Maryse et Jean-François Charles, auteurs belges du neuvième art INTERVIEWÉS dans cette chronique, signent, avec ce premier volume d’une série qui n’en comprendra que trois, une de leurs meilleures créations, à tous les niveaux! A ne pas rater!
China-Li © Casterman
Il y a déjà bien longtemps que Jean-François Charles et Maryse occupent, dans le monde de la bande dessinée, une place de choix… Il y eut, chez l’éditeur Michel Deligne (un de ces personnages trop oubliés sans lesquels la BD ne serait peut-être pas tout à fait ce qu’elle est aujourd’hui), « Le bal du rat mort » et les premiers volumes des «Pionniers du Nouveau monde ».
Depuis lors, ce couple amoureux de la narration graphique et de l’Histoire, la grande mais vue par le petit bout de la lorgnette, s’est intéressé à l’Inde, au Congo de Léopold II, à l’après Mai 68 aussi.
Et aujourd’hui, les voilà aux commandes d’une série qui se déroule dans la Chine des années Vingt.
Le dessin, de facture classique, est absolument magnifique, et les aquarelles lui donnent à la fois de la profondeur, de la luminosité et de la transparence, de manière à ce que le récit soit véritablement rythmé par cette couleur. Quant au scénario, historiquement fouillé comme toujours, il se révèle être celui d’un dépaysement total, d’un enfouissement au plus profond d’une culture qu’ici, en Europe, on a trop souvent tendance à caricaturer, ou à simplifier. Et c’est tout cela qui fait de ce premier album une complète réussite !
La réussite de cet album
Entrer dans un monde…
Il y a, dans la culture chinoise, une ambivalence qui m’a toujours surpris, dans le bon sens du terme. La littérature, par exemple, mêle toujours la trivialité et la richesse poétique, la description de gestes quotidiens les plus naturels et les envolées lyriques inspirées par la Nature-reine. Mo Yan, dont je conseille la lecture à tout le monde, en est un représentant extraordinaire.
Et le couple Charles parvient à cette ambivalence, dans ce » Shangai « , en passant entre autres de la retranscription, en mots en en images, de la castration d’un Eunuque à l’évocation de la peinture universelle et des regards que l’Art pose sur le monde et ses turpitudes.
L’histoire que nous raconte ce livre pourrait être un mélo d’aventure comme il y en a tant. China Li, est vendue à Zhang Xi Shun, à Shangai. Enfant de la campagne perdue dans cette ville, elle va découvrir avec cet homme, cet » eunuque » à qui elle appartient, un univers dont elle n’avait aucune idée. Celui de l’Art européen… Celui du dessin, de la photo, de la culture. China Li dessine, et c’est par le biais de ce langage universel qu’elle va, en quelque sorte, apprivoiser cet homme étrange, puissant, maître du trafic de l’opium à Shangai.
Il y a du romanesque, dans cette série naissante, il y a de l’aventure, il y a des décors somptueux, des pleines pages qui nous immergent dans la vie d’une grande cité chinoise… Entre les mains d’autres scénaristes, le récit se contenterait de choisir la voie du pouvoir, de la violence, de l’érotisme et du » polar » glauque.
Avec Maryse et Jean-François Charles, il n’en est rien, fort heureusement… Et tous ces éléments, bien présents, ne sont là qu’en trame de fond. C’est, finalement, de culture et de transmission à l’autre de ce que représente cette culture, l’essence même de ce que sont les racines humaines, qu’il s’agit.
Romanesque, dessin, art
Transmission et culture
Dans tous leurs livres, ce qui peut caractériser Maryse et Jean-François Charles, c’est le soin qu’ils prennent, toujours, à créer des personnages qui ont de la chair, de la présence, qui s’ancrent aux événements de leur époque mais en vivant leurs propres réalités personnelles, intimes. Avec le choix de l’époque historique des années vingt, en Chine, les auteurs nous parlent, bien évidemment, de Tchang Kaï-Chek, de la présence colonisatrice des Européens. Mais ils le font sans aucun manichéisme, s’attachant beaucoup plus à nous raconter des tranches de vie qu’une tranche d’Histoire !
En ce début d’année scolaire, les étals des libraires spécialisés en bande dessinée débordent de nouveautés, dans lesquelles il est parfois ardu de trouver une perle…
Eh bien, faites-moi confiance : ce » China Li » est une de ces perles ! Il y en a d’autres, dont je vous parlerai ici très bientôt… Mais plongez-vous dans » China Li « , une bd classique, mais profondément adulte, et réalisée avec talent, intelligence, poésie ! Le meilleur des albums du couple Charles, à mon avis!…
Jacques Schraûwen
China Li: 1. Shangai (auteurs: Maryse et Jean-François Charles – éditeur: Casterman)