Lucile & L’Info

Lucile & L’Info

Une critique humoristique mais acerbe aussi du monde des médias télévisés !

Loin de moi l’idée de vilipender à tout crin les chaînes télévisées ! Mais, je le reconnais avec plaisir, cette bd vient à son heure pour mettre le doigt dans l’engrenage de « l’info », très exactement là où cela fait mal !

Lucile & L’Info © Bamboo

D’emblée, et dès la couverture, nul ne peut ignorer quelle est la cible des gags qui vont se suivre dans cet album de Poitevin et Erroc. C’est BFMTV qui est visée, cette chaîne française d’information en continu connue pour ses erreurs, ses dérives politiques, ses prises de position sans réelle analyse.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : au-delà de ce média déjà bien souvent, et à juste titre, attaqué (par ses collègues et concurrents, d’ailleurs…), c’est toute une profession qui est mise en avant, et pas du tout à son avantage !

Avec, en contrepoint, et je dirais « par l’absurde », cette question : qu’est-ce, de nos jours, qu’être journaliste d’info ?

Lucile & L’Info © Bamboo

L’héroïne de cet album, Lucile, est tout juste sortie d’une école de journalisme. Elle est engagée par KfmTV, sans ignorer ce qu’est cette télé dite, ici et là, « poubelle ». Mais elle veut travailler, elle veut apprendre son métier autrement que sur des bancs d’école. Et, de page en page, de gag en gag, c’est son parcours professionnel qu’on va suivre, en souriant, en riant, en se posant aussi des tas de questions quant à notre propre positionnement face à ces télés qui, finalement, n’ont qu’un mot d’ordre : « Faut être les premiers » ! Même si, pour ce faire, on zappe toute vérification sérieuse des sources. Une fausse info, après tout, cela se rectifie… Un scoop raté, c’est une perte immédiate d’auditeurs, donc de revenus publicitaires et de pseudo-crédibilité.

Je le disais : au-delà de la seule chaîne presque nommément présente, c’est tout le journalisme télévisé qui fait l’objet de cet album.

Lucile & L’Info © Bamboo

Un album qui vient à son heure, d’ailleurs, tant il est vrai que les journalistes qui font des reportages sur le terrain sont de plus en plus souvent pris à partie, critiqués ouvertement pour la manière dont le média auquel ils « appartiennent » traite l’actualité, et, dans cette actualité, la vraie vie des vrais gens…

Et donc, face à ce manque de confiance de plus en plus criant vis-à-vis des journaux télévisés (ou parlés…), Erroc au scénario et Poitevin au dessin nous concoctent des gags qui font à la fois rire et réfléchir.

Des gags dans lesquels, s’ils sont honnêtes, bien des journalistes reconnaîtront une part de leur quotidien.

Il y a, par exemple, le narcissisme d’un présentateur vedette, plus intéressé par son fond de teint et sa coiffure que par les sujets qu’il va aborder.

Il y a la multiplication des micro-trottoirs qui permettent d’orienter l’info selon le bon plaisir d’un éditeur.

Il y a ces reportages en direct pendant lesquels il ne se passe strictement rien.

Lucile & L’Info © Bamboo

Il y a ces envoyés spéciaux qui, pour des « marronniers », sujets qui reviennent chaque année, poireautent dans le froid pour deux images déjà vues mille fois. Chaque année, ainsi, n’a-t-on pas droit à des reportages qui se pensent poétiques sur l’hiver et la neige ? Et, dans cet album, la jeune Lucile s’y colle, dans l’attente du tout premier flocon…

Il y a ce que les médias appellent « l’info importante », c’est-à-dire l’info immédiate… D’où un mélange des genres, avec un sujet télévisé sur les sdf juste après un autre sujet sur le luxe et la richesse.

Il y a les experts, le plus souvent auto-proclamés, et imposés par les chefs d’édition, et qui, parfois, souvent même, sont plus idéologues qu’analystes.

Il y a des éditorialistes sans relief et d’autres éditorialistes réactionnaires, parce que la polémique attire les téléspectateurs, et que les téléspectateurs appellent les rentrées financières de la publicité.

Il y a tout cela dans ce livre, avec humour.

Lucile & L’Info © Bamboo

Je l’avoue humblement, je ne suis pas, habituellement, fan de ces livres qui, chez l’éditeur Bamboo et chez d’autres éditeurs, se multiplient et mettent en avant, avec un sourire plus ou moins réussi (ou raté) des métiers variés.

Mais ici, j’ai été séduit, réellement séduit. Parce que ce qui nous est montré, caricaturalement parlant, n’est vraiment pas loin d‘une réalité que les bons et vrais journalistes ne peuvent pas nier et que, parfois, ils vivent au jour le jour d’un métier dans lequel la passion laisse la place, de plus en plus souvent, à une fonctionnarisation humaine.

Lucile & L’Info © Bamboo

Mais j’insiste : ce n’est pas un livre-pamphlet, ce n’est pas un brûlot dessiné : c’est un album de délassement, dessiné de manière classique par Arnaud Poitevin, avec un beau sens des physionomies et des mouvements, scénarisés avec beaucoup de rythme par Erroc, et colorisé efficacement par Alexandre Amouriq et Mirabelle.

Un très agréable livre, donc… Une excellente surprise !…

Jacques Schraûwen

Lucile & L’Info (dessin : Arnaud Poitevin – scénario : Erroc – couleurs : Alexandre Amouriq et Mirabelle – éditeur : Bamboo – janvier 2022 – 46 pages)

Lady S : 15. Dans La Gueule Du Tigre

Lady S : 15. Dans La Gueule Du Tigre

Un album et une exposition à Bruxelles – Une interview in extenso à écouter !!!

C’est en 2004 que Lady S, héroïne pure et dure, mais emplie de failles aussi, a vu le jour. Et 15 albums plus tard, la série « Lady S » s’affirme comme une saga d’aventure classique, mais ancrée dans notre monde contemporain…

Dans le quinzième épisode de cette série commencée il y a quelque 17 ans, sur un scénario de Jean Van Hamme, le scénariste de Treize et de Largo Winch, nous retrouvons Shania Rivkas, en compagnie de sa tante, à la mémoire défaillante, en Indonésie. Avec un grand méchant aux ordres de la Chine, « Le Tigre », un agent des Etats-Unis qui est peut-être un traître, la disparition d’une liste secrète, une prison pour femmes, une accusation de meurtre, une évasion en fanfare, des morts, des faux-semblants…

Tous les éléments narratifs cher à Van Hamme se trouvent réunis, semble-t-il : de l’espionnage, des secrets familiaux, de l’érotisme, de l’aventure, de la politique, du combat pour le pouvoir, du fric…

Mais cela fait quelques albums déjà que Philippe Aymond est seul aux commandes du destin aventureux et aventurier de la belle Estonienne. S’il est vrai que le canevas reste le même, bien évidemment, Aymond n’ayant en rien modifié l’adn d’un personnage charismatique ayant fait ses preuves, je pense qu’on peut dire que les angles de narration, avec Aymond, ont progressivement évolué.

Ses personnages, à commencer par son héroïne, ont désormais un passé, une famille, une histoire, de la vraie consistance. Désormais, on entre plus dans l’émotion que dans l’aventure pure et dure… Avec un dessin dans lequel le décor a une importance capitale, dans lequel la couleur joue un rôle évident, dans lequel les femmes ne sont plus uniquement des bimbos sexy…

Philippe Aymond, outre ce nouvel album, a également a une autre actualité. Il expose dans une galerie bruxelloise, le Comic Art Factory, à la chaussée de Wavre, jusqu’au 18 décembre… Une exposition dans laquelle on peut voir toute

l’évolution du talent de Philippe Aymond, avec, par exemple, des originaux de son superbe Highlands, ou de sa reprise de Bruno Brazil…

Philippe Aymond est un dessinateur réaliste, efficace, classique. Ses albums sont les jalons d’une carrière qui, sans ostentation, se révèle solide et passionnante ! A découvrir, dans son dernier opus, et dans cette exposition simple, accueillante, intelligente…

Il est à écouter, tout au long de l’interview qu’il m’a accordée….

Jacques Schraûwen

Lady S : 15. Dans La Gueule Du Tigre (auteur : Philippe Aymond – éditeur : Dupuis – 48 pages – septembre 2021)

Philippe Aymond expose à Bruxelles jusqu’au 18 décembre (237, chaussée de Wavre – 1050 Bruxelles)

https://www.comicartfactory.com/

Lynx

Lynx

Une série de science-fiction et d’écologie, au sens large du terme !

On pourrait croire à une bd de plus surfant sur des thématiques à la mode, mais il n’en est rien. LYNX, c’est de la bonne bande dessinée d’aventures futuristes !

Lynx © Paquet

Le neuvième art a toujours aimé la science-fiction. Valérian, Blake et Mortimer, Le vagabond des limbes en sont des exemples européens parfaitement réussis.

Et ici, avec la série LYNX, dont deux albums sont déjà parus, la réussite est aussi au rendez-vous. Et si on y parle d’écologie, j’insiste sur le fait qu’il s’agit surtout d’une histoire qui tient la route, qui privilégie l’aventure, et qui s’intéresse d’abord à ses personnages. Des personnages qui ont une histoire, un passé, des personnages qui évoluent, des personnages qui parlent, et qui « sonnent » juste.

Serge Perrotin : les personnages

Résume le thème central de cette série dont deux volumes sont déjà parus est assez simple.

Lynx © Paquet

Dans un futur plus ou moins lointain, il existe un département interplanétaire de prévention des catastrophes écologiques. Les agents de ce département sont appelés les Lynx, ces animaux qu’on a réintroduits sur Terre, au vingt-et-unième siècle, pour rétablir un équilibre écologique mis en danger dans les forêts.

Un de ces agents, Bor, se voit obligé d’accepter une jeune collègue, la jolie et tempétueuse Annet Pyriev, dont le père est un des grands entrepreneurs qui sont à la source de bien des dérèglements écologiques. Leurs enquêtes vont donc unir leurs destinées, de planète en planète.

Lynx © Paquet

Et chaque planète, donc chaque enquête, va dévoiler une dérive écologique bien précise, une dérive qui ressemble à celles que nous vivons, de nos jours, sur notre vieille planète. Serge Pwerrotin, le scénariste, a voulu, ainsi, dès le premier album, nous mettre dans cette ambiance de sauvetage de notre univers, et cela rend parfois le scénario trop plein, trop touffu… En tout cas dans le premier album. Le deuxième est plus linéaire…

Serge Perrotin : les thématiques

Cela dit, ce duo est un duo solide, dans la grande tradition des vais duos de bd, ou de cinéma : deux personnages qui ne se disputent pas la première place et qui, tout au contraire, apprennent à s’apprivoiser. Le tout, également, dans une ambiance de polar futuriste, puisque Bor est à la recherche de sa fille…

Un polar, oui, mais qui laisse cependant à l’avant-plan des préoccupations qui sont celles de notre temps. Comme le climat, par exemple… Et en abordant cet thème « par la bande », Perrotin nous parle de la différence entre changement et réchauffement, entre bouleversement écologique et bouleversement technologique, ces réalités ambivalentes se complétant les unes les autres dans la gravité de la folie humaine…

Serge Perrotin : le climat
Lynx © Paquet

Et la sf et l’écologie réussissent à faire bon ménage ! Parce que le scénario de Serge Perrotin est surtout l’occasion de parler de notre monde. Chaque album peut se lire comme un one-shot, et les thèmes qui nous sont proches y sont nombreux : on y parle de l’eau, élément essentiel à toute existence, on y parle de climat, de problèmes sanitaires, de pollution, de compromissions, d’industrie et de pouvoir, de corruption et de politique. Et le tout sans manichéisme.

Serge Perrotin : un scénario sans aucun militantisme

Le dessinateur, Alexandre Eremine, est d’un vrai classicisme réaliste. Il aime la mise en scène, c‘est évident, et c’est pourquoi il attache beaucoup d‘importance aux décors. Ce sont eux, de planète en planète, mais aussi dans les bureaux et dans les habitations, qui créent les ambiances, qui rythment en quelque sorte le récit. Eremine ne perd pas son temps à dessiner des éléments technologiques de toutes sortes et c’est ce qui rend sa science-fiction très proche, finalement, de nos quotidiens, c’est ce qui permet à ce livre de parler aussi de nous, de nos vécus, de nos présents, de religion, de la lutte contre le vieillissement, de la santé. C’est une belle symbiose, en fait, qui réunit les deux auteurs de cette série.

Lynx © Paquet
Serge Perrotin : le dessin

Une série intéressante, donc, pour mieux penser, aussi, peut-être, à la fragilité de toute existence…

Jacques Schraûwen

Lynx, deux albums déjà parus (dessin : Alexandre Eremine – scénario : Serge Perrotin – éditeur : Paquet)

Serge Perrotin