Rodin : Fugit Amor, Portrait Intime

Rodin : Fugit Amor, Portrait Intime

Joël Alessandra nous parle, dans cette chronique, de celui qui fut sans doute le plus grand sculpteur des dix-neuvième et vingtième siècle. Il nous raconte Auguste Rodin, sujet de ce livre, au travers de trois femmes qui lui furent essentielles…

 

2017… On pourrait appeler cette année l’année Rodin, année du centenaire d sa mort, puisqu’elle voit fleurir un film avec l’extraordinaire Vincent Lindon,, une rétrospective à venir très bientôt, et un album bd qui rend un hommage vibrant à cet artiste hors du commun que fut Auguste Rodin, créateur démesuré et génial.

Il s’agit ici, bien évidemment, d’une biographie dessinée. Mais une biographie qui ne se contente pas de suivre Rodin d’œuvre en œuvre, d’année en année, mais qui s’enfouit dans ce que  fut son existence autour des femmes. Grâce à trois femmes, qui forment, chacune, un des chapitres de ce livre.

Rose, d’abord, la compagne des débuts, celle qui devint, à  la fin de la vie de Rodin, son épouse.

Camille, ensuite, sœur du très catholique Claudel, élève de Rodin, amoureuse passionnée et démesurée de cet homme qui lui faisait découvrir en même temps son talent et ses possibilités de bonheur charnel.

Claire, enfin, que Rodin aima sans doute pour ses talents amoureux autant que pour sa faculté à gérer son œuvre d’homme vieillissant.

En guise de morale, Rodin utilise une phrase lapidaire reprise dans cet album : il n’y a pas d’immoralité dans l’art…

Pas d’immoralité, sans doute, mais une immense amoralité, le besoin pour Rodin de ne pas s’inscrire dans les règles de la bienséance. Il eut des amours tapageuses, avec des femmes qu’il vampirisait à sa manière. Il eut une carrière construite autour de l’érotisme, dans ses sculptures, bien sûr, mais aussi dans ses dessins qui, pour certains, se faisaient érotiques au travers d’une sorte de figuration presque abstraite.

Ce livre aurait donc pu être très érotique, mais il n’en est rien. Parce que c’est d’amour et d’amitié, même charnelle, que les deux auteurs nous parlent, et, habillées, toutes les femmes qui peuplent cet ouvrage n’ont rien d’érotique. Elles ne le deviennent qu’en se dénudant, modèles ou amantes, en parallèle, finalement, de l’œuvre même de Rodin pour qui la chair se devait d’être immortalisée dans tous ses débordements.

 

Joël Alessandra: le scénario

 

 

Joël Alessandra: Rodin dessinateur

 

 

 

Aucun art ne peut se vivre dans la seule solitude. Pour qu’un tableau, un poème, une sculpture prennent vie, il leur faut l’apport de la rencontre, du hasard, l’affrontement avec d’autres formes artistiques.

Pendant toute son existence, Auguste Rodin, ainsi, ne s’est pas contenté de créer des formes nées de ses imaginaires ou de ses seules souvenances passagères. Il a nourri son art de dessinateur et de sculpteur des rencontres qu’il fit. Rencontres féminines, c’est vrai, et donc amoureuses, mais rencontres totalement artistiques aussi : ceux qui le prirent comme élève à ses débuts, ceux à qui, ensuite, il apprit son métier et, parmi ceux-ci, Camille Claudel. Rencontres littéraires, également, poétiques même. Dans les deux mains jointes qu’il a sculptées et nommées  » Cathédrale « , comment ne pas voir, en effet, une véritable influence littéraire et mystiquement poétique?

Et ce n’est pas la moindre qualité de ce livre-ci que de laisser la place à plusieurs références littéraires, qui réussissent à rythmer le récit biographique, tout en donnant une âme au personnage central, ambitieux et sûr de lui, certain, surtout, de la puissance de sa création.

Joël Alessandra: la littérature

 

Joël Alessandra: la création

 

 Rodin

L’univers de Rodin, le Rodin sculpteur en tout cas, et celui de Joël Alessandra, le dessinateur de cet album, sont loin, c’est certain, d’être  semblables. On aurait pu avoir peur donc d’une  » interprétation  » de l’œuvre de Rodin par les aquarelles prises sur le vif d’Alessandra. Mais il n’en est rien, et la volonté du dessinateur de rendre avec véracité les formes charnelles essentielles au travail de Rodin, cette volonté réussit le tour de force de parvenir à un réalisme que je qualifierais de poétique, grâce au jeu des couleurs qu’affectionne Alessandra.

 

Joël Alessandra: rester fidèle à Rodin…

 

 

 

Toute biographie ne peut qu’être incomplète, et ce  » Rodin  » ne faillit pas à la règle. Par un scénario fouillé et très ciblé sur l’amour et l’amitié comme inspirateurs de l’art, par le dessin, aussi, qui réussit à s’effacer derrière la stature imposante du personnage qui a servi de modèle à ce livre, les deux auteurs parviennent cependant à donner vie à Rodin, à ses certitudes comme à ses doutes, à ses engagements comme à ses fuites, à ses lâchetés comme à ses volontés.

Un excellent album, qui vient à son heure, et qui prouve que le neuvième art peut très bien se conjuguer avec toutes les autres formes artistiques…

 

Jacques Schraûwen

Rodin (dessin : Joël Alessandra – scénario : Eddy Simon – éditeur : 21g)

Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet : 2. Meurtres Dans Un Jardin Français

Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet : 2. Meurtres Dans Un Jardin Français

Le Ric Hochet de Zidrou et van Liemt ressemble à celui de Tibet et Duchâteau… Mais il s’en différencie par le fait que ses nouveaux auteurs en fassent un être qui vit, rêve, bouge et aime comme tout un chacun, et pas (plus, plutôt…) comme un super-héros !

 

Ric Hochet © Le Lombard

 

Nous sommes en 1968, dans une société française qui ne se reconnait plus vraiment et qui, lentement mais sûrement, se dirige vers ce qui sera un mai flamboyant…

Dans cette France à la poursuite d’elle-même et de neuves valeurs, le journalisme incarné par Ric Hochet ne correspond plus à ce que sont les aspirations, en ce domaine, de la jeune génération. Il faut dire que la politique politicienne a pris de plus en plus de place, et que les compromissions, même avec le journal où travaille Ric, sont monnaie courante.

Dans cet album, Ric Hochet se retrouve d’abord confronté à un truand qui réussit presque à le tuer, et dont on devine que, dans les prochains livres, il aura encore sa place. Mais il se trouve aussi confronté à des meurtres étranges qui ont lieu dans les jardins du Luxembourg et qui semblent n’avoir été provoqués que par l’ardeur de baisers amoureux et fougueux !

Une autre confrontation vécue par Ric Hochet, dont un bras est plâtré, c’est de devoir laisser Nadine conduire sa voiture, ce qui ne l’enchante vraiment pas, macho comme il est depuis toujours…

Et l’enquête, donc, commence… Avec Bourdon, bien entendu, complice de toujours… Mais surtout avec des personnages qui sont bien de leur époque, des jeunes journalistes d’extrême gauche qui se battent pour des vérités que le monde du pouvoir veut occulter, et qui ont un rapport très étroit avec le pouvoir de l’argent et des essais nucléaires au fond d’un désert africain…

 

Ric Hochet © Le Lombard

 

Du côté du scénario, même si certaines péripéties sont attendues, le plaisir est au rendez-vous, tant il est vrai que Zidrou réussit à parler de notre propre société au travers d’un récit qui aurait pu pourtant être daté. Tant il est vrai, également, qu’il adore humaniser Ric Hochet, le montrant intimement enlacé, le montrant puissamment embrassé, le faisant vivre dans le quotidien le plus trivial, comme celui d’une vaisselle non faite ! Zidrou nous raconte une histoire policière linéaire, dans la veine de ce que Ric Hochet a vécu pendant des dizaines d’albums déjà, mais il mitonne ce récit de quelques réflexions importantes, de pas mal de traits d’humour aussi, plus directs peut-être et plus adultes en tout cas que ceux dont Tibet aimait émailler ses albums.

Du côté du dessin, van Liemt réussit à nous restituer un Ric Hochet qui ne trahit en aucune manière celui de Tibet, son créateur, mais en lui donnant plus de consistance, plus de jeunesse, aussi, dans le trait comme dans le mouvement.

Ne boudons surtout pas notre plaisir ! La renaissance de Ric Hochet est une belle réussite, sans aucun doute, puisqu’elle ne trahit pas son modèle tout en lui permettant de s’intégrer plus profondément dans le monde qui est le nôtre !

Sous le dessin de van Liemt et les mots de Zidrou, Ric Hochet, incontestablement, prend chair, et c’est un vrai plaisir que de pouvoir le suivre dans ses nouvelles aventures !

 

Jacques Schraûwen

Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet : 2. Meurtres Dans Un Jardin Français (dessin : Simon van Liemt – scénario : Zidrou – éditeur : Le Lombard)

 

 

Astérix Chez Les Belges : une exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée, à Bruxelles, jusqu’au 3 septembre 2017

Astérix Chez Les Belges : une exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée, à Bruxelles, jusqu’au 3 septembre 2017

La commissaire de cette exposition, Mélanie Andrieu, a répondu à nos questions et nous explique le pourquoi de cette exposition bien sympathique…

 

Astérix fait partie intégrante de la grande histoire de la bande dessinée, et l’album  » Astérix chez les Belges « , qui fut le dernier scénarisé par l’immense Goscinny, est sans aucun doute un des meilleurs titres de cette série mythique.

Goscinny et Uderzo ont eu, rappelons-le, leur premier grand succès avec une série parue dans le  » Journal de Tintin « , Oumpah-pah, à la fin des années cinquante. Une série qui, tant au niveau du dessin que du scénario, s’éloignait de façon assez indéniable de la ligne claire chère à Hergé, et se rapprochait même, par son esprit comme par sa construction, de ce qui se faisait du côté de Charleroi. Sans vouloir faire œuvre d’historien du neuvième art, il y a eu là, inconsciemment sans doute, la création d’un pont entre des rivaux de toujours, et ce pour le bien uniquement de la bande dessinée dans son ensemble.

Uderzo et Goscinny ont continué leur collaboration, et c’est dans le journal  » Pilote  » que l’irréductible petit Gaulois a pris vie.

Jusque-là, reconnaissons-le, les albums de bd se lisaient de manière le plus souvent  » linéaire « , et s’adressaient de but en blanc à un public de jeunes. Avec Astérix (et d’une certaine manière avec toutes les séries parues dans Pilote), il en a été autrement. Le génie de Goscinny est d’avoir compris que la bande dessinée allait connaître une évolution inéluctable, celui d’un art ouvert à tous les publics, et ce avant tout le monde (ou presque… n’oublions pas le travail exceptionnel fait par certains auteurs de chez Bayard…).

Citations latines, jeux de mots parfois tarabiscotés et dignes de Pierre Dac, situations anachroniques en rapport imagé et symbolique avec la société d’alors, c’est tout cela qui a fait de ce personnage un véritable héros. Et il est bienvenu de rendre hommage aujourd’hui à Astérix, Obélix, Goscinny et Uderzo, qui eux-mêmes ont rendu un bien bel hommage à notre petit pays !

 

Mélanie Andrieu, commissaire de l’exposition

 

 

 

Bien sûr, dans le regard que des Français pouvaient avoir sur les Belges à la toute fin des années 70, il ne peut y avoir que de la caricature. N’oublions pas que l’époque était chez nous à une véritable belgitude, avec des artistes qui revendiquaient leurs origines, comme Brel, Cordy, mais aussi toute une chanson wallonne de qualité, celle de Julos Beaucarne, et Jofroi, de bien d’autres… Et du côté flamand, il y avait entre autres Johann Verminnen…

Mais l’époque était aussi, dans l’Hexagone voisin, à un humour souvent grassement dirigé vers les petits Belges, humour dont le chef de file était Coluche, qui, dans ce domaine-là au moins, n’a pas vraiment fait preuve de délicatesse !…

Donc, de manière évidente, le regard d’Astérix sur le peuple belge, tout comme celui qu’il a eu sur les Normands ou sur les Espagnols, ce regard était empreint de préjugés bien établis dans l’intelligentsia française.

Mais Goscinny, par ailleurs auteur du Petit Nicolas, ne pouvait pas entrer dans un jeu qui n’eût été que celui d’une certaine forme de racisme ordinaire. Et dans  » Astérix chez les Belges « , avec l’aide du graphisme à la fois fouillé et vivant, animé et expressif de son complice Uderzo, c’est un portrait plutôt tendre et souriant qu’il nous offre de notre belgitude.

Et on sent, dans cet album comme dans l’exposition qui lui est aujourd’hui consacrée, que dessinateur et scénariste connaissaient parfaitement leur sujet, et qu’ils nous restituent, ma foi, un portrait qui n’est jamais à charge de note pays, mais qui, toujours, se nourrit de sourires et de partages de bons moments !

Et c’est dans cette  » gentillesse  » d’Astérix que réside, sans doute, le fait que, malgré parfois, depuis la mort de Goscinny, des faiblesses dans les scénarios, cette série reste emblématique de ce qu’est la bd pour toutes et tous, intelligente et souriante.

 

Mélanie Andrieu, commissaire de l’exposition

 

 

Les expositions du Centre Belge de la Bande Dessinée sont une des preuves que la BD est un art totalement vivant… Et cette exposition consacrée au Gaulois le plus célèbre aux quatre horizons de la planète réussit à nous plonger à la fois dans l’Histoire majuscule du neuvième art, dans l’histoire de l’humour à la française, et dans l’histoire, simplement, de notre  » pays petit aux frontières internes « , comme le disait Claude Semal…

Une belle exposition, sans tape-à-l’œil inutile, tout en simplicité, et intéressante à bien des points de vue. A aller admirer, donc…

 

Jacques Schraûwen

Astérix Chez Les Belges : une exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée, jusqu’au 3 septembre 2017