Albert Roche – Héros de guerre

Albert Roche – Héros de guerre

L’héroïsme, valeur étrange que le monde moderne remet à la mode… Le héros de cette bande dessinée fut-il vraiment un héros? Réponse dans cette petite chronique, peut-être !

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En préambule de cet album, il y a cette phrase : « Tous les grands conflits génèrent des héros, mais parfois ceux-ci ne laissent pas, dans l’Histoire, la trace qu’ils méritent. » !

Je pense, quant à moi, que les vrais héroïsmes, comme les vraies douleurs, sont ou devraient être muettes…

Je pense, depuis très très longtemps, que les héros ne sont que des détails dans des conflits qui renient à l’humain toute vérité pour ne laisser la place qu’à des intérêts mercantiles usant de chair à canon comme s’il s’agissait d’une forme ultime de la sacro-sainte Justice !

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Tout cela pour vous dire que, oui, les « héros » m’emmerdent, eux dont on fait des exemples pour attiser les sentiments les plus bas de l’âme humaine : la mort, l’obéissance aveugle et aveuglée, le degré zéro de l’intelligence… Je parle de ces hommes et femmes que l’Histoire (donc la politique…) a érigés en modèles… Je ne parle pas de la résistance, je ne parle pas de celles et ceux que la vie et ses quotidiens ont choisi pour être « contre » plus que « pour »…

Tout cela, pourtant, pour vous dire que j’ai aimé cet album… Certes, le scénario nous fait découvrir, n’ayons pas peur de le dire, une sorte, justement, d’anti-héros, un presque gamin plus que simple, n’ayant qu’une idée en tête, devenir soldat et sauver la patrie au gré de cette boucherie que fut la guerre 14-18 !

Un benêt… Et qui finit par être engagé pour aller se faire tuer dans les tranchées un peu partout en France. Et la mort, ne voulant pas de lui, en a fait un héros reconnu, applaudi même à la fin de la guerre, et décoré, et tout, et tout…

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Et pourtant, oui, j’ai aimé ce livre ! Le texte de Julien Hervieux, peaufiné, use d’un style digne des patriotes littéraires de ce début de vingtième siècle ici illustré. On pourrait prendre ce texte au premier degré, c’est vrai, mais je préfère, quant à moi, penser que, justement, il permet de mettre en évidence la bêtise de ce désir chez un humain de devenir un héros ! Et quand je parle de bêtise, je suis encore gentil…

Le personnage central, dessiné par Eric Stalner avec tout le talent qu’on lui connaît, a un côté proche, à certains moments, du gamin du film « La Tambour »… Ce qui, également, détourne le propos peut-être trop convenu…

Parlons-en, de ce dessin… Eric Stalner est des dessinateurs réalistes les plus talentueux de la bd, c’est une évidence… Le portrait qu’il nous fait d’un soldat devient ainsi, par les détails de ses dessins, le portrait parfois caricaturé d’une armée qui ne peut, comme toute armée d’ailleurs, qu’être déshumanisée… Et, justement, dans cet art graphique du portrait, Eric Stalner fait merveille, s’approchant au plus près des visages, des regards aussi, nous montrant, par exemple, les yeux émerveillés et éblouis de ce fameux Albert Roche, pauvre gamin de la campagne ayant voulu être héros à tout prix ! Stalner a toujours aimé, également jouer avec les perspectives, et donc avec la construction même de ses planches… Et tout cela, avec un travail phénoménal sur la couleur, fait de cet album un livre passionnant dont le propos, grâce en grande partie au dessin, n’a rien, finalement, d’un hommage aux faux-semblants de l’héroïsme…

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Albert Roche… Un héros oublié… J’ai envie de dire : tant mieux ! Et même si ce n’est pas là le propos initial de cet album, de cette collection même, j’ai pris plaisir à ressentir, en le lisant, le vrai regard critique d’un vrai auteur…

Jacques et Josiane Schraûwen

Albert Roche – Héros de guerre (dessin et couleur : Eric Stalner – scénario : Julien Hervieux – éditeur : Grandangle – septembre 2024 – 64 pages)

Tout Est Vrai – Philippe Geluck et sa (ses ?) vie(s) – interview…

Tout Est Vrai – Philippe Geluck et sa (ses ?) vie(s) – interview…

Je sais… Tout le monde a déjà parlé de ce livre, sorti de presse en octobre dernier ! Mais je ne changerai pas, et j’aime qu’un livre, quel qu’il soit, ait une durée d’existence qui ne soit pas uniquement dépendante de la saison !

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En outre, c’est Philippe Geluck, dans cette chronique, qui va vous parler le mieux de SON livre !

Le Chat, personnage iconique de Geluck, n’est bien évidemment pas absent de cet album, et c’est tant mieux ! Mais cette fois, il n’en est ni le centre égocentrique ni la seule vedette ! Philippe Geluck, avec cet album, se plonge et nous plonge en même temps dans ce qu’est sa vie…

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Mais tranquillisez-vous, il ne s’agit nullement de « mémoires » pompeuses écrites par des individus se réinventant le plus souvent des souvenances pour avoir l’impression de « briller ». Il ne s’agit pas non plus d’un recueil de souvenirs mis bout à bout chronologiquement. Mais d’une sorte de balade qu’un auteur raconte, non au travers de son œuvre, mais dans son existence, au hasard de ce que son présent a envie de lui remettre en lumière.

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C’est un livre d’anecdotes, d’impressions, d’amitié, de rencontres, écrit par un homme public qui, sans toujours parvenir à s’éloigner du clinquant des médias, réussit cependant à nous parler, avec vérité (en tout cas, c’est ce qu’il affirme) de lui-même, de ce qu’il aime. Un livre d’anecdotes, oui, et c’est de cela que Philippe Geluck a commencé à me parler… On l’écoute !….

Philippe Geluck

Jacques et Josiane Schraûwen

Tout Est Vrai (auteur : Philippe Geluck – éditeur : Casterman – octobre 2024 – 144 pages)

Michel Schetter : un dessinateur farouchement indépendant

Michel Schetter : un dessinateur farouchement indépendant

Il avait 76 ans. Il est mort il y a une semaine. Avec lui, c’est un auteur libre qui disparaît, un dessinateur réaliste dont les sujets semblaient ne plaire ni aux éditeurs ni aux collectionneurs…

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La grande histoire de la bande dessinée n’a rien de linéaire, et elle a souvent été un combat entre auteurs et éditeurs… Entre patrons et employés… On ne peut que se rappeler, par exemple, des luttes d’ego au sein du studio Hergé !

J’avoue ne pas connaître les raisons qui ont poussé, un jour, Michel Schetter, à claquer la porte du monde des maîtres-éditeurs, mais cela ne l’a pas empêché, le plus possible, malgré les embûches inhérentes à la vie indépendante, de continuer à dessiner, à écrire, à créer…

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C’est au début des années 70 qu’il apparaît dans le paysage des petits mickeys, avec l’Oncle Paul, avec de la colorisation pour Tibet. Passant de Spirou à Tintin, il va se lancer résolument dans la bande dessinée réaliste, avec un graphisme restant dans l’évidente lignée de la tradition de cette approche du neuvième art.

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Mais c’est grâce à sa collaboration avec l’éditeur Jacques Glénat que Michel Schetter va devenir « lui-même », auteur complet de la série « Cargo ». On y trouve tous les ingrédients de l’aventure avec un A majuscule : des femmes fatales, des lieux exotiques, des rebondissements sans fin, des combats, de la haine, de l’amour, de la trahison… On est presque, à certains moments, dans une ambiance à la Bob Morane, mais sans mythologie du héros parfait, avec une vraie construction narrative aussi.

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Tantôt dessinateur, tantôt scénariste, Michel Schetter a décidé un jour de l’année 1990 de ne plus dépendre que de lui-même. En une époque où l’auto-édition était considérée comme un pis-aller pour les pseudo-esthètes de la bd, Michel Schetter, pour ne pas avoir sans doute à se trahir, à dépendre de diktats qui ne lui correspondaient pas, s’est plongé dans une aventure artistique et humaine avec passion… Et il s’est ainsi retrouvé dans une sorte d’univers parallèle du neuvième art, jamais exclu, mais jamais non plus véritablement accepté. A ce titre-là, sans aucun doute, Schetter occupe une place précise dans les méandres historiques de l’édition bd.

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Auteur hennuyer, auteur d’une bd belgo-française puissante, avec un découpage parfois anarchique mais presque toujours efficace, Michel Schetter n’est jamais parvenu à rejoindre le peloton des « grands » auteurs… Sans doute en avait-il le talent… Mais il n’en avait certainement pas l’ambition, ni le goût, probablement, de certains compromis plus ou moins artistiques, plus ou moins mercantiles…

Jacques et Josiane Schraûwen