3 cases pour une chute : Reloaded – chronique express pour un livre express

3 cases pour une chute : Reloaded – chronique express pour un livre express

Amateurs d’humour déjanté, de provocation gratuite, de sourires jaunes, ce livre ne pourra que vous plaire !

copyright fluide glacial

J’ai toujours préféré Serre à Sempé, Topor à Allais, Léautaud à Gide, Pierre Tombal à Cédric, Blanche Gardin à Elmaleh…

J’ai toujours aimé que les conventions et la « bonne pensée » soient battues en brèche par des histrions iconoclastes…

Et c’est bien le cas dans cette série dont le troisième album vient de sortir !

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3 Cases pour une chute, cela fait référence, bien évidemment, à ces strips qui, il y a pas mal d’années, fleurissaient au bas des pages de la presse quotidienne… Max l’explorateur, Professeur Nimbus, Hagar du nord, par exemple, ou même les Peanuts.

3 Cases pour une chute, c’est un pied de nez fait à celles et ceux qui aiment s’écouter parler, se regarder dessiner, et qui tirent en longueur un « gag » pour leur propre plaisir.

3 Cases pour une chute, c’est le chemin le plus court entre une situation donnée, sa mise en absurdie, et sa ponctuation inattendue, donc amusante.

copyright fluide glacial

A un peu plus de 35 ans, L’Abbé, l’auteur complet (et très peu ecclésiastique) de cette série et donc, singulièrement, de ce troisième opus, a trouvé dans l’esprit « potache » de Fluide Glacial un terreau où pouvoir faire pousser les fleurs vénéneuses de son humour souvent cruel, toujours en opposition avec les convenances, les conventions, le politiquement correct.

Potache, oui ! Agressif aussi, parfois… Trivial, également, graveleux pourquoi pas ! L’humour de L’Abbé file dans tous les sens, avec une concision qui le rend encore plus efficace.

copyright fluide glacial

Et il le fait avec d’autant plus d’efficacité que son dessin, dans la lignée d’un trait à la Larcenet, ne cherche aucun tape-à-l’œil. Il est souple, bon enfant, passe-partout, pour des gags qui, eux, ne peuvent que, humoristiquement, choquer quelques belles âmes stéréotypées !

copyright fluide glacial

Une bonne série, qui ne s’essouffle pas, un troisième tome qui ne manque ni de piment ni d’absurde… Un humour comme je l’aime : qui va droit au but, qui ne cherche pas à plaire, qui aime choquer ! Et bon Dieu, qu’est-ce que cela fait du bien de sourire à ces clins d’œil qui font oublier les conneries politiciennes ou sportives qui envahissent nos quotidiens !

Jacques et Josiane Schraûwen

3 cases pour une chute : Reloaded (auteur : L’Abbé – éditeur : Fluide Glacial – juillet 2024 – petit format 96 pages)

Etienne Willem… Un auteur prolifique pour qui le plaisir du récit et la qualité du dessin ont toujours primé… Avec, humainement, un humour et un sourire sans cesse présents…

Etienne Willem… Un auteur prolifique pour qui le plaisir du récit et la qualité du dessin ont toujours primé… Avec, humainement, un humour et un sourire sans cesse présents…

Et la mort, camarde misérable, l’a emmené vers d’autres territoires que les nôtres, dans lesquels ses 51 printemps se feront éternels.

copyright paquet

Je l’ai rencontré quelques fois… Admirant sa prestance goguenarde en kilt… Aimant ses mots, ses enthousiasmes, les brillances de ses yeux quand il répondait à mes questions.

copyright schraûwen

Ce Belge est entré dans le monde du neuvième art en 2004. Et, très vite, il s’y est imposé par son talent, par ce dessin semi-réaliste qui lui a permis de se lancer dans des récits feuilletonnesques prenants, passionnés… Même dans ses scénarios les plus démesurés, les plus fous, il a toujours montré des personnages « vrais », des êtres de chair et de sang, des humains, tout simplement, perdus dans des situations et des univers qui leur permettent d’affirmer leurs différences.

copyright grandangle

Il aimait ces narrations au feu desquelles il nous plongeait dans des péripéties à la fois anciennes, très art déco, et dans des futurs imaginaires toujours tellement proches de ce qui se vit au quotidien. Il aimait aussi, énormément, avec une sorte de clin d’œil à Canardo et Black Sad, mettre en scène des animaux humanisés et, de ce fait, démesurant tout ce qui est sentiment humain…

copyright drakoo

Etienne Willem ne dessinera plus, il ne fera plus rêver, lui qui était, sans aucun doute possible, un des dessinateurs majeurs dans la puissance souriante de ses récits, dans le bonheur qu’il avait à créer, à même toutes ses pages, des mouvements qui faisaient presque penser à de l’animation palpable…

Etienne Willem

Replongez- vous dans ses livres. Il y est présent, avec sa gouaille, son talent exceptionnel, sa gentillesse et son regard lucide sur l’être humain et le monde qu’il se construit…

Vieille bruyère et bas de soie, Les ailes du singe, chez Paquet…

La fille de l’exposition universelle, les artilleuses chez Bamboo, Drakoo…

Et j’ai eu la chance et le plaisir de l’interviewer… Pour réécouter Etienne Willem, suivez ces liens, tout simplement

Les ailes du Singe

Les artilleuses

Jacques et Josiane Schraûwen

Silence d’amour – Une émotion pure, inattendue, rare, et superbement dessinée et racontée…

Silence d’amour – Une émotion pure, inattendue, rare, et superbement dessinée et racontée…

Il y a de ces livres dans lesquels, lorsqu’on réussit à s’y plonger, nous envahissent, totalement, intimement, parce qu’ils nous parlent, sans en avoir l’air, de nous, de nos propres vécus, de nos propres angoisses, de nos propres désarrois à venir…

copyright casterman

C’est le cas avec cet album, incontestablement. Je me dois d’avouer qu’il m’a fallu plusieurs tentatives avant de dépasser une dizaine de pages de lecture. Tout simplement parce que, étrangement, j’ai eu l’impression de lire ma propre existence, j’ai eu la sensation que ce que je vivais depuis deux ans était décrit avec vérité et justesse de ton par ce dessinateur, Matthieu Parciboula, un peu comme s’il avait vécu ces deux années à m’observer… C’est une sensation bizarre, oui, et, croyez-moi, terriblement porteuse d’une émotion puissante. Et lorsque j’ai dépassé les dix premières pages de cet album, cette émotion est restée la même… Elle ne m’a pas quitté un seul instant pendant ma lecture. Et j’ai compris qu’il s’agissait là, au travers d’une fiction, d’un tableau, intimiste et universel à la fois, qu’était parvenu à tracer au papier ce dessinateur, cet auteur complet…

copyright casterman

Il s’agit, oui, d’une fiction, assez simple. La compagne de Paul, Sofia, est morte depuis six mois. Un ami, désireux de le voir faire un peu plus que survivre, l’invite en Toscane. Et là, sous le soleil de l’Italie, Paul va accomplir un voyage pour se rapprocher encore un peu plus de celle qu’il a perdue, qui l’a perdu… Il va partir jusqu’au Stromboli, lieu de l’enfance de Sofia.

copyright casterman

Comment un dessinateur d’une toute petite trentaine d’années a-t-il eu l’envie d’inventer cette histoire, de se lancer dans le récit de ce qui se révèle le quotidien d’un désespoir ? Quel fut le déclic qui a poussé Matthieu Parciboula à oser cette aventure littéraire, graphique, et merveilleusement humaine ?

Matthieu Parciboula : le déclic

Le titre de cet ouvrage résume d’ailleurs parfaitement cette ballade poétique et silencieuse dans les contrées étranges de l’après, de l’ailleurs. Silence, comme les paysages ensoleillés et joyeux que traverse Paul… Silence comme les mots qu’il adresse à la disparue… Parce que ce livre est aussi la relation d’un dialogue qui ne s’arrête à aucun moment… Paul se parle, mais il parle sans cesse à Sofia… Elle est comme celle qui, seule, peut permettre à Paul de vivre encore, et pas seulement au travers du souvenir… Fantôme d’Amour ?… Femme de chair et de cœur avec qui le dialogue reste constant.

Matthieu Parciboula : dialoguer

Un dialogue qui est celui de l’Amour, aussi, surtout, parce que c’est de cela que ce livre nous parle, véritablement : l’Amour, que la souvenance des quotidiens et des habitudes (une brosse à dent qui reste inutilisée, par exemple) rend majuscule, immensément majuscule. Et donc, universel, oui… Voire éternel…

Matthieu Parciboula : le deuil de l’Amour

Ce que je trouve extrêmement réussi, c’est qu’à aucun moment, dans ce livre, il n’y a de larmoiement, de mélo facile. C’est un livre à la sensibilité à fleur de peau, à fleur de dessin. C’est un livre aussi qui évite totalement tous les clichés, et qui réussit, de ce fait, à raconter vraiment ce qu’est le deuil… Les amis qui ne savent pas très bien ce qu’ils peuvent ou doivent faire, les invitations qu’on accepte pour passer le temps et auxquelles on regrette de se rendre, les regards des enfants que l’on croise et dans lesquels on recherche, inconsciemment, vainement, la présence souriante du regard qu’on aimait tant…

copyright casterman

L’ennui, aussi, qu’on découvre comme une blessure dont on ne se doutait pas qu’elle pouvait exister et faire autant mal… On ne fait pas son deuil, malgré ce que les psys de toutes sortes nous disent à chaque occasion… Non, on est en deuil, simplement, rien de plus… Comme dans un pays qu’on est obligé de découvrir et dont on ne s’échappe pas. Le peut-on, d’ailleurs ?… S’échapper des territoires du deuil c’est sans doute renier en partie l’Amour, seul sentiment essentiel de l’existence.

Matthieu Parciboula : le deuil

Il y a dans ce livre des moments magiques, croyez-moi… La façon dont l’auteur nous raconte cette fiction dont on sent qu’elle le touche au-delà de l’anecdote, c’est un pas qu’il fait vers chacun de ses lecteurs. Et, ce faisant, il parvient à être vrai, à être juste… Le pilotage automatique de son personnage, par exemple, pendant les quelques jours qui ont suivi le décès de son amour… L’ennui qui devient ennui de vivre… L’écriture comme échappée splendide et tellement inutile… L’envie et le besoin de s’absenter à soi-même, de n’être plus rien… La symbolique d’un crucifix que l’on enlève du mur… Survivre, en sachant que ce n’est qu’une manière de faire semblant de vivre… L’appropriation presque égocentrique de la douleur, une douleur que personne d’autre ne peut ressentir…

copyright casterman

Il y a tout cela dans ce livre, et bien plus ! Ce n’est pas un album de plus qui se prend au sérieux, ou qui suit les modes imbéciles de l’édition, des modes qui, aujourd’hui, adorent « vendre » des comptes-rendus du cancer qu’on a eu, des soucis de la prostate, de l’Avc, que sais-je encore… C’est un livre fort, extrêmement et superbement fort… Et dont le propos, pour sombre qu’il soit, pour désespéré et désespérant qu’il se révèle, ne glisse à aucun moment dans la déprime, dans la noirceur… Le dessin de Matthieu Parciboula, après des premières planches aux tonalités peu lumineuses, devient vite, et jusqu’à l’ultime dessin en pleine page, d’une clarté éblouissante, d’une couleur somptueuse. Matthieu Parciboula est dessinateur, il est coloriste, et ce livre est une réussite complète !

Matthieu Parciboula : le dessin

Peut-être ne suis-je pas totalement objectif, tant il est vrai que dans ce livre je me suis croisé bien des fois… Mais ce que je peux et veux dire, c’est que cet album n’est pas l’œuvre d’un « faiseur »… C’est le livre d’un artiste, d’un auteur complet, c’est une œuvre dans laquelle l’émotion et toutes ses sensations se retrouvent à chaque page, dans chaque vignette…

C’est une totale réussite, je le redis… C’est un album que vous devez lire, relire, faire lire, offrir, parce que l’intelligence de Matthieu Parciboula, cela se doit d’être partagé à tout va !

Jacques et Josiane Schraûwen

Silence d’amour (auteur : Matthieu Parciboula – éditeur : Casterman – mai 2024 – 184 pages