La Société des bulles, de Bayeux à « Tintin au Congo » – « causerie » aux Arts et Métiers de La Louvière

La Société des bulles, de Bayeux à « Tintin au Congo » – « causerie » aux Arts et Métiers de La Louvière

Invité par Monsieur Medici, professeur de citoyenneté et de morale, j’ai pu avec plaisir parler de bande dessinée devant un parterre d’étudiants attentifs… et curieux. En voici le texte…

copyright chaland

La société des bulles… Ou, plutôt, les bulles comme reflets de la société et de ses évolutions…

Le neuvième art a franchi, depuis le dix-neuvième siècle, bien des réalités… Un art qui, comme tous les arts, s’est confronté, toujours, aux réalités des époques pendant lesquelles il a fleuri. Un art qui n’a donc jamais forgé la société, mais qui s’en est toujours inspiré, comme la peinture, la sculpture, la littérature…

Le bon sauvage de Rousseau, le discours humanistes de Voltaire, les prises de position de Pierre Loti, d’Albert Londres, tout cela peut paraître, aux yeux qui sont les nôtres aujourd’hui, bien désuet. Tout cela, pourtant, a participé pleinement à des combats qui, peu à peu, ont permis à la société d’évoluer, et donc de créer d’époque en époque d’autres combats…

Mais rien n’est jamais ni tout blanc ni tout noir. La révolution française a engendré la notion de droits de l’homme, mais elle a créé d’innombrables tueries dont le seul intérêt n’était peut-être que la gloire de quelques-uns. Et la guillotine qui, historiquement, était quand même une avancée formidable par rapport à la manière dont étaient tués les gens condamnés à mort jusque-là, a multiplié les assassinats légaux pendant des siècles…

Mais donc, nous voici réunis autour du thème de la bande dessinée, comme miroir du monde dans lequel nous vivons, ou, plus véritablement, du monde dans lequel elles ont été créées…

Tout art est totalement, qu’on le veuille ou non, dépendant, en acceptation ou en révolte, de la société dans laquelle il prend vie.

Je ne suis pas un conférencier… Je ne suis pas non plus, dieu m’en garde, un expert…

Comment puis-je, dès lors, me définir ?

Comme un amateur, dans le sens étymologique du terme : quelqu’un qui aime, un amoureux de la bd.

Dans mes bagages, lorsque je suis arrivé en Belgique, à l’âge de neuf ans, j’avais pas mal de romans, déjà lus, et quelques bandes dessinées… Tintin et Spirou, bien entendu, ceux de la fin des années 50… Mais d’autres aussi, totalement oubliées de nos jours… Mes parents avaient eu l’intelligence de penser que la bande dessinée, ce qu’on appelait à l’époque les petits mickeys, ce n’était pas abêtissant, au contraire… C’était délassant, et, ma foi, éducatif aussi…

Donc, je peux dire que j’ai grandi, vieilli, avec la bande dessinée, je l’ai vue évoluer, changer, parfois très lentement, parfois avec une rapidité surprenante. Je l’ai vue passer du stade de « littérature pour enfants » à celui de « neuvième art ». Un terme que l’on doit, dit-on, au dessinateur Morris en 1974… Morris, le créateur de Lucky Luke…

Et c’est donc en amateur, en passionné, que j’ai trouvé intéressant de mettre un peu en ordre, à votre intention, mon regard sur la bd, mes regards, plutôt…

La façon la plus simple et la plus élémentaire depuis des millénaires que l’homme a eue de communiquer ses passions avec ses semblables, ce fut le dessin… Sur les murs des grottes, mais aussi dans la construction même de l’écriture dans bien des civilisations… Les moines copistes, avant l’invention de l’imprimerie, embellissaient par des dessins, des enluminures, les têtes de chapitre des livres qu’ils recopiaient à la main. C’est d’ailleurs de cette époque que provient le mot « phylactère » pour désigner ce qui peut ressembler à une « bulle »… Il s’agissait d’une banderole dans laquelle étaient inscrits les mots du personnage peint, le tout dans un contexte évidemment religieux…

phylactère

Dessiner… Pour s’exprimer… Pour dialoguer… Mais aussi, très vite, sans doute, pour SE raconter des histoires.

tapisserie de Bayeux

La tapisserie de Bayeux, ainsi, reste pour beaucoup d’analystes un peu la toute première bande dessinée. Un peu… même si, ici et là, dans cette œuvre datant du onzième siècle, apparaissent des vraies trames narratives. Une tapisserie qui, de ce fait, a même été réellement transformée il y a quelques années en bande dessinée par un éditeur un peu fou…

copyright orep éditions

Toujours est-il que l’être humain a sans doute très rapidement usé du dessin comme média de communication, mais aussi de création, d’imagination…

Ces narrations dessinées, on peut les retrouver, aussi, par exemple, chez Bosch ou Brueghel. Et, dans l’art contemporain, chez Alechinsky.

Mais bien évidemment, il ne s’agit pas de bande dessinée… De dessins qui, mis bout à bout en une bande de trois ou quatre dessins, racontent une histoire.

Et n’en déplaise aux Belges comme aux Français, la bande dessinée, telle qu’on en connaît toujours les codes aujourd’hui, n’est pas née chez nous…  

Töpfer

L’artiste qu’on peut estimer être le premier vrai auteur de bandes dessinées, c’est le Suisse Rodolphe Töpfer. Ce pédagogue de formation a créé les premières vraies bd au début du dix-neuvième siècle !

copyright Groensteen

Il s’agissait, réellement, de mettre en parallèle des dessins et du texte, et, comme au théâtre, articuler l’ensemble pour en faire une histoire racontée de manière linéaire.

Cela dit, en France existait déjà, depuis la toute fin du dix-huitième siècle, une entreprise, à Epinal, qui lithographiait des dessins accompagnés de textes, avec des thématiques souvent éducatives, mais également illustratives…

Imagerie d’Epinal

Des « planches », en quelque sorte, qui illustraient des métiers, des faits historiques, des fables de La Fontaine, que sais-je encore. Les images d’Epinal, ainsi, ont accompagné la vie familiale française, des provinces aux grandes villes, et elles continuent encore à le faire d’ailleurs…

Imagerie d’Epinal

Mais c’est aux Etats-unis, à la fin dix-neuvième siècle, à partir du moment où la presse écrite y a pris une place de plus en plus importante, que la bande dessinée est vraiment née… Il fallait aérer, par de l’humour dessiné le plus souvent, les pages totalement remplies sinon de texte ardu à lire…

Oui, ce sont les Américains qui ont créé la bulle, « scientifiquement » appelée phylactère ! La première des bulles est en effet née, en 1896 très exactement, sous la plume de Richard Outcault, pour un personnage intitulé « Yellow Kid ». A découvrir dans cette planche, sortant de la bouche d’une chèvre…

Yellow Kid

Dès lors, on a pu parler de comics strips, avec des auteurs de toutes sortes, comme Rudolph Dirks, le créateur de Pim Pam Poum… Et ce sont ces comics strips qui ont créé les premiers codes de la bd : un personnage récurrent, des bulles bien sûr, une histoire destinée à divertir, le plus souvent avec une unité de temps et de lieu.

Nous sommes toujours, vous voyez, dans quelque chose de classique, proche des règles de l’art dramatique. Et même si le temps a bien passé depuis lors, force est de reconnaître que, dans sa construction graphique en tout cas, le cadre formel de la bd est toujours bien présent dans ce qu’on peut appeler la bd classique.

Et vous me direz, et Tintin dans tout ça ?… Tintin au Congo, aussi, qui soulève souvent bien des questions ?… On y arrive, ne vous en faites pas…

Passons vite sur l’apparition des comics, les super-héros qui continuent à faire le plein de lecteurs et, désormais, de spectateurs. Et revenons donc à la bande dessinée « de chez nous », celle qui, finalement, est la plus apte à nous faire réfléchir sur notre propre histoire, nos propres sentiments, notre propre société…

Cette bande dessinée qui vénère Hergé et son personnage Tintin…

Mais bien sûr, avant Tintin, Hergé avait déjà à son actif une bd intitulée Totor, le cp des hannetons, inspirée par son adolescence dans le monde du scoutisme.

Cela dit, aussi, avant Tintin, il y a quand même eu d’autres héros de BD sans lesquels le reporter à la houppette blonde n’aurait jamais existé !

A ce titre, je pense important d’insister sur un fait… Aucun artiste, aucun auteur ne naît de manière spontanée, ils subissent tous des influences… Et c’est bien le cas de Hergé, croyez-moi… Il, l’a d’ailleurs, rarement mais réellement, reconnu lui-même !

Carco

Regardez par exemple ces deux livres, un roman de Francis Carco, que Willy Vandersteen, l’extraordinaire créateur de Bob et Bobette a dû au moins voir avant de créer ses personnages iconiques…

Benjamin Rabier

Et regardez également cet album d’un dessinateur essentiel lui aussi dans la grande histoire de la bande dessinée, Benjamin Rabier… Un grand pionnier, sans aucun doute… Avec un personnage qui, très vite, dès sa création, a fait partie des lectures préférées des Français, le sapeur Camember, créé en 1844, dans un journal, évidemment, « le petit Français illustré ».

Benjamin Rabier

Un autre précurseur, important, dont le nom continue à être connu grâce à des crayons de couleur, c’est Caran d’Ache.

Caran D’Ache

Ce dessinateur humoristique, caricaturiste de qualité, a fait les beaux jours de bien des journaux…

Cela dit, cette seconde partie du dix-neuvième siècle, qui a vu le dessin d’humour prendre une place de plus en plus importante, n’a pas été, historiquement parlant, toujours très sereine… C’est une époque, et il ne faut pas l’oublier, pendant laquelle les soubresauts de toutes sortes ont animé notre petite Europe… Et il n’a pas fallu attendre Dreyfus pour que l’anti-sémitisme fasse partie intégrante de la réalité quotidienne française… Edouard Drumond, écrivain absolument innommable, mais ses amis, aussi, comme les frères Goncourt ou même Daudet et, pour un certain temps, Zola, ne se cachaient pas de ce racisme très populaire… Pourquoi est-ce que je vous dis cela ?… Pour répéter, tout simplement, que toute œuvre d’art est à replacer dans son contexte de création… Caran D’Ache était anti-sémite, incontestablement… Et c’était loin, très loin, d’être le seul dessinateur à l’être ! D’être le seul intellectuel à se revendiquer de ce racisme !

Pour en revenir à la bande dessinée, venons-en à deux auteurs qui, de manière absolument évidente, ont influencé plus tard le jeune Georges Remi. Bécassine, d’abord…

Becassine

Apparue pour la première fois en 1905, cette Bretonne un peu godiche devient très rapidement une vedette de la revue « la semaine de Suzette ». Le dessinateur Joseph Pinchon crée, avec elle, les bases mêmes de ce qu’on appellera bien plus tard la ligne claire. Les bases mêmes de la bd moderne, celle qui se lance réellement dans des récits, et pas uniquement dans l’illustration de faits précis.

La ligne claire, oui, un dessin tout en rondeurs, des contours précis, un visage et des expressions simples et simplement exprimées, avec un minimum de traits.

les Pieds Nickelés

Trois années plus tard apparurent les pieds nickelés, de Forton, ajoutant au côté narratif des traits d’humour quelque peu provocateurs. Paresseux, à la limite souvent franchie de la délinquance, ces personnages vont plaire pendant des dizaines d’années à un lectorat intergénérationnel !

Et puis vint Alain Saint-Ogan, et ses personnages de Zig et Puce…

copyright Alain Saint-Ogan

Ce sont eux, d’après les dires eux-mêmes d’Hergé d’ailleurs, qui ont poussé Georges Rémy à entrer dans la bande dessinée et à faire partie de son histoire.

copyright Alain Saint-Ogan

Alain Saint-Ogan est en fait le premier dessinateur français à utiliser les codes américains de la bd, il a été le premier Français à utiliser les bulles…

Nous y voici, donc…

Tintin… 1929…

LE personnage mythique du neuvième art…

Je vous avoue que je ne suis pas un fan de ce héros de bd… Pour des tas de raisons… D’abord, pour l’idéologie dont il a été le porteur, dès ses premières aventures en Russie… Tintin, en fait, était censé être le vrai reporter du vingtième siècle, journal résolument catholique et conservateur. Un reporter dont les aventures étaient publiées dans le supplément jeunesse de ce journal, le petit vingtième. Et c’est le patron de ce journal, l’abbé Norbert Wallez, qui s’est fait le mentor du jeune Hergé… Qui s’est réjoui du succès de l’anticommunisme de Tintin dans son voyage en Russie…

Ce qu’Hergé et son maître à penser ont créé avec la Russie, puis le Congo, puis l’Amérique, ce fut un modèle que la jeunesse belge s’est approprié… Un gamin, en quelque sorte, qui, courageux, volontaire, osait faire des reportages dangereux pour montrer une Russie totalitaire, un Congo plein de bon sauvages et de méchants blancs trafiquants aidés par de méchants noirs cruels, une Amérique remplie de gangsters…

Et cette invention a même pris vie quand il est revenu, en char et en os, à la gare du Nord de Bruxelles, accueilli par des milliers de personnes, parmi lesquelles se trouvait ma mère, qui m’en a souvent parlé.

C’est la première grande qualité d’Hergé que d’être parvenu, par un dessin, avouons-le, simpliste, même par rapport à Zig et Puce ou Bécassine, à donner une existence pratiquement tangible à un héros de papier.

Le deuxième apport essentiel d’Hergé, et qui a fait fond dans l’histoire de la bande dessinée, c’est d’ajouter un code de plus, celui du feuilleton « à la dix-neuvième siècle »… Il fallait que toutes les deux pages, on ait envie, en tant que lecteur, de découvrir le plus vite possible la suite de l’histoire… C’était une manière de fidéliser le lectorat du journal, et c’est devenu au fil du temps une règle utilisée jusqu’aux années 70 et l’entrée de la bande dessinée dans un monde adulte ! Avec l’underground américain, avec des dessinateurs comme Giraud, Tardi, Forest…

Le troisième aspect de ce qui a transformé un personnage dessiné en un phénomène de société, c’est tous les à-côtés qu’Hergé, avec l’aide de son studio, a commercialisés.

Je disais que je n’étais pas fan de Tintin… Je préfère mille fois les albums de Jo et Zette, dont il était l’auteur aussi.

Mais ce manque d’adoration qui est mienne ne doit pas, cependant, me pousser à tout dénigrer chez Hergé.

Bien sûr, cette vénération, surtout financière d’ailleurs, m’horripile au plus haut point… Mais ce qui m’horripile aussi, c’est d’entendre des voix se lever de plus en plus pour condamner des albums qui ne correspondent pas aux idées du jour !

D’abord, il faut insister sur le fait que, de son vivant, Hergé a lui-même bien des fois orchestré des rééditions « corrigées » de plusieurs de ses albums, pour y supprimer des scènes et des dialogues qui ne lui plaisaient plus pour l’une ou l’autre raison.

Dans le projet « société des bulles » qui a été ici mis en route, je n’oublie pas le mot utilisé : contextualiser… Remettre une œuvre littéraire dans son contexte, c’est-à-dire dans la vérité d’une époque disparue.

A ce titre, l’album « Tintin au Congo » est particulièrement représentatif d’une mode actuelle de condamner une œuvre comme si elle était écrite aujourd’hui, et en réécrivant, de ce fait, l’Histoire.

Nul ne peut nier ce que fut le colonialisme, ni qu’il fut l’apanage de bien des pays occidentaux, Grande Bretagne, France, Pays-Bas, Allemagne avec retard… et Belgique, oui… Il est facile, aujourd’hui, de rappeler les articles qui, au début du vingtième siècle, ont attaqué de front le roi Léopold II. Il serait tout aussi facile d’être honnête et de rappeler en même temps que les pays auxquels appartenaient ces détracteurs étaient désireux de se partager ce qu’on a appelé ensuite le Congo Belge !

La bande dessinée, je le disais, est le miroir de la société dans laquelle elle est présente… Et, dans les années où fut publié Tintin au Congo, le racisme était totalement généralisé, et il y avait bien peu de voix pour s’élever contre cet état de fait ! Le blanc était sûr de sa supériorité, comme il l’avait été en d’autres temps lors de la conquête de l’Amérique du sud ou de la mise en réserves des indiens du nord de l’Amérique…

Je pense qu’il est important pour les lecteurs d’aujourd’hui de Tintin au Congo, comme de Tintin en Russie, comme du Lotus bleu, de comprendre que les lieux et les récits qui s’y trouvent appartiennent à la caricature, une caricature représentative de l’opinion de l’époque. Une caricature que l’on pourrait même traiter d’idéologique…

Il faudrait donc, oui, que de telles lectures s’appuient sur une connaissance historique, pas encyclopédique, mais suffisante pour comprendre l’ambiance, l’environnement… A l’époque, par exemple, que cela plaise ou non aujourd’hui, les Belges, avec une présence importante des missionnaires, revendiquaient une mission que l’on disait et voulait civilisatrice !

Parmi les clés d’analyse, qui permettent d’apprécier ou pas une lecture, mais en connaissance de cause, l’Histoire est essentielle, oui… Ne fut-ce que pour ne pas retomber, aujourd’hui, dans les dérives d’hier, en choisissant, simplement, d’autres cibles tout aussi inacceptables…

N’allez donc pas croire, surtout, que je trouve « normal » le racisme, l’antisémitisme, le machisme… Ce sont des réalités d’hier qui devraient ne plus avoir leur place aujourd’hui. Mais pas comme les wokistes cherchent à le faire ! On ne gomme pas l’Histoire, on en tient compte…

Cela dit, dans cet album, Tintin au Congo, au-delà de ces considérations, ce qui me gêne surtout, en tant que lecteur, c’est le nombre incalculable d’impossibilités… Développer un film en pleine brousse… Les combats avec les animaux, etc., etc.

A ce titre, je vous conseille, si vous en avez l’occasion, de lire ou même de feuilleter l’excellent livre de Philippe Godin consacré à Tintin au Congo. J’en avais fait, à sa sortie, une chronique dans laquelle Philippe Godin répondait à mes questions… Suivez le lien !

Voilà…

J’arrête là… Bien sûr, il n’y a rien d’exhaustif dans ce que je viens d’écrire… Il y a des lacunes, aussi, très certainement, et tout aussi certainement, un regard personnel… Parce que, finalement, dans la société des bulles, l’important est d’aimer ou de ne pas aimer, et de se forger, toujours, sa propre et libre impression!

Tintin faite partie de notre patrimoine culturel, même si, reconnaissons-le, il est quelque peu pris en otage mercantile…

Le lire est donc toujours intéressant, et permet d’y trouver des idées totalement inacceptables mais qui, replongées dans leur contexte, nous donnent une image non déformée d’un passé qui, en partie, est le nôtre…

Mais que cela, surtout, ne vous empêche pas de lire d’autres bandes dessinées, actuelles, tant il est vrai que la bd n’a plus rien à voir, aujourd’hui, dans ses thématiques comme dans son graphisme, avec ce qu’elle était du vivant d’Hergé… La bande dessinée est un art, à part entière, et tous les clichés d’hier y sont de plus en plus battus en brèche… L’image de la femme, le racisme, le harcèlement, voilà des sujets qui, de nos jours, font de de la bd un art totalement vivant ! Avec, de Flore Balthazar à Catel, de Judith Vanistendaele à Léonie Bischoff, de plus en plus de femmes qui, autrices, offrent un regard moderne et intelligemment combatif sur notre monde, dans la continuité de Claire Bretécher ou Annie Goetzinger…

Jacques Schraûwen

Magnum Génération(s) – la photographie témoin de l’Histoire

Magnum Génération(s) – la photographie témoin de l’Histoire

L’agence Magnum est connue à travers le monde entier. C’est son histoire Qui est racontée dans cet album, de manière superbement originale.

copyright caurette

La plus fameuse agence photographique du monde fête cette année ses 75 ans. En 1947, Robert Capa est universellement connu pour ses photos de la guerre d’Espagne et, surtout, du débarquement en Normandie.

Il a comme amis David Seymour, Henri Cartier-Bresson et Georges Rodger, tous photographes de talent, tous conscients que les guerres qui se multiplient vont demander à l’information d’évoluer très vite. Ces hommes vont dès lors créer une agence de presse vouée à la photographie, avec deux buts essentiels : être au plus près de l’événement, toujours, et permettre aux photographes sur le terrain de gagner leur vie convenablement.

copyright caurette

Et ce livre, sobrement appelé Magnum, nous raconte donc l’histoire d’une agence de photographie au travers de ses membres, de ses « héros », une agence se voulant depuis 75 ans témoin de la grande Histoire et humaniste dans sa manière de la révéler, avec un sens de l’information toujours artistique.

copyright caurette

On peut se poser la question du choix du nom de cette agence… Magnum… Un nom qui, d’évidence, fait référence au champagne, cher à Robert Capa, mais aussi à un calibre de cartouches de révolver, cher à l’inspecteur Harry… Une manière de définir ce qu’est le métier de photographe de guerre, à la fois proche de la mort et nécessitant des moments festifs pour éliminer la pression humaine.

Eloise De La Maison, co-scénariste de cet album avec Jean-David Morvan.

Cet album fourmille bien évidemment d’informations sur les guerres et les dictatures, mais sa construction, très particulière, rend sa lecture extrêmement agréable. Un dessin direct, proche finalement du manga, un mélange graphique de dessins et de photos, une construction qui a fait le choix de ne pas être linéaire, chronologique, le tout autour d’un récit qui est d’abord et avant tout humain, au travers d’un thème constant, celui de la mort, tout cela contribue à ne jamais alourdir le propos.

copyright caurette

Et ce dessin, dû à quatre dessinateurs travaillant dans le même studio, participe pleinement de cette volonté de lisibilité à la fois teintée d’originalité et d’une forme de récit qui, à aucun moment, ne lasse le lecteur.

Rafael Ortiz, dessinateur

Nous vivons une époque qui, à force de technologie, perd peu à peu sa mémoire… cette bande dessinée raconte notre passé et, ce faisant, notre présent, en nous rappelant l’horreur quotidienne de notre monde. C’est un livre passionnant, passionné, extrêmement bien documenté, nous offrant différents portraits de personnalités importantes du vingtième siècle.

copyright caurette

Faire dialoguer la photo et le dessin était un pari complexe. Un pari parfaitement gagné, grâce à une simplicité dans le trait proche, tout compte fait, de la simplicité des appareils utilisés par ces grands photographes qui nous sont ici racontés…

Jacques et Josiane Schraûwen

Magnum génération(s) (scénario : Jean-David Morvan et Eloise De La Maison – dessin : Ortiz, Scietronc, Locquet et Ooshima – Caurette – 248 pages – octobre 2022)

La Guerre des Lulus : une série de bande dessinée qui quitte le giron du neuvième art…

La Guerre des Lulus : une série de bande dessinée qui quitte le giron du neuvième art…

« La Guerre des Lulus » est une série bd dont le succès est incontestable… Un succès qui a donné des idées pour le prolonger…

copyright casterman

Cette série, déclinée en 10 tomes, scénarisée par l’excellent Régis Hautière et dessinée par le non moins bon Hardoc, a séduit, par son contenu comme par son talent, un  jeune public qui a vieilli en même temps qu’elle.

La guerre abordée dans cette série, c’est celle de 14-18.

Les Lulus, ce sont quatre gamins dont le prénom commence par ces deux lettres, LU. Il y a Lucien, Luigi, Ludwig et Lucas. Pensionnaires dans un orphelinat perdu dans la province française, ils sont en vadrouille le jour où leur « maison » doit être évacuée, la guerre se présentant à ses portes…

Oui, c’est la guerre qui est au centre de cette série. Au centre, parce qu’elle est omniprésente. Mais elle n’est, finalement, que le moteur d’une aventure humaine vécue par ces enfants que l’horreur et la violence ont perdus sur les routes à la fois de l’aventure et de l’exil, de la peur et du courage, de la quête intimiste et de l’espérance réfléchie.

La grande force de cette série, c’est que tout est vu à hauteur d’enfance d’abord, d’adolescence ensuite

La guerre est là, tout autour d’eux, et ils vont devoir se débrouiller… sans adultes… Avec la compagnie d’une nouvelle venue, Luce. D’album en album, on les voit survivre, vieillir, tout au long d’aventures qui parviennent à mettre un sujet extrêmement difficile à portée d’un jeune public.

copyright casterman

Et aujourd’hui, donc, ce récit en plusieurs volumes s’ouvre à d’autres formes artistiques.

Régis Hautière est un scénariste que j’ai toujours aimé pour l’intelligence de ses histoires, pour l’importance qu’il accorde, toujours, à ses personnages : aucun d’eux n’est une silhouette, tous existent, ont leur manière de parler, de bouger, de vivre. Et son scénario est devenu la base de romans écrits par Eva Grynszpan, et destinés eux aussi, bien évidemment, à un public de jeunes à partir de 9 ans. Les deux premiers volumes sont disponibles, correspondant d’ailleurs aux deux premiers albums de la série bd : « La maison des enfants trouvés », et « Hans ».

copyright casterman

On peut trouver cette idée étrange, adapter une série de bandes dessinées en romans… Personnellement, je trouve au contraire qu’il y a là un pari plus qu’intéressant : celui de remettre la littérature à l’honneur, pour un public jeune qui prendra plaisir à re-découvrir une histoire qu’il connaît peut-être déjà, mais qui, par la magie de l’écriture, se complète énormément…

Le travail d’Eva Grynszpan n’est donc pas de retranscrire en mots, en descriptions, en dialogues, les albums dessinés, mais de raconter la même histoire en abordant par touches réalistes parfois, humoristiques également, historiques bien entendu, poétiques souvent.

Je dirais que la rencontre avec le récit de Régis Hautière ne se fait plus frontalement, mais par le biais de réflexions, d’ambiances… Sans pour autant édulcorer l’histoire, celle de nos cinq personnages, celle d’une guerre, aussi. Eva Grynszpan a du talent, et ces deux premiers romans illustrés sont, littérairement, une vraie réussite.

copyright les films du lezard

Et, en guise d’adaptation, ce n’est pas tout… Parce que, dans quelques jours, c’est un film qui va sortir en salle !

Intitulé La guerre des Lulus, comme les bd, comme les romans, ce film sortira le 18 janvier. Il s’agira d’une véritable adaptation, donc avec des raccourcis dans la narration… Yann Samuell en est le metteur en scène et le scénariste, et le casting est attirant, sans aucun doute : Isabelle Carré, Didier Bourdon, François Damiens… Je n’ai pas encore vu le film. Je n’en ai visionné, comme tout un chacun peut le faire, que la bande-annonce, sur le site Allociné.

Et je dois avouer que je n’ai pas beaucoup de respect pour les adaptations cinématographiques de bandes dessinées, avec Ducobu, avec L’inacceptable Gaston, le mièvre Boule et Bill, etc.

Mais ici, le sujet traité dépasse le simple divertissement destiné à passer le temps… Et j’ai un apriori favorable… Permettre à un jeune public de pouvoir suivre sur grand écran les aventures de mômes qui ont leur âge et qui se retrouvent errant dans un monde où l’horreur est omniprésente, je trouve cela intéressant, important même… Et je croise les doigts pour que ce film soit une réussite…

Jacques et Josiane Schraûwen

« La Guerre des Lulus », un film qui doit sortir le 18 janvier prochain. Et, au départ de ce film, une série BD et deux romans de Eva Grynszpan, le tout paru chez Casterman.