Nottingham – quand la bande dessinée revisite la légende !

Nottingham – quand la bande dessinée revisite la légende !

Deux scénaristes, un dessinateur, un maître des couleurs… pour une excellente série maîtrisée, à tous les niveaux !

copyright le lombard

Et si…

… les légendes qui nous ont fait rêver, ces aventures qui racontaient des ailleurs infinis, ces aventuriers qui s’incarnaient sur écran dans des stars charismatiques, si tout cela n’avait finalement pas grand-chose à voir face à la réalité ?

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Et si…

… face à l’Histoire , recomposée, réinventée, totalement malléable de ce fait par l’imaginaire et ses envies, Robin des Bois ne ressemblait nullement à Errol Flynn, Sean Connery ou Kevin Costner, si le Shérif de Nottingham n’était pas le grand méchant qu’on croit, si les apparences, comme dans la vraie vie, n’étaient que mensongères, si Disney était enfin renvoyé définitivement dans l’univers aseptisé et sans âme du simplisme friqué ?

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Eh oui, et si chaque légende était sans cesse à recréer, nous redeviendrons, toutes et tous, les enfants que nous n’aurions jamais dû cesser d’être ! Ces enfants qui jouent en disant : « on disait que… » !

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C’est le pari qu’ont fait Benoît Dellac au dessin, Vincent Brugeas et Emmanuel Herzet au scénario, et Denis Béchu aux couleurs, en nous plongeant dans ce qui pourrait être, qui sait, la véritable histoire de Robin des Bois ! Une histoire s’enfouissant dans ce qu’on appelle l’Histoire majuscule… Un récit haut en couleurs (incontestablement…) dans lequel l’inattendu devient la règle, dans lequel les conventions de l’habitude aiment à se perdre dans les méandres de quelques possibles improbables…

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Tous les personnages du « conte légendaire » y sont. Le shérif, Marianne, l’horrible Jean sans Terre, Richard Cœur de Lion emprisonné au loin, etc. Ils sont accompagnés par d’autres figures qui, pour manichéennes qu’elles semblent être, dessinent avec puissance l’ambiance d’une époque épique, guerrière, pleine (déjà, encore…) de complots de salon, d’avidités de pouvoir, d’injustices, de richesses outrancières et de pauvretés soumises.

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En trois volumes (pour l’instant…), les auteurs ont comme but de réussir à mêler étroitement l’Histoire telle qu’elle s’est déroulée et l’imaginaire collectif qui a toujours besoin de créer des héros, de croire que des héros sont possibles, et qu’ils puissent être les hérauts de la justice. Ils y parviennent grâce à une documentation, tant au niveau du texte et, donc, des réalités de l’époque, qu’au niveau du dessin. On se trouve ici dans une super-production graphique, sans aucun doute, avec un dessin dont le réalisme brutal et violent se nourrit de mouvements, de constructions mouvantes, oui, comme si certaines séquences étaient ainsi racontées en accéléré… Un dessin qui privilégie cependant, en même temps, les regards, l’illustration aussi de tout ce qui peut s’y cacher comme sentiments et leurs contraires…  Avec un texte qui ne prend que la place qu’il faut, avec des planches entières presque muettes. Avec une couleur qui souligne sans en enlever la force les noirs et blancs des ombres et des lumières.

Et que dire du scénario, sans aucun temps mort… Un scénario qui réussit à faire d’une histoire très connue une interprétation étonnante… Qui est Robin, exactement, cet être magique, porteur d’une capuche, qui prend une nouvelle voie pour la justice ?

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C’est dans le dernier dessin du tome trois que se trouve peut-être la réponse. On y voit sept personnages encapuchonnés dire : « Nous sommes la justice. Nous sommes Robin. » !

Cela m’a fait immédiatement penser à une autre série, Thierry de Royaumont, dans laquelle le héros se retrouve confronté à des forces du mal dont il est, sans le savoir, le symbole… On se retrouve ici dans un identique jugement sur l’âme humaine : dans le mal ou dans le bien, nul ne peut survivre seul… Et « Nottingham », ainsi, s’il fallait y trouver un message quelconque, une sorte de morale, nous dit qu’il ne faut jamais croire les apparences, qu’il faut les dépasser pour chercher les vraies nuances de l’humain… Un message, tout compte fait, qui s’adresse, plus qu’à hier, à notre aujourd’hui !

Jacques et Josiane Schraûwen

Nottingham (trois tomes parus – dessin : Benoît Dellac – scénario : Vincent Brugeas et Emmanuel Herzet – couleurs : Denis Béchu– éditeur : Le Lombard)

Noir Burlesque (récit complet en deux volumes)

Noir Burlesque (récit complet en deux volumes)

De la bande dessinée noire, du polar dur et puissant, de la violence, des femmes fatales, et un dessinateur hors pair…

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Enrico Marini, dessinateur des Aigles de Rome, du mythique Scorpion également, sans oublier d’un extraordinaire Batman, a décidé, en deux albums, de changer de registre, et de s’aventurer, avec NOIR BURLESQUE, dans une sorte d’hommage aux romans et au films sombres des années cinquante.

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Et on entre dans ce second volet sans difficulté aucune. Je dirais que le premier volume mettait en place les personnages, les lieux, l’époque : les années 50, Slick, le héros, un truand qui doit de l’argent à un ponte de la mafia, Caprice, une effeuilleuse qui semble appartenir à ce fameux patron de la mafia irlandaise après avoir eu une aventure avec Slick. Et tout cela baignait dans une ambiance lourde, violente, soumise au poids du destin… Tous les ingrédients chers à Hadley Chase, Carter Brown, étaient présents, des influences parfaitement assumées et maîtrisées par Enrico Marini. Un auteur heureux de donner vie à un personnage central hors du commun.

Enrico Marini: le personnage central

Et, dans ce deuxième opus, c’est l’action qui prime. Il y a l’organisation du vol d’un tableau, il y a l’apparition de la mafia italienne, il y a le neveu un peu simplet d’un des parrains, il y a un tueur complètement allumé qui se prend pour un Indien, il y a une nouvelle femme fatale, cruelle, il y a la famille de Slick, il y a toujours la sublime Caprice aux cheveux roux, aux rêves fous… Des personnages qui se multiplient sans alourdir le propos, loin de là.

Enrico Marini: les personnages

Ce qui est flagrant, de bout en bout, c’est le plaisir que Marini a pris à créer ces personnages, à leur donner chair, à en faire un des éléments essentiels de son rythme de narration.

Enrico Marini: de l’amusement

Dans cette seconde partie, on quitte le cinéma de Cassavetes pour entrer de plain-pied dans celui de Tarantino !

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Et Marini y prouve toute l’étendue de son talent de dessinateur, avec des pleines et des doubles pages imposantes, avec un sens du mouvement et un découpage qui se rapprochent du comics à l’américaine, mais avec des personnages « pleins », dans une ambiance sombre, une tonalité noire et blanche avec quelques touches de couleur rouge, ici et là, comme pour rythmer le récit… Comme pour rappeler que le sang et la volupté ont d’identiques couleurs.

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Marini y prouve aussi son talent de scénariste, capable d’entrer dans un univers et de s’y immerger totalement. Un univers, celui du polar noir, film ou roman, un monde parfaitement codifié depuis longtemps. Mais Enrico Marini joue formidablement bien avec ces codes !…

Enrico Marini: les codes

C’est un dessin somptueux, c’est du silence qui dégouline du bruit de la violence, c’est un récit dans lequel on se laisse emporter par le rythme plus, finalement, que par l’histoire…

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Mais en aimant, comme leur auteur, les personnages tous plus démesurés les uns que les autres ! Et en adorant nous plonger, lecteurs, à la suite de Marini, dans l’ambiance à la fois glauque et lumineuse du « burlesque », cet art de l’effeuillage qui, finalement, ressemble fort à l’existence et à ses failles..

Enrico Marini: le burlesque

Oui, c’est dans la veine du meilleur Tarantino, et c’est dessiné par un des meilleurs dessinateurs actuels!…

Jacques et Josiane Schraûwen

Noir Burlesque (auteur : Enrico Marini – éditeur : Dargaud – novembre 2022)

Niala

Niala

Erotisme sans tabou pour une bd souriante et iconoclaste

Des censeurs bien-pensants ont demandé l’interdiction de ce livre, l’accusant de racisme et de sexisme, créant une pétition signée par quelques milliers de demeurés qui n’en avaient bien évidemment pas lu une seule page. Glénat, l’éditeur, ne s’en est pas laissé compter, et voici que ce livre est en librairie !

Niala © Glénat

N’était-il pas temps que le mythe de Tarzan, l’homme-singe, le seigneur de la jungle, soit battu en brèche, après avoir été ridiculisé par Picha et Gotlib, entre autres ? C’est désormais chose faite avec Niala, l’esprit de la forêt, une femme élevée par les bonobos et appliquant à merveille leurs techniques pour éviter les différends !

Niala, donc, de manière évidente, n’a rien de raciste ni de sexiste, loin s’en faut ! Et elle s’inscrit, en outre, dans une certaine tradition de la bd.

Niala © Glénat

Les années 70 et 80 ont été, pour la bande dessinée, riches en audaces de toutes sortes. Quand je parle d’audaces, je veux dire de manières différentes de faire de la bande dessinée, de quitter le monde bien sage des « petits mickeys » et de la tout aussi sage « ligne claire » pour s’aventurer sur de nouvelles routes, tant au niveau des scénarios que du dessin.

Ce fut l’époque du magazine « À Suivre », de l’avènement d’Hugo Pratt, de quelques anti-héros tous-publics comme Martin Milan, des pastiches provocateurs de Pilote et de Gotlib, également.

Ce fut, en même temps, l’arrivée sur le marché du neuvième art de l’érotisme, voire même de la pornographie. Avec Manara, avec Levis, avec Pichard et son sulfureux et sublime « Marie-Gabrielle de Saint-Eutrope ».

L’érotisme hard s’est ainsi d’abord conjugué dans un mode sérieux… Mais, très vite, l’humour a pris sa place dans cette bd interdite aux moins de 18 ans, avec, entre autres, le mal dessiné mais jouissif « Titi fricoteur »… Avec les gags en une planche de Dany, avec les « Petites femmes » de Seron également.

Niala © Glénat

Eh bien, avec Niala, on en revient à ce genre de bande dessinée… Une bd sans complexe, sans tabou, sans pudeur, et terriblement souriante.

Dans la jungle, terrible jungle, la vie de la tribu des hommes-totems est rythmée par un rituel immuable, celui de la longue nuit.

Les jeunes hommes se doivent de passer la nuit loin de leur village et de découvrir, au long de cet éloignement périlleux, ce qu’est leur animal-totem. Un rite initiatique propre à toutes les civilisations, et qui marque le passage entre l’adolescence et le monde adulte.

Mais voilà, dans cette jungle, ce que les jeunes guerriers trouvent, c’est l’esprit de la forêt, la belle et dénudée Niala, qui leur fait découvrir, certes, leur animal totem, mais, en même temps, le respect de celui-ci pour tous les symboles amoureux qu’il peut revêtir ! Et, surtout, qui les fait passer à l’âge adulte de façon très charnelle !

Et ce sont les membres de cette tribu qui vont rythmer les quelque sept histoires contenues dans cet album.

Des histoires dans lesquelles la bonne morale perd bien des plumes, puisqu’une chorale de religieuses apprend, avec Niala, que la voix juste est celle qui vient de la chair… Puisqu’un prêtre pour le moins intégriste va découvrir, grâce toujours à cette femme esprit de la forêt, le plaisir, et, en même temps, son homosexualité… Puisqu’un couple de scientifiques fiancés mais très coincés vont se décoincer au contact des bonobos et des souvenirs de Niala, et comprendre qu’il y a des objets qui peuvent apporter bien du plaisir… Puisqu’un imitateur de Tarzan va comprendre qu’il y a mieux à faire que de devenir maître de la nature tout en s’initiant, toujours avec Niala, aux feux des plaisirs solitaires…

Niala © Glénat

Ce livre n’est pas, soyons honnête, un chef-d’œuvre du neuvième art. Mais dans le genre, il est réussi et parvient même, n’en déplaise aux censeurs amateurs (femmes, hommes, noir(e)s ou blanc(he)s), à avoir un certain discours libertaire et, ma foi, féministe… Les hommes, en effet, n’y ont pas vraiment le beau rôle, ni en pouvoir, ni en intelligence ! Et les « Blancs » y sont largement inférieurs aux « Noirs »…

Le scénario de JC Deveney est vif, entraînant, avec quelques jeux de mots bien venus, et laissant la place au plaisir des yeux. Au plaisir du dessin de Christian Rossi qui, loin de son côté réaliste « classique », s’est indubitablement amusé à raconter cette histoire à l’érotisme libéré et libertin !

Il faut souligner aussi le travail des coloristes, Elise Follin et Ariane Borra, qui évitent toute vulgarité propre, souvent, aux bd érotico-pornographiques sans âme…

Niala, ce n’est pas un chef d’œuvre, mais ce n’est pas non plus un album sans âme !

C’est un album qui nous parle de désir, et qui se lit avec plaisir !

Avec quelques phrases, ici et là, qui ne manquent pas de créer quelques réflexions…

Extraits choisis : « Ca se saurait si démocratie et plaisir allaient de pair… » – « Parfois, il faut traverser l’enfer vert pour trouver son jardin d’Eden. » – « Le désir n’est pas quantifiable. Ce n’est pas une eau qu’on épuise, mais une source qu’il faut laisser jaillir sans fin. ».

Niala © Glénat

Et comme à toute fable il faut une morale, fût-elle « hard », je vous propose cette citation qui termine l’album : « Le désir est une jungle affolante, le désir est une jungle qu’on ne veut plus quitter ».

Ne boudons pas le plaisir simple de passer un bon moment avec une bd quelque peu affriolante ! Et oublions tous les pisse-froid qui nous entourent en nous plongeant dans les aventures de Niala, héritière de la mythique Jungla du dessinateur Fenzo, en 1968, année de liberté et de libertines créations !

L’érotisme, en bd comme ailleurs, c’est aussi une liberté essentielle !…

Jacques Schraûwen

Niala (dessinateur : Christian Rossi – scénario : JC Deveney – coloristes : Elise Follin et Ariane Borra – éditeur : Glénat – mars 2021 – 72 pages)