Face Au Mur

Face Au Mur

Braquages, casses, évasions… Ce livre est le portrait fragmenté d’un truand  » à l’ancienne « , mais il est aussi le portrait d’une société, la nôtre, et de ses mille enfermements… Il est le fruit d’une rencontre passionnée et passionnante!

Toute œuvre d’art naît d’une rencontre entre un auteur et son sujet. Ici, c’est un être humain que l’auteur a rencontré, et c’est cet être-là, avec toutes ses dérives, qui est devenu le sujet de son livre.

Dès le départ de cet album, le ton est donné par une phrase en exergue… Il s’agit de fiction inspirée par des faits réels. Des faits qui ont été racontés à Laurent Astier, le dessinateur et scénariste, par Jean-Claude Pautot, crédité dès lors comme coscénariste. Des faits qui sont ceux du grand banditisme. Des faits relatés par un braqueur multirécidiviste, condamné à perpétuité, à un dessinateur, au long d’une relation qui s’est faite amitié.

Laurent Astier: l’origine de ce livre

 

 » Face au mur « , c’est un album puissant, sombre, mais, en même temps, animé par une forme d’espoir. C’est un livre qui plonge dans la vie d’un prisonnier qui se souvient, qui nous parle de lui. Un prisonnier qui, bien évidemment, ressemble à Jean-Claude Pautot, aujourd’hui libre. Un ex-prisonnier, désormais, qui se retrouve dans ce livre tel qu’il a vécu, marginal de la société, vivant de règles qui n’avaient jamais rien de moral mais qui répondaient toujours à l’urgence du moment, en une trajectoire humaine à la poursuite d’une sorte de liberté impossible. Un ex-taulard qui a livré au dessinateur son passé, au rythme de sa seule mémoire.

Le résultat en et un album dans lequel la chronologie est absente, puisque aucune souvenance humaine ne suit les diktats d’une quelconque fidélité au temps qui passe.

Le personnage central de ce livre se retrouve face au mur, le mur de l’asociabilité, le mur de ses propres absences, le mur de ses passés, fragmentés, qui lui reviennent par petites touches… Des petites touches qui, grâce au talent narratif de Laurent Astier, deviennent des chapitres, des chapitres qui, comme dans un roman, nous restituent d’abord et avant tout l’humanité d’un être, au travers de sa voix, une voix qui raconte, une voix qui rythme tout le récit, une voix sans laquelle les aventures  » policières  » racontées ne seraient que polar de seconde zone.

Jean-Claude Pautot: la force de ce livre
 Jean-Claude Pautot: le passé fragmenté
Laurent Astier: le personnage

 

Outre Jean-Claude Pautot, le second personnage de cet album, c’est la prison, l’enfermement, la solitude de la condamnation, l’obligation pour un humain de n’être plus qu’un matricule pour la société, un truand pour les autres prisonniers.

Alors, bien entendu, on retrouve dans cet album bien des influences, littéraires plus que graphiques d’ailleurs. Le ton de la narration est un ton  » parlé « , mais parlé à  la manière des grands dialoguistes du cinéma d’antan, Spaak, Prévert, Audiard… Parlé à la manière, tout simplement, de Jean-Claude Pautot, pour qui, derrière les murs de chaque prison, subsiste toujours une forme de fratrie. Pas d’honneur, non ! L’honneur, c’est bon dans les films qui ont besoin de grands sentiments. La fratrie, c’est simplement la notion d’appartenance à une sorte d’ordre parallèle de la société, celui des bannis.

Ainsi, au-delà de l’histoire racontée dans ce  » Face au mur « , ce livre est  également une réflexion, comme au travers d’un miroir très actuel, de ce qu’est la prison, de ce qu’elle a été, de ce qu’elle devient. A ce titre, Laurent Astier ne se contente pas d’être le biographe d’un ami, mais il interroge, au travers de cette biographie parfois imaginaire ce qu’est, profondément, l’enfermement légal et ce qu’il sous-entend comme évolution de notre société.

Laurent Astier: la prison
Jean-Claude Pautot: fratrie et honneur

Jean-Claude Pautot est désormais un être libéré. De ses démons ?… Pas totalement sans doute, loin s’en faut. Mais réinséré, à sa manière, dans un monde auquel tout, il y a peu encore, l’opposait. Cette  » sortie d’écrou  » est née d’une réalité qui dépasse tout réalisme : l’art. C’est en commençant à peindre, derrière les barreaux, dans l’ombre des grands murs inhumains, que Jean-Claude Pautot, tout en appréhendant des règles de composition qui lui étaient jusque-là inconnues, a appris à se regarder et à se voir différemment, autrement. Aujourd’hui, il peint, il expose, dans un quartier chic de Paris, un de ces quartiers qui, autrefois, n’auraient été pour lui que terrain de chasse. Aujourd’hui, même si ses tableaux sont habités, profondément, par tout ce qu’il a vécu, tout ce qu’il a souffert et fait souffrir, et vu souffrir, même si la violence de son existence trouve un exutoire dans sa peinture, Jean-Claude Pautot sait qu’on peut changer la vie. Et son message, dans ce livre comme dans son quotidien, désormais, c’est celui-là : rien n’est jamais totalement détruit, et l’espérance folle de s’en sortir par la curiosité, par l’écoute, par le respect, cette espérance peut être une réalité pour ses nouveaux amis, les rappeurs, et par leur public auquel il veut faire passer ce message-là : la mort n’est pas et ne sera jamais une solution, même à l’injustice !

Jean-Claude Pautot: l’art

Pour parler de ce livre, j’ai rencontré les deux auteurs, vous l’aurez compris. Et vous aurez compris également toute la puissance que me fut cette rencontre avec un homme comme Jean-Claude Pautot. Je connaissais déjà Laurent Astier, j’aimais son travail, sa collaboration avec un scénariste comme Dorison par exemple. Mais ici, sans aucun doute possible, il devient un des grands auteurs de la bd, un de ces auteurs capables de s’effacer derrière un sujet qui le dépasse mais qu’il réussit à rendre présent grâce à son talent graphiste fait de réalisme et d’ellipses, grâce aussi à la façon dont il use de la couleur pour qu’elle soit là, continuellement, afin de souligner la puissance des faits relatés, et la force son propos d’auteur. Un auteur à part entière!

 

Jacques Schraûwen

Face Au Mur (dessin et scénario : Laurent Astier – scénario : Jean-Claude Pautot – éditeur : Casterman)

Streamliner : 1. Bye-Bye Lisa Dora

Streamliner : 1. Bye-Bye Lisa Dora

Le désert, un garage perdu loin de tout… et une course de vitesse qui attire une foule dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est particulièrement bigarrée !… Une aventure sans règles et terriblement  » sexy  » !

Pour les non-initiés, le titre de cet album, premier d’un diptyque, pose question… On devine, bien entendu, en feuilletant l’album, qu’il s’agit de vitesse, de vitesse pure même, de voitures et de motos aux moteurs gonflés, de rassemblements d’humains avides de sensations fortes dans une ambiance de liberté… Mais le streamliner, au départ, c’était d’abord un  » mouvement  » mêlant une forme d’art et une forme de science…

Fane: Que signifie « Streamliner »?

 

Faire des courses de vitesse sur des grandes pistes ou dans des déserts… et c’est bien de cela qu’il s’agit dans cet album, puisque c’est dans une station-service miteuse entourée de sable brûlant de de quelques rochers dangereux que le récit nous emmène. Cette station-service sans aucun intérêt, où pratiquement personne, jamais, ne s’arrête, est tenue par un homme et sa fille. Un homme accroché à ses bouteilles et à ses souvenirs militaires et qui a placé un vieil avion en guise d’enseigne de sa station, de sa propriété. Et sa fille, mignonne, jeune, très féminine, mais aussi très décidée.

Et débarque dans ce lieu improbable Blly Joe, un chef de bande qui vient y organiser une course sauvage, ouverte à qui veut.

A partir de ce moment-là, les personnages et les situations vont se multiplier, et le livre va dresser des tas de portraits hauts en couleur. Il y a des fous d’automobile, mais il y a aussi de superbes amazones chevauchant des motos aux allures infernales, il y a une ancienne compagne de Billy Joe, il y a le passé qui ressurgit pour le vieil O’Neil, propriétaire, il y a l’obligation pour sa fille de s’affirmer et s’engager. Il y a aussi un peu de polar, puisque vient se réfugier dans cette propriété privée un homme que l’on soupçonne d’être un terrible assassin. Il y a aussi, donc, des policiers sous couverture venus pour empêcher ce tueur d’agir encore. Et puis, il y a les médias qui voient là l’occasion de faire une télé réalité phénoménale susceptible de leur apporter succès, gloire et argent !

La force de Fane, scénariste et dessinateur, c’est de ne jamais se perdre, ni perdre les lecteurs surtout, dans ce fouillis de personnages. Son dessin différencie parfaitement tous les protagonistes, et son scénario parvient à faire parler chacun de ses héros ou anti-héros d’une manière différente.

Sa force, aussi, c’est de créer un univers qui ne peut que faire rêver, même ceux qui ne sont pas particulièrement attirés par les grosses cylindrées et les muscles roulant sous les tatouages ! Un univers avec ses règles, certes, mais des règles qui sont uniquement celles d’une certaine forme de respect, et qui n’ont rien à voir avec quelque morale que ce soit. Un univers dans lequel la seule loi voudrait être celle de la liberté, avec tous les risques qu’elle peut entraîner. Mais ce sont des risques acceptés, voire voulus par chacun !

Et s’il fallait parler de codes narratifs, on pourrait rapprocher cet album des grands westerns de l’histoire du cinéma, très certainement.

Fane: les personnages
Fane: comme dans un western

 

En lisant ce  » Streamliner « , on ne peut pas remarquer quelques influences. Ou des parallélismes, plutôt. Avec James Dean, avec Peter Fonda, ou Steve McQueen, dans l’univers du cinéma. Avec Tarentino aussi, évidemment, de par le thème traité et de par l’ambiance qui règne au fil des pages de ce livre. De par la présence féminine aussi, hyper sexy souvent, fougueuse toujours.

On pourrait aussi, dans certains des personnages, parler d’une influence de Forest, dans la manière peut-être de silhouetter les personnages…

Mais il n’y a rien de voyeur, étrangement, on se trouve plutôt, même, dans une espèce d’ode aux  » pin-up  » qui fleurissaient dans tous les garages au cours des années 50.

Il y a aussi une certaine pudeur en ce qui concerne la violence. Et le dessin de Fane évite ainsi toute vulgarité et tout voyeurisme.

Fane: violence et charme

 

 

Construit en chapitres, tous agrémentés de pleines pages très  » vintage  » et très agréables à l’œil, cet album est d’une belle intensité. Une intensité accentuée, avec un talent artistique certain, par la mise en couleur. Dans ce domaine, on peut dire que le travail d’Isabelle Rabarot est d’une qualité telle qu’on ressent presque l’effet de la chaleur, qu’on entend presque le vent souffler dans le sable ou dans les rochers.

 » Streamliner « , c’est de la bonne bd qui sent bon le sable chaud et qui met en évidence des filles jolies, mais actives, des femmes qui prennent le pouvoir sans vergogne sur les machos ! C’est de l’aventure, qui ne se prend pas au sérieux, et qui se laisse lire, croyez-moi, avec un vrai plaisir ! Du très très très beau boulot !

 

Jacques Schraûwen

Streamliner : Bye-Bye Lisa Dora (auteur : Fane – couleur : Isabelle Rabarot – édit eur : Rue De Sèvres)