Mauvaises Mines : Et si un dessinateur pour enfants « pétait les plombs » ?…

De Jonathan Munoz, j’avais beaucoup apprécié, l’année dernière, le surprenant « dessein ». Aujourd’hui, le voilà de retour avec un album dont le moins qu’on puisse dire est qu’il pratique avec bonheur un humour infiniment noir !

 

Mauvaises mines©GlénAAARG

 

Au sein des éditions Couicoui, le bonheur est total, puisque « Pin-Pin le petit lapin », leur série phare destinée aux jeunes enfants, est un véritable best-seller. Mais voilà qu’à la sortie du dernier album de ce personnage, une surprise de taille attend le directeur de cette maison d’édition, ainsi que son adjoint. Certains des textes qui se trouvent dans ce nouveau livre sont destinés à un public adulte, très adulte même, et amateur d’humour scabreux, voire même trash. C’est donc un scandale phénoménal qui attend cette maison d’édition si le directeur et son assistant, coupables de ne pas avoir lu le livre avant impression, ne parviennent pas à faire disparaître tous les exemplaires déjà distribués.

 

Mauvaises mines©GlénAAARG

 

Voilà le début de cette histoire… Une histoire qui, dès lors, dérape, profondément, le directeur devenant totalement incontrôlable dans sa quête de « respectabilité », et tuant et torturant à qui mieux mieux pour retrouver au plus vite l’infâme auteur de cette bande dessinée qui, d’enfantine, s’est révélée horriblement triviale !

Et parallèlement à cette transformation d’un honorable citoyen d’une société bien-pensante et avide de pouvoir et d’argent en un véritable tueur sadique en série, l’auteur de « Pin-Pin », lui, va encore plus loin, en envoyant, pour publication, des illustrations qui s’enfouissent de plus en plus profondément dans la folie graphique et dans l’humour déjanté.

 

Mauvaises mines©GlénAAARG

 

Le talent de Munoz, dans cet album, tient à la manière dont il traite son sujet.

Graphiquement, déjà, il mélange, avec une délectation presque tangible, les genres… Il y a le côté très sombre, très noir et blanc, de ses illustrations, il y a le côté habituel de son dessin pour les délires du directeur de la maison d’édition, et il y a un graphisme enfantin, ici et là, non pas pour tempérer le propos de Munoz mais, tout au contraire, pour le rendre encore plus « incorrect », à tous les niveaux !

Et puis, évidemment, il y a le texte. Un texte qui pourrait se contenter de la provocation, du fait-divers en quelque sorte, mais qui se refuse à le faire. De ce fait, ces « mauvaises mines » devient une fable, cruelle, rouge sang, qui réussit à poser de vraies questions… Qu’est-ce qui peut définir la littérature, au sens large, pour enfants ? Comment se comportent les maisons d’édition face à leurs auteurs ? Qu’est-ce que l’humour ? Notre monde n’est-il pas, foncièrement, atteint d’une folie qui devient endémique ?

Mais ces questions ne sont que souriantes, ne vous en faites pas ! Grinçantes, oui, dégoulinant de sang, usant d’un vocabulaire pour le moins « osé », mais souriantes, toujours !

 

Mauvaises mines©GlénAAARG

 

C’est le deuxième livre que je lis sous le label GlénAAARG, et c’est le deuxième livre qui me plaît beaucoup, par son ton, par son traitement, par sa volonté de ruer dans les brancards.

On n’est pas dans l’univers de « Charlie » et de ses provocations qui, souvent, me semblent d’une peu amusante gratuité. On est ici, avec Munoz, dans de la bande dessinée qui retrouve son esprit « sale gosse » des années 70, lorsque les petits mickeys acceptaient d’être influencés par l’underground !

Ces « Mauvaises mines » devraient, je pense, trouver très vite un public enthousiaste, tout comme cette collection de chez Glénat !

 

Jacques Schraûwen

Mauvaises Mines (auteur : Jonatha Munoz – éditeur : GlénAAARG/Glénat)