Colette – Un Ouragan Sur La Bretagne

Colette – Un Ouragan Sur La Bretagne

Depuis quelques années déjà, les étals de bandes dessinées voient apparaître énormément de biographies, d’adaptations d’œuvres littéraires. La plupart de ces albums, reconnaissons-le, peuvent être vite oubliés. Il en est, fort heureusement, qui sortent du lot ! Celui-ci, paru il y a quelques mois déjà, en fait partie…

copyright marabulles

J’ai par exemple parlé ici de l’extraordinaire « Sa majesté des mouches » d’Aimée De Jongh… J’ai ici aussi, en son temps, parlé de plusieurs livres de Catel… Autant d’albums qui dépassaient la mode éditoriale et ses facilités pour devenir des livres à part entière dans un monde, celui du neuvième art, qui se différencie toujours, et doit le faire, des autres arts comme la littérature ou le cinéma. Et c’est le cas de ce livre-ci, aussi !

D’abord parce que le scénariste, Jean-Luc Cornette, aime depuis longtemps déjà se confronter avec des personnages réels. Il y a eu entre autres Frida Kahlo… Klimt… Louise Brooks… Ensuite, parce qu’il choisit ici de ne s’approcher que d’une tranche de vie de Colette, son sujet, de consacrer donc son propos à un espace de temps réduit. Dès lors, il a tout loisir de nous faire découvrir une existence dans un quotidien qui, à sa manière, éclaire l’œuvre de Colette, sa personnalité surtout, et sa liberté…

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Colette, en 1910, tombe amoureuse de la Bretagne, d’une villa qu’elle achète et qu’elle habitera, en une vie de bohème, jusqu’en 1926. Amoureuse de la Bretagne, oui… Amoureuse simplement, aussi, de tout ce que la vie peut lui offrir comme plaisir… Comme plaisirs, pluriels, donc charnels… Comme plaisirs en dehors des normes et des morales de toutes sortes, elle qui écrit, certes, mais qui se montre sur scène, également, n’hésitant pas à y faire preuve à la fois de sa beauté dénudée et de ses penchants sensuels qu’on pourrait dire se situant dans toutes les directions de la boussole de la sensualité.

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C’est tout cela que nous montre cet album : une vie nantie, certes, celle d’une sorte de star de la littérature se faisant, avec plus ou moins de conscience, l’égérie d’une forme de féminisme sans combat, un féminisme qui s’attache d’abord à la liberté, celle de l’individu, celle de la femme dans un monde d’hommes. Jean-Luc Cornette se contente alors, en quelque sorte, de s’effacer derrière ce personnage réel pour construire, avec originalité dans ses « raccourcis » qui allègent réellement son propos, avec simplicité aussi, un portrait qui nous parle autant de désir que d‘écriture, de Bretagne que d’envie incessante d’aller ailleurs. Un portrait de femme qui se fiche complètement de l’image qu’elle peut donner d’elle, elle qui multiplie amantes et amants, sans chercher quelque alibi que ce soit à cette envolée presque dansante dans les méandres d’amours qui se suivent et, tous, voient Colette réellement, totalement éprise, même si ce n’est que pendant le temps d’une folie entre des bras, entre des draps, ou sur une plage…

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Une existence humaine ne peut, certes, être résumée… Et certainement pas par le biais d’une seule de ses vérités. Mais elle peut se dessiner, et dessiner l’époque de son existence, justement par le prisme d’une de ses caractéristiques. C’est ainsi que ce livre, en nous racontant les amours et les rencontres de Colette, avec Musidora, avec Henry de Jouvenel qui fut son mari, avec le fils de ce dernier, aussi, en nous montrant Colette vivre ses étreintes et ses passions en s’amusant sans cesse, c’est de cette manière, oui, que Cornette et Joub, le dessinateur, nous font assister à toute une époque… Celle de l’avant grande guerre, celle de cette guerre des tranchées regardée de loin par Colette et sa Bretagne comme par bien des gens en France… Celle de l’après-guerre et ses insouciances, et ses espérances dont on devine qu’elles seront déçues un jour ou l’autre…

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Le dessin de Joub a la simplicité du scénario de Cornette. Ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut, qu’il s’agit de simplisme ! Joub a un graphisme lumineux, souriant, avec un sens du mouvement évident, avec un plaisir à exprimer les sentiments, et donc les sensualités, au travers des lèvres et des yeux de ses personnages. Et pour nous montrer Colette en pleines actions amoureuses, Joub reste tranquillement pudique… Et c’est cette sorte de fusion entre un dessinateur et son scénariste qui fait de ce livre une réussite… Un album qui se lit avec plaisir. Et qui donne envie, ma foi, de (re)lire « Le blé en herbe » !

Jacques et Josiane Schraûwen

Colette – Un Ouragan Sur La Bretagne (dessin : Joub – scénario : Jean-Luc Cornette – éditeur : Marabulles – 2024 – 110 pages)

Édika Sous Couvertures – humour gaulois et potache à l’honneur !

Édika Sous Couvertures – humour gaulois et potache à l’honneur !

Fluide Glacial, éditeur et revue, résiste aux modes, au bon goût aussi, depuis 50 ans, et cela se doit d’être souligné !

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C’est en avril 1975, en effet, que trois dessinateurs décident de créer ce qui se veut être un organe de presse « d’umour et bandessinées ». Parmi ces créateurs, Gotlib, qui a déjà fait les beaux jours du journal Pilote, de la revue L’écho des savanes, Gotlib qui a incontestablement apporté un sang nouveau à ce qu’on peut appeler l’humour en bd, avec, par exemple, la mythique rubrique à brac. Son sens du gag, de la provocation aussi, vont faire merveille dans Fluide Glacial avec des auteurs venus de tous les horizons : Tronchet, Binet, Gimenez et sa superbe série, sérieuse elle, des « Paracuellos », Alexis et même Franquin avec ses sublimes idées noires.

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Fluide Glacial, ainsi, s’est défini dans le paysage du neuvième art comme un magazine dans lequel l’humour, sous toutes ses formes, et souvent les plus non-correctes, voire vulgaires, avait sa place… Que toutes les bêtises avaient la liberté de s’exprimer !Et, parmi ces auteurs qui ont fait et font encore les beaux jours de Fluide Glacial, il y a Édika, qui fait l’objet aujourd’hui d’un petit livre sympa.

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On peut dire que ce dessinateur occupe une place de choix dans le choix des couvertures du magazine : il en a fait 83 sur les 582 numéros publiés ! Et on peut dire aussi que ces couvertures ont attiré, toujours, bien des regards, bien des réflexions, bien des critiques bien pensantes souvent… Parce qu’il faut l’avouer, Edika, dans le paysage de la bd, et même dans celui, pourtant déjà bien déjanté, de Fluide Glacial (et cela fait 40 ans qu’il y travaille, qu’il s’y amuse), un électron libre.

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Un humour déjanté, oui, né de la gauloiserie, cet humour vieux comme la France sans doute, et dont on peut dire que sa caractéristique première est d’être, comment dire, leste… voire plus, même ! Et dans ce domaine, Edika aime depuis toujours ruer dans les brancards, enfoncer les portes de la bienséance, avec sans arrêt un sens de l’absurde, du surréalisme, de la provocation gratuite, et, également, avec une forme souriante d’érotisme souvent gras… Disons-le tout de go, Edika adore, avec un graphisme totalement éloigné de tout réalisme, les femmes possédant des appas plus qu’imposants, et de préférence dénudées, les femmes aussi ridiculisant sans cesse les hommes cherchant à les séduire. Cela, je le sais, pourrait paraître n’être que graveleux ! Mais Edika a une manière de dessiner qui n’appartient qu’à lui, en multipliant les détails, à peine visibles parfois, en multipliant les personnages, un peu comme l’immense illustrateur Dubout faisait en d’autres temps.

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Édika a une façon de déformer la réalité qui est hors du commun, hors de tous les codes, on peut dire qu’il réinvente en quelque sorte l’humour à chaque album ! A chaque couverture, aussi… Et ce petit livre de 64 pages est là pour remettre les choses en place : Edika est un humoriste, et il y a un plaisir plus que souriant à se balader dans ses couvertures et, ce faisant, grâce à un texte bien fichu, à l’y découvrir tel qu’il est : un artiste populaire et Français faisant semblant d’être franchouillard !

Jacques et Josiane Schraûwen

Édika sous couvertures (textes de Gérard Viry-Babel, dans la collection « les jolis p’tits cultes », chez Fluide Glacial – 2025 – 66 pages)

L’Or du Spectre – Une bd comme un road movie

L’Or du Spectre – Une bd comme un road movie

J’ai toujours aimé le dessin de Xavier, son sens aigu du réalisme. Après « Le serpent et le coyote », le voici de retour dans un polar scénarisé par Matz.

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Dans cet album, même si les personnages y sont nombreux et nourrissent l’intrigue, les deux « acteurs » principaux y sont la voiture et le paysage ! A certains moments, j’ai d’ailleurs retrouvé des sortes de références à un autre grand dessinateur réaliste, Mézières, pas le Mézières de Valérian, non, mais celui qui aimait les Etats-Unis et en dessiner les déserts comme les villes.

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Tout le récit commence en voiture : une voiture quitte la ville, s’enfonce dans le désert, un homme au volant, une femme à ses côtés, et la fumée de deux cigarettes dans l’habitacle… Et le récit se termine presque de la même manière : une route qui mène de nulle part à nulle part, un camping-car qui soulève une poussière torride, un conducteur, les yeux perdus dans le vague, la cigarette aux lèvres…

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Entre ces deux bagnoles, il y a une histoire. Un polar… Chuck vient de sortir de prison. Il retrouve son amie intime, la blonde Kat. A deux, ils vont partir dans l’Amérique profonde, afin de récupérer un magot que Chuck a planqué avant d’être arrêté et condamné. Seulement, comme dans tout polar qui se respecte, les choses ne vont évidemment pas se révéler simples !

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Parce que va se mêler à tout cela un autre ancien détenu, homosexuel marié à un Indien… Plus un Black débarquant dans cette histoire par hasard… Plus des « américains profonds » croisés au gré des routes suivies par Chuck et Kat… Plus la déchirure de leur couple, malgré quelques ébats passionnés… Plus des trahisons en veux-tu en voilà ! On est loin, très loin même, d’un quelconque code d’honneur entre truands !

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Ce qui va également se mélanger à toutes ces intrigues, emmêlées et prenant sens grâce à quelques flash-backs, un autre personnage, le fameux spectre… Un vieillard sans doute fou cherchant à retrouver ses lingots d’or dans une petite ville fantôme… Beau personnage, d’ailleurs, que ce spectre, qui n’est pas sans rappeler un autre spectre, celui possédant des balles d’or, et dessiné par Giraud, sur un superbe scénario de Charlier.

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Il y a donc, vous l’aurez compris, plusieurs références dans cet album. Une référence évidente, également, à l’immense Hermann… Il y a surtout, pour illustrer un récit dont la construction est quelque peu anarchique, une présence graphique extrêmement intéressante. Xavier est un dessinateur réaliste d’une belle efficacité, c’est une évidence… Il est aussi un dessinateur qui aime varier les approches de son art, choisissant parfois quelques démesures rythmant ses récits, choisissant parfois aussi une relation plus intimiste avec sa narration. Ici, il est plus intimiste, un peu à la façon de ces westerns des années 50 qui prenaient le temps de « montrer »… De faire vibrer l’image… Cet album, c’est peut-être, graphiquement parlant, celui qui permet le mieux de découvrir la nature originelle de Xavier…

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A ce titre, il faut absolument souligner le travail essentiel du coloriste, Jérôme Maffre. Il est, me semble-il, co-auteur totalement de cet album d’errance, de sang et de dérives humaines. Le scénario, quant à lui, contient tout ce qui correspond aux codes du genre… Peut-être, dès lors, est-il trop attendu… Trop lisse, alors que le sujet aurait pu demander, justement, quelque chose de plus abrupt… Matz, à mon humble avis, ne manque pas d’efficacité, mais il a déjà fait mieux… Ses retours en arrière, cette façon de se laisser entraîner par une histoire plutôt que de la diriger, tout cela rend l’album, parfois, manquant d’envolée, d’ambition… N’est pas, ai-je envie de dire, Leone ou Coppola qui veut !

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Cela dit, ce livre est extrêmement agréable à lire. A lire, oui, parce que le dessin de Xavier, justement, est extrêmement narratif, il raconte ce que les mots ne font qu’aborder, il montre les sensations et les émotions des personnages, ce que le scénario ne fait pas vraiment… Un livre à la fois brutal et lent, à la fois sanglant et bien codifié, un livre qu’on lit donc avec plaisir, sans aucun doute… De la bd « délassante », qui change un peu, et c’est tant mieux, de la pléthore d’albums tristement voulus comme intellos et ancrés sur les modes ! Avec Xavier et Matz, on fait de la bd, on ne suit pas la mode, et c’est à applaudir !

Jacques et Josiane Schraûwen

L’Or du Spectre – Une bd comme un road movie (dessin : Xavier – scénario : Matz – couleurs : Maffre – éditeur : Lombard – mai 2025 – 116 pages)