon parvient, avec talent, à sortir de ce canevas, et à nous livrer, graphiquement, une histoire qui, elle, laisse la place à l’humanisme, à l’émotion. Et même si le début de l’album se révèle, de par son dessin, assez dure, presque « voyeur » même, l’évolution du récit de « Kivu » se fait, progressivement, infiniment plus proche à la fois des humains et des paysages dans lesquels ils vivent.

Kivu © Le Lombard

GENESE

EVOLUTION DU RECIT

 

C’est un livre important, sans aucun doute. Il nous plonge dans la réalité de cette province du Congo, une province dans laquelle la violence est quotidienne, dans laquelle vivre est une gageure de tous les jours… Dans ce livre, on suit les pas de plusieurs personnages… Des pseudo-militaires corrompus et vicieux… Un ancien mercenaire, un jeune Belge qui perd ses illusions, une gamine qui se fait presque violer, son frère enfermé et torturé. Et le docteur Mukwege, son dispensaire, son travail exceptionnel auprès des femmes au corps détruit par les réalités inacceptables d’une guerre qui cache son nom…
La partie la plus intéressante de ce livre, humainement parlant, est celle qui nous montre le travail, justement, de ce médecin exceptionnel. Christophe Simon réussit à nous le faire ressentir profondément, grâce, incontestablement, aux quelques jours qu’il a vécus, là-bas, dans cet hôpital de Panzi où le quotidien se vit d’horreur et d’espérance…

Kivu © Le Lombard

SUR PLACE

 

C’est un livre réussi, dans la mesure où il met en évidence, au travers d’une fiction, ce qui se vit aujourd’hui, au jour le jour, pour des êtres humains qui cultivent la haine en se faisant haïr pour des raisons qui ne sont que des raisons de pouvoir.
Un livre réussi par son graphisme, celui de Christophe Simon, un dessin classique qu’on avait admiré dans sa reprise de Corentin… Un dessin qui, incontestablement, se nourrit des regards qui ont été les siens dans ce pays déchiré depuis tant de temps. De cette région du monde dans laquelle le coltan, minerai essentiel pour toutes les technologies qui paraissent essentielles à la société occidentale, provoque les pires des exactions et, finalement, a plus d’importance que la vie d’un enfant ou d’une femme… Là, le scénario de Jean Van Hamme atteint parfaitement son but, avec le soutien du dessin de Christophe Simon.
Un dessinateur de bd, avec un livre comme celui-ci, oui, c’est un témoin…

Kivu © Le Lombard

TEMOIN

 

Je me dois aussi de souligner l’excellent travail du coloriste, Alexandre Carpentier, qui ne se contente pas de nous donner des ambiances tant de fois vues… Il parvient à capter les lumières propres à la RDC, à en faire des éléments de décor presque palpables… Il y a dans ses couleurs de la moiteur, des senteurs, de la vie…

 

Kivu © Le Lombard

COLORISTE

 

C’est un livre qui doit être lu, croyez-moi, même si mes propos vis-à-vis du scénario sont mitigés… Van Hamme a le talent de pouvoir, c’est évident, « raconter une histoire, créer une aventure ». Je pense que ce biais-là aurait pu être évité ici…
Mais cela reste, outre le propos important, humaniste, cela reste, oui, un livre agréable à lire… Intéressant, à condition de dépasser, en tant que lecteur, la passivité à laquelle tellement souvent Van Hamme soumet ses lecteurs ! Et pour ce faire, tout un chacun pourra s’attarder sur le dossier qui termine cet album…

 

Jacques Schraûwen
Kivu (dessin : Christophe Simon – scénario : Jean Van Hamme – couleurs : Alexandre Carpentier – éditeur : Le Lombard)

Kid Lucky : Suivez La Flèche

Kid Lucky : Suivez La Flèche

Revoici la jeunesse de Lucky Luke : des saynètes à l’humour bon enfant que les enfants, justement, aimeront, tout comme leurs parents !…

Suivez La Flèche © Lucky Comics

 

Nombreux sont les amateurs de BD qui regrettent cette mode qui, depuis des années, fait renaître des personnages après la mort de leurs créateurs. Il est vrai que cette tendance fait  se côtoyer le pire et le meilleur.

C’est d’ailleurs le cas, reconnaissons-le, avec Lucky Luke, même si c’est de son vivant que Morris a voulu et a entamé la poursuite des aventures de son héros par d’autres dessinateurs, par d’autres  scénaristes également. Il y a eu dans ces albums quelques réussites, il y a eu également quelques échecs qui ne firent qu’à peine sourire les lecteurs. Avec Kid Lucky, les choses sont différentes. Achdé réinvente l’enfance de Lucky Luke, et, ce faisant, s’éloigne des codes assez précis de la série originelle, sans pour autant en trahir l’ambiance.

Ici, dans ce quatrième volume de cette série, il met d’ailleurs en scène, au départ, un Lucky Luke adulte. Mais un Lucky Luke qui, confronté à un enfant qui se pose des questions sur sa naissance, se souvient qu’il fut lui-même un enfant adopté.

          Suivez La Flèche © Lucky Comics

 

Dans la bande dessinée destinée à la jeunesse, on n’est plus, heureusement d’ailleurs, dans cet univers quelque peu feutré d’antan où les réalités problématiques de l’existence étaient gommées pour ne pas heurter ceux qu’on appelait les petites têtes blondes. Zep est passé par là, Spirou aussi, et bien d’autres dessinateurs, au fil des années, ont dépoussiéré les formes de narration destinées à l’enfance, ôtant de celles-ci, de plus en plus, toute référence à des morales qui, de toute façon, comme le disait Ferré, sont et seront toujours les morales des autres !

Donc, dans cet album-ci, on parle d’adoption. Donc d’abandon d’enfant, donc d’éducation, donc de rôles parentaux au sens large du terme.

Mais le tout est traité avec humour, bien évidemment. Et s’accompagne surtout, du portrait d’une vie quotidienne dans le grand ouest américains, au travers des yeux d’un enfant, et de la bande de ses copains, ou de ses non-copains !

Et là, les codes de la narration à la « Morris » sont bien présents : le découpage, d’abord, est extrêmement classique, les couleurs sont celles que l’on voyait dans les albums de Morris, lumineuses sans pour autant chercher d’effet, le trait est vif, allant l’essentiel dans pratiquement toutes les cases. Les méchants sont bêtes et toujours battus en brèche, qu’ils soient adultes ou enfants. Mais ces codes laissent la place aussi à l’amitié, surtout, au regard, déjà tolérant, de Lucky Luke enfant.

Et puis, il y a la « marque de fabrique » de cette série : les notes de bas de page, des petites réflexions qui, sur base historique, replacent le contenu du gag e-ou du récit dans son contexte véridique. On découvre d’où vient l’encre, la puissance de l’arc des indiens face aux armes des hommes blancs, le pourquoi  de l’absence de vitre dans les diligences, Et les origines de Jolly Jumper !

 

          Suivez La Flèche © Lucky Comics

 

A la fois didactique (mais jamais lourd, loin s’en faut) et amusant, ce « Suivez la flèche » est une vraie réussite dans soin genre. Les puristes ne devrait pas y trouver grand-chose à redire, Achdé ayant réussi à faire de son jeune héros autre chose qu’un simple rajeunissement d’un héros mythique. A l’instar du Petit Spirou, mais de manière plus douce, plus sage ai-je envie de dire, Kid Lucky existe par lui-même, et c’est bien par là qu’on peut dire que cette série, POUR TOUS LES PUBLICS, mérite assurément d’exister, et d’être lue !

 

Jacques Schraûwen

Kid Lucky : Suivez La Flèche (auteur : Achdé – couleurs : Mel – éditeur : Lucky Comics)