Une série qui mêle habilement le discours militant pour un monde agricole meilleur et l’aventure humaine dans toutes ses démesures. Une bd qui se plonge dans des vrais problèmes de société!
Dans les deux épisodes précédents, on a vu Florian, le personnage central de cette série, se battre contre l’héritage d’une agriculture soucieuse seulement de rentabilité, abandonner un avenir tout tracé dans le monde de la justice pour s’aventurer dans l’aventure d’une agriculture réfléchie, vivre un grand amour, une grande déchirure, connaître la trahison et la haine, découvrir que les apparences sont presque toujours trompeuses. De l’Europe à l’Amérique, il est passé de désillusion en désillusion, jusqu’à tout quitter, dans ce volume-ci, pour chercher à retrouver sa mère en Inde.
Pour construire son scénario, Fabien Rodhain a multiplié les parallèles. Parallèles entre l’Inde et la France, entre Florian et son épouse, entre sa quête et le monde agricole qui se rappelle à lui avec force.
Au-delà de l’histoire personnelle de Florian, inspirée, on le sent, par des sentiments et des réalités propres au scénariste, les thèmes abordés dans ce livre sont des thèmes à taille humaine, d’abord : la nécessité pour chaque individu de trouver son chemin, le besoin de trouver un sens à l’action que l’on se sent obligé de mener…
La narration, de ce fait, pourrait être lourde, égarer le lecteur. Le dessin, lui, et la couleur, permettent le contraire, grâce à leur fluidité. Pas de grands effets spéciaux dans le graphisme, en effet, un graphisme nourri incontestablement de classicisme, et se révélant efficace, malgré quelques petits défauts, ici et là, dans les proportions, dans les perspectives… Mais sans doute fallait-il un tel dessin pour que le propos de l’histoire racontée ne soit pas trop pesant !
Fabien Rodhain: le scénario
Parce que ce propos n’a rien de simpliste, loin s’en faut ! C’est de politique qu’il s’agit, au sens large du terme, de lutte contre les multinationales qui, aidées par l’OMC et le Fonds Monétaire International, cherchent à contrôler toutes les richesses de la planète terre… La désobéissance civile est une constante dans le propos de Rodhain, puisque le simple fait de cultiver son jardin devient un acte responsable.
Ce que cette série nous dit, dans cet album-ci encore plus que dans les autres, c’est que la mondialisation touche tout le monde, est l’affaire de tout le monde. Nous sommes toutes et tous interconnectés, de pays en pays, que nous le voulions ou non, et les décisions prises à New-York, à Londres, à Paris ou en Inde s’adressent aussi à nous, où que nous nous trouvions ! Et face à la mondialisation des semences se retrouvant de plus en plus aux seules mains d’inconscients scientifiques, d’autres mondialisations sont possibles, toutes vibrant de révolte réfléchie. Le fait, pour les auteurs de ce livre, de nous emmener en Inde, où le combat pour des semences naturelles est une réalité, le fait de nous montrer José Bové aux côtés de Vandana Shiva, dont le combat humaniste a dépassé et de loin les frontières de son pays, cette manière que les auteurs ont de nous raconter leur histoire n’est pas gratuite, et nous permet, vraiment, de nous sentir immergés dans un monde global, celui où, de France en Inde, des Etats-Unis jusqu’en Belgique, chaque jour, des agriculteurs se suicident…
Fabien Rodhain: la politique
Fabien Rodhain: la mondialisation
Pour rendre ce discours militant accessible, pour qu’il atteigne le public le plus large possible, les auteurs n’ont pas choisi la seule voie du didactisme. Ils utilisent les codes, et même les poncifs de la bande dessinée d’aventure romanesque, avec sentiments violents, amour et haine, avec actions presque héroïques et lâchetés inattendues, avec rebondissements et suspenses habilement amenés. Mais ils le font avec un vrai plaisir et accentuent ainsi leur » message « .
Florian, ainsi, pour se battre contre ce monde qu’il a fui, celui de la famille, de l’agriculture, de la justice, contre cet univers qui le rattrape, va d’abord devoir se battre contre lui-même, et ses violences, et ses addictions.
Et pour redevenir lui-même, il va devoir, on le sent, on le sait, se battre aussi contre toute radicalité, même celle du » bio « … Et oublier ses amourettes pour retrouver la vraie passion…
Cela dit, le côté didactique n’est pas absent de ce livre, puisque bien des notes de bas de page expliquent les environnements réels de ce qui nous est raconté avec l’alibi de l’imagination.
Fabien Rodhain: « se battre… »
Cette série est une série importante, sans doute, dans la société qui est nôtre et qui est à la recherche à la fois de valeurs et de vérité, de tolérance et de nécessité à se créer des avenirs un peu plus souriants que ce qu’ils promettent aujourd’hui d’être.
C’est vrai, cependant, que quelques raccourcis temporels sont parfois mal venus, c’est vrai aussi que certains personnages secondaires (des femmes surtout) disparaissent vite, sans qu’on sache très bien ce qu’elles viennent faire dans le récit.
Mais au total, ces » Seigneurs de la terre » se laissent lire avec plaisir. Et réflexion… Ces livres sont comme des yeux ouverts sur le monde que nous pouvons peut-être construire, ensemble, dans un vrai souci d’interculturalité… C’est-à-dire d’acceptation de cultures qui, entre elles, aimeraient enfin de se découvrir les unes les autres !
Jacques Schraûwen
Les Seigneurs de la Terre : 3. Graines d’Espoir (dessin : Luca Malisan – scénario : Fabien Rodhain – couleurs : Paolo Francescutto – éditeur : Glénat)