Ginette : l’humour grivois et bienveillant de Florence Cestac !

Ginette : l’humour grivois et bienveillant de Florence Cestac !

Florence Cestac fait, sans aucun doute, partie des grandes autrices de la bande dessinée. Elle a d’ailleurs gagné le grand prix de la ville d’Angoulème en 2000 (sans les magouilles habituelles…), et le prix Saint-Michel en 2014. Et la voici présente dans un domaine qu’on ne peut que qualifier de hautement grivois !

copyright bd-cul

L’œuvre de Florence Cestac est extrêmement variée. Elle a toujours voyagé entre la bd adulte et la bd pour jeune public, avec des personnages aux gros nez qui, même dans des scénarios sérieux, font preuve de dérision… D’auto-dérision, tant il est vrai que, ces dernières années surtout, Florence Cestac s’est lancée dans des albums résolument axés sur sa propre existence, son enfance, son éducation, sa famille.

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Les gros nez… Le terme est lâché… Il a longtemps défini ce qu’on a appelé l’école de Charleroi, et Florence Cestac ne s’est jamais cachée de l’influence que Franquin avait eue sur sa passion pour le dessin. Mais on retrouve aussi dans son trait tout en courbes, des réminiscences de Calvo ou de Marijac. En fait, le style, extrêmement personnel de Florence Cestac, s’inscrit dans la continuité d’un art en mouvement mais fidèle, aussi, à ceux et celles qui en ont fait, justement, un art !

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Et la voilà aujourd’hui nous plongeant dans une histoire vive, animée, souriante et, ma foi, « X » !

Le nom de la collection dans laquelle est éditée sa « Ginette » est d’ailleurs sans équivoque : « BD-CUL » !

Qui est cette fameuse Ginette ?

Une professionnelle de la « chose » qui tout au long de sa belle carrière « en a déroulé du câble », et toute seule, sans mac, sans souteneur! Grâce à l’aide protectrice et musclée de Léon Chinchard, un fic de choc qui a été un des premiers clients de la belle allongée en sa belle jeunesse.

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Et Ginette se raconte… Elle décrit ses clients, et Florence Cestac s’en fait l’illustratrice, sans tabou, avec une grivoiserie qui fait du bien, avec un sens de l’humour qui n’est pas sans rappeler celui d’un Bunuel mettant en scène Francis Blanche dans « Belle de jour ».

L’humour est dans les mots, dans les gestes, dans les attitudes, dans les nudités, dans les étreintes.

Il ne s’agit nullement, vous l’aurez compris, d’une œuvre à ambition sociologique ! Et pourtant… Florence Cestac a toujours été une femme engagée, féministe souvent, affrontant les ordres établis par des pouvoirs toujours bien-pensants.

Elle n’échappe pas à cette force qui est la sienne dans ce petit livre que je qualifie, pleinement, de jouissif ! Mais le portrait qu’elle nous fait d’une « putain » ne manque pas de provocation, loin des images habituelles, qu’elles soient morales ou d’Epinal. On est loin, aussi, de l’approche intellectuelle qu’un Sartre en a faite…

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L’érotisme, la pornographie, ce sont des réalités qui font partie intégrante de la condition humaine (pas celle de Malraux, non…). Prendre ces réalités avec humour, c’est leur offrir une place de choix, la place qui est la leur : celle du plaisir, tout simplement…

Et Florence Cestac y parvient avec une simplicité et un constant sourire qui font de ce petit album, vite lu, vite aimé, un moment de lecture bien agréable !

Jacques et Josiane Schraûwen

Ginette (auteure : Florence Cestac – éditeur : BD-CUL – septembre 2021 – 100 pages)

Go West Young Man

Go West Young Man

14 histoires et 75 ans pour revisiter les mythes du western

Tiburce Oger et Hervé Richez, les scénaristes de cet album, aiment l’ouest américain et toutes les légendes qu’il véhicule… Et c’est à ce monde proche toujours de la tragédie qu’ils consacrent cet album, avec l’aide de 15 dessinateurs !

Go West Young Man © GrandAngle

C’est dès ses débuts que la bande dessinée s’est intéressée au western, avec, dès les années 1900, des portraits des figures mythiques de la grande aventure américaine.

Au fil du temps, s’inspirant à la fois des nombreux romans américains (de Louis Lamour entre autres), du cinéma et d’une certaine forme de politique « bien-pensante », les aventures western se sont multipliées. Pendant la guerre 40-45, le magazine Spirou a fait ainsi dessiner Red Ryder par Jijé, avec, en filigrane, l’image d’une certaine forme de liberté que l’occupation nazie supprimait…

Go West Young Man © GrandAngle

Au gré des années et des acceptations de passés peu glorieux, les thématiques propres à ce genre ont évolué, elles aussi, et il faut souligner l’extraordinaire portée du film « Little Big Man » en 1970, après lequel raconter une histoire de la grande Histoire américaine de manière manichéenne devint pratiquement impossible !

Go West Young Man © GrandAngle

En bande dessinée, les choses n’ont pas été différentes. Jerry Spring avait déjà modifié les règles en vigueur dans le domaine du western, Hermann, Greg et Comanche les ont totalement chamboulées…

Et, depuis, bien des dessinateurs, de Fuente à Palacios, de Giraud à Prugne, se sont aventurés dans cet univers tellement particulier. Et ce sont quatorze d’entre eux qu’on retrouve dans ce livre étonnant.

Plutôt que de parler de roman graphique, je préfère décrire ce livre comme un recueil de nouvelles graphiques, de sketches dans le style des films italiens et français des années 50…

Go West Young Man © GrandAngle

Il y a, comme dans ces films, un fil conducteur qui fait toute l’unité de l’album : une montre qui, de récit en récit, passe de main en main, de gousset en gousset…

Tout commence en 1763, avec le dessinateur Prugne, les Indiens, et la variole importée par les hommes blancs. Ensuite, C’est Taduc qui nous dessine l’amour et ses métissages, avant de passer le relais à Blasco Martinez qui rappelle les remous sociétaux du racisme le plus répugnant. Meyer aborde, quant à lui, ce thème souvent mis en scène dans les films des années 40 et 50, le pony express.

Go West Young Man © GrandAngle

Et puis, il y a Meynet et la guerre de Sécession, Bertail et les nouvelles guerres entre Indiens et Blancs, Labiano et les truands qui tuent par peur, Boucq et les voleurs de bétail, Hérenguel, la vengeance et le justice, Blanc-Dumont et Cuzor face à Geronimo, Rossi et les Indiens, encore, Rouge et la fin d’une époque, Toulhoat et Pancho Villa, et, enfin, Gastine qui boucle la boucle en nous parlant d’injustices plus contemporaines.

Ainsi, entre 1763 et 1938, c’est le temps qui égrène l’Histoire…

Oui, au travers d’une montre, c’est le temps le héros de ce livre, un temps qui n’a que le gout du sang.

Go West Young Man © GrandAngle

Mais cette Histoire, dite majuscule, abandonne les oripeaux de la convenance sous la plume de Tiburce Oger et Hervé Richez, se faisant d’abord et avant tout une suite de portraits humains. Des portraits lucides, réalistes, donc dépassant toujours les simples remous iconiques d’un rêve mensonger pour s’enfouir dans ce qui fait vraiment l’humanité : les failles, les violences, les horreurs, les impossibles espérances.

C’est un livre qui, incontestablement, rend un hommage vibrant et réussi à un genre que le neuvième art vénère depuis longtemps, le western.

Go West Young Man © GrandAngle

Je dirais même que cet hommage prend un ton très classique dans sa forme. Chacun des dessinateurs s’est efforcé, avec l’aide de quelques excellents coloristes, de se fondre dans une forme classique, tant

au niveau narratif que graphique. Cela n’en rend que plus puissant encore, sans doute, le propos qui, lui, parvient à écorcher l’image qu’on peut avoir du passé, un passé qui n’est pas le nôtre mais qui ne peut que nous être le miroir de nos propres heures enfuies.

Go West Young Man © GrandAngle

Il m’est impossible de mettre en avant l’un ou l’autre des artistes qui meublent, dans tous les sens du terme, cet extraordinaire livre, tant ils forment un casting parfait ! Et parfaitement talentueux ! Et si j’ai un regret, un seul, c’est de ne pas voir au générique de cette fresque dessinée le nom d’Hermann…

Mais ce n’est qu’un regret tout personnel, qui n’enlève rien au plaisir qui fut mien de me plonger dans un univers qui m’a remis en mémoire Gary Cooper, Clint Eastwood, Dustin Hoffman, Richard Harris…

Jacques Schraûwen

Go West Young Man (scénario : Tiburce Oger, avec la collaboration d’Hervé Richez – 16 dessinateurs et 5 coloristes – éditeur : GrandAngle – novembre 2021 – 111 pages)

Game Over : 20. Deep Impact

Game Over : 20. Deep Impact

Vingt albums, déjà, pour ce petit guerrier qui cherche sans cesse à sauver sa belle sans jamais y parvenir. Vingt albums de gags dont on connait toujours la fin, la chute ! (Et je dédie cette chronique à Eliane… )

Game Over 20 © Dupuis

C’est au début des années 90 que Midam, dans les pages du journal de Spirou, crée le personnage de Kid Paddle, un gamin et ses copains fous de jeux vidéo, fan de « trash » aussi, au grand dam du père de Kid, un peu lunaire et très « dépassé ».

Ce qui était au départ une série gentillette à l’attention d’un jeune public a réussi à suivre l’évolution de ce jeune public… L’apparition des consoles de jeu, des jeux de plus en plus élaborés dans le domaine de la virtualité, de cette virtualité de plus en plus présente dans toutes les couches de la société, tout cela a fait de Kid Paddle une série à succès, et a permis à son créateur de s’entourer d’une équipe capable des garder le cap, de continuer à, graphiquement et scénaristiquement, faire de ce gamin un peu allumé un personnage toujours actuel.

Game Over 20 © Dupuis

Et puis, à force de nous montrer les réactions d’un môme et de ses proches vis-à-vis des univers virtuels de jeux de plus en plus sophistiqués, de plus en plus gore aussi, Midam a un jour créé un personnage de petit soldat soucieux de vivre le grand amour avec sa belle.

Game Over est né, ainsi, au début des années 2000, sous la houlette de Midam, toujours, mais sous la plume d’Adam (entre autres, sans doute).

La gageure n’était pas évidente, mais le pari est gagné, depuis vingt albums désormais !

Le pari d’utiliser des codes « vidéo » que les enfants reconnaissent du premier coup d’œil, mais le faire par petites séquences, par instants choisis dans le cours d’un jeu. Et choisis pour une seule raison, le fait que le chevalier n’arrive pas à ses fins !

Game Over 20 © Dupuis

Le pari de raconter ces instantanés d’un jeu inexistant en une seule page, usant pour ce faire des codes bien connus des gags rapides et vifs, mais avec un code de plus : tout lecteur sait, dès la première case, que la fin est connue, et qu’elle sera mortelle pour le petit chevalier et/ou sa princesse !

Le pari, également, de choisir pour ces récits en quelques dessins des chemins auxquels les enfants sont habitués : un monde de fantasy dans lequel les monstres pullulent, dans lequel les moyens de les éviter existent, dans lesquels toute erreur de manipulation ludique entraîne la mort, c’est-à-dire la fin du jeu, le game over !

Game Over 20 © Dupuis

Alors, c’est vrai, on est loin des princes charmants et des princesses enamourées… L’eau de rose devient plutôt un marécage de mauvais sentiments. Et je peux comprendre, bien évidemment, que des gens trouvent tout cela exagéré… Mais ne condamnons pas d’emblée, adultes, ce que nos enfants (ou petits-enfants) aiment dans cette série qui n’est macabre qu’avec un humour que les jeunes générations, qu’on le veuille ou non, savourent avec un vrai plaisir, et sans arrière-pensées morbides ! Certes, la mort n’est pas un jeu, mais ce qui est ludique, c’est le rire, le sourire, l’humour, même et surtout peut-être le plus noir qui soit !

Oui, Eliane, je peux te comprendre…

Mais le monde change, et il nous appartient, à toutes et à tous, de retrouver le sens de l’absurde, cher à l’enfance et aux poètes, et de faire plus que sourire à la lecture des avatars d’un petit chevalier aux mille et une vies, personnage de papier sans cesse renaissant pour de nouvelles turpitudes, anti-héros toujours perdant…

Game Over 20 © Dupuis

On pourrait sans doute analyser les dessous psychologiques de cette série… La mort est toujours la destination finale de toute errance humaine… Mais les difficultés de la vie offrent toujours, aussi, des possibilités de rédemption…

Mais je ne vais pas rentrer dans ce jeu intello, non.

Je vais simplement dire que « Game Over » me fait sourire, rire même parfois, et que l’absurde de ces gags teintés de virtualité ressemble fort, finalement, à l’absurdité de nos réalités !

Jacques Schraûwen

Game Over : 20. Deep Impact (dessin : Adam et Midam – scénario : Midam et Patelin – couleur : Ben Bk – éditeur : Dupuis – août 2021 – 48 pages