André Juillard: l’ultime départ d’un des immenses artistes du neuvième art!

André Juillard: l’ultime départ d’un des immenses artistes du neuvième art!

Un homme que j’ai rencontré quelques fois… Un homme passionnant, passionné…

copyright schrauwen

Il y a des jours où on n’a pas vraiment envie d’écrire, de parler… Il y a des jours où la vie se montre telle qu’elle est, chemin conduisant à l’inéluctable du départ… Il y a des jours où la mémoire se fait cruelle aux miroirs d’un présent qui éveille, une fois de plus, des souvenances de larmes souriantes…

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André Juillard s’en est allé dans des territoires du souvenir que ses livres emplissent de son talent, de sa générosité, de sa gentillesse.

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Il avait 76 ans, 76 printemps… que lui soit douce la route vers l’ailleurs… Je n’en dirai pas plus… Mais pour le retrouver, suivez simplement les liens qui mènent à des chroniques que je lui ai consacrées… Carnets secretsDouble 7, avec une interview de Juillard… Le testament de William S., avec, également, du son d’André Juillard…

Jacques et Josiane Schraûwen

Chez Adolf – une série qui, d’année en année, nous fait découvrir le quotidien allemand de la guerre 40-45

Chez Adolf – une série qui, d’année en année, nous fait découvrir le quotidien allemand de la guerre 40-45

Quatre albums, pour une série complète, pour des portraits humains sans manichéisme… Une excellente série !

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D’album en album, nous suivons le destin de Karl Stieg, locataire dans un immeuble appartenant à un bistrotier qui a, en 1933, changé le nom de son établissement pour, tout simplement, l’appeler de son prénom, « Chez Adolf »… Et d’album en album, d’année en année, de 1933 à 1945, c’est le parcours humain et quotidien des habitants de cet immeuble de Hambourg qui nous est conté.

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La montée du nazisme ainsi, est montrée et racontée sans emphase, sans jugement a posteriori non plus. Cette idéologie n’est pas née de torpeur imbécile, loin s’en faut, mais de révolte, de sentiment d’injustice, d’une forme collective d’humiliation. L’Histoire actuelle n’est-elle pas, à ce titre, en train de dangereusement hoqueter ?

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Et donc, dès l’arrivée au pouvoir du chancelier Hitler, c’est toute l’Allemagne qui, progressivement, va se fanatiser autour de cet homme aux discours charismatiques, ou, plus simplement, subir un pouvoir qui, ouvertement, s’est installé, avec ses réalités culturelles, racistes, dictatoriales. Rodolphe, le scénariste de cette saga en quatre volumes, a fait le choix de ne pas nous mettre en présence de héros ou de crapules… Sa façon de décortiquer la grande Histoire est de s’approcher au plus près des gens tels qu’ils sont, et de nous montrer parfois leur lâcheté, parfois leur courage, souvent leur indifférence teintée de peur.

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Le tout début du dernier opus, qui nous montre le célèbre joueur de flûte et les enfants qu’il entraîne vers la mort, est un parfait résumé de ce que les Allemands, chez eux, ont subi, ont dû subir… Avec les jeunesses hitlériennes, par exemple, qui ont formaté toute une génération d’individus obéissants et totalement dépendants… Et c’est bien aux ordres d’un joueur de flûte à la triste moustache que tous les protagonistes de cette série ont dû, bon gré ou mal gré, obéir. Même le personnage central, Karl, professeur dans l’obligation de fermer les yeux, jusqu’à même s’inscrire au parti unique…

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Ce n’est pas un huis-clos que cette série de quatre albums. Mais l’essentiel du quotidien de cette guerre se vit dans un immeuble. C’est là qu’on voit évoluer, intellectuellement, ouvertement ou silencieusement, les personnages. D’espoir infini en désespoir total, de victoires claironnées en défaites meurtrières, ces êtres humains ne sont ni des victimes ni des héros. Pas d’héroïsme, en effet, ici… C’est une histoire à taille humaine, une histoire dans laquelle, malgré l’inéluctable d’une mort annoncée, l’amour et le désir charnel sont comme des barrières dressées face à l’horreur quotidienne.

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C’est un récit qui se découvre un peu au rythme d’une mémoire racontée, se racontant. Un récit qui, ainsi, pose des questions qui ne sont pas que ponctuelles, anecdotiques.

Comment et pourquoi vivre dans un pays fanatisé et assassin de toute liberté ?

Comment et pourquoi continuer à vivre sans se révolter, sans résister ?

Comment l’humain peut-il encore survivre à toutes les défaites qu’il subit, à toutes les horreurs dont, parfois, il est le complice muet, le membre de ce qu’on appelle depuis 1968 la « majorité silencieuse »… La plus dangereuse de toutes les majorités, finalement !

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Comme à son habitude, quand il aborde des sujets historiques, Rodolphe place son scénario dans un contexte historique très finement et sérieusement documenté… Nous parlant, par exemple, de l’escadrille Léonidas dans laquelle des jeunes militaires allemands se savaient condamnés à mourir pour la patrie et son guide.

Ses dialogues, comme toujours aussi, sonnent juste…

  • « Comment dire merci ?… En vivant heureux !
  • Le malheur n’est pas une fatalité. »

Et sa manière de ponctuer son long récit de quatre albums, en nous disant en quelques lignes ce que sont devenus ses anti-héros est une façon fine et intelligente de nous plonger une dernière fois dans une histoire humaine se vivant dans une continuité individuelle, malgré tout, toujours…

Le dessin de Ramón Marcos, d’un réalisme tranquille, ai-je envie de dire, est fait de contrastes, d’approche graphique soutenue des visages de ses personnages. Karl, ainsi, a pratiquement l’air tout le temps impassible, le dessin participant de cette manière à la définition intime de cet homme, axe central du récit. Son dessin restitue aussi, pour créer des ambiances oppressantes, les décors d’une ville qu’on voit, d’album en album, n’être plus qu’un réseau de décombres. Et n’oublions pas l’importance de la couleur, celle de Dimitri Fogolin, qui, à sa manière, évite toutes les exagérations pour privilégier la sensation à l’ostentation.

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Que dire encore que vous n’auriez pas saisi dans les quelques lignes que je viens décrire ?

Ces quatre albums sont plus que de simples réussites. Ils prouvent que la bande dessinée peut aussi restaurer à l’Histoire sa perspective de quotidien et d’humain. En une époque où on nous reparle, la voix tremblante, de pays, de patrie, de résistance, il est important, me semble-t-il, que pour parler de la guerre 40/45, on ne se sente pas obligé de parler de combats aux héroïques relents souvent nauséabonds.

Jacques et Josiane Schraûwen

Chez Adolf – quatre volumes (dessin : Ramón Marcos – scénario : Rodolphe – couleur : Dimitri Fogolin – éditeur : Delcourt – février 2024 pour le dernier tome)

La Fille De Rokubei – Fantastique à la japonaise et bande dessinée argentine

La Fille De Rokubei – Fantastique à la japonaise et bande dessinée argentine

La bd est un langage, tout le monde le sait désormais, qui dépasse les frontières… Chaque culture a sa façon de faire de cette réalité artistique un outil de partage… Et c’est toujours un plaisir que de voir deux mondes différents, deux patrimoines presque antinomiques se mélanger intimement, comme dans ce livre-ci.

copyright ilatina

La fille de Rokubei se prénomme Yaomi. Et ce livre nous permet de la découvrir dans deux contes différents. Yaomi, c’est une jeune femme belle, serviable, dont la grâce est le centre de gravité d’un petit village aux fins fonds du Japon. Seulement voilà, la beauté a toujours, dans tous les contes pour enfant ou adultes, excité la convoitise. Et la belle Yaomi intéresse énormément l’esprit sombre de la forêt… Rokubei va engager des guerriers exceptionnels pour la sauver…

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Dans le second conte, un couple d’amants est poursuivi par des chasseurs de démons et ne trouvera peut-être son salut qu’auprès d’une Yaomi ayant, à sa manière, choisi de vivre loin de son village…

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Tout cela ressemble très fort à de la bd japonaise… Mais ce n’est, en fait, qu’une ressemblance, puisque cet album est dû à un duo argentin, Mazzitelli au scénario et Alcatena au dessin.

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Un scénario qui est un peu comme un hommage à ces récits épiques japonais qui mêlent monstres et humains dans des combats démesurés mais toujours ancrés dans la vérité sociale des protagonistes. Le réel et le fantastique qui se mélangent, intimement, et créent un univers à la fois réel et follement imaginé…

Thomas Dassance

Et le dessin d’Alcatena porte ce récit en un noir et blanc somptueux, avec tantôt des larges applications de noir, et tantôt des ciselures à l’encre de Chine, avec un travail sur l’horreur, la violence, la cruauté, un travail d’une belle intensité, avec un sens des perspectives qui illumine les planches.

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On se trouve bien devant une bd totalement originale, même si les influences, tant scénaristiques que graphiques, sont évidentes parfois… Mais ne se trouvent pas toujours là où on pourrait les imaginer ! La bande dessinée est un langage universel, oui, et cet album étonnant en est une preuve.

Thomas Dassance

Notre société s’est, depuis plusieurs années maintenant, en effet frottée, artistiquement parlant, à bien des influences… Le manga, ainsi, a pris une place importante, éditorialement, et a influencé bien des productions européennes.

copyright ilatina

Mais que connaissons-nous de la bande dessinée africaine ?… Que connaissons-nous des conditions dans lesquelles se font des bd, en Afrique, en Amérique du sud, en Asie, dans les pays balkaniques ? En Argentine… Et la maison d’édition de cette « fille de Rokubei » est née de la passion d’un homme, Thomas Dassance, pour une Argentine aux talents exceptionnels et malheureusement boudés par l’intelligentsia parisienne…

Thomas Dassance

ILatina, une maison d’édition aux choix précis, pour un travail éditorial d’excellente qualité, tant dans l’impression que dans l’objet lui-même que représente chaque livre édité ! Un éditeur qui, sans ostentation, sans tape-à-l’œil, nous fait découvrir une bd foisonnante, étonnante, une bande dessinée argentine dont quelques traits généraux forment, en quelque sorte, l’adn.

Thomas Dassance

Un livre surprenant, sans aucun doute… Un éditeur passionné et passionnant… Une maison d’édition à découvrir, donc, à suivre de près, en étant certain qu’elle nous réserve encore bien des surprises !…

Jacques et Josiane Schraûwen

La Fille De Rokubei (dessin : Alcatena – scénario : Mazzitelli – éditeur : ILatina – février 2024 – 224 pages)

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