Un livre qui s’attache aux pas de Charlotte Amélie Auguste Victoire Clémentine Léopoldine de Saxe-Cobourg-Gotha, princesse de Belgique avant de devenir impératrice du Mexique.
Charlotte Impératrice © Dargaud
C’est une partie de l’histoire de la Belgique que nous dévoile ce livre, oui.
Qui était cette fameuse Charlotte, fille du premier roi des Belges.
Une gamine, d’abord, presque comme toutes les petites filles de cette époque… Une enfant turbulente qui, pendant les dix premières années de son existence, va se révéler être une petite fille adorant bouger et occupant auprès de son père une place privilégiée, par ses sourires, sa bonne humeur, son entrain. Seulement, à l’âge de dix ans, elle va perdre sa mère et changer, devenir une adolescente peu encline à se livrer. Taiseuse, même. Mais toujours proche, très proche, de son père.
Et le premier intérêt de ce livre réside dans l’approche narrative des auteurs. Deux auteurs, incontestablement, qui se sont trouvé une façon de travailler apte à faire de ce livre, premier d’une série, plus qu’une simple mise en place des différents personnages, mais une véritable entrée en matière, une vraie ouverture vers la grande Histoire. Mais une histoire qui, au-delà de la mise en scène, se caractérise aussi par la volonté des auteurs de nous montrer le monde du dix-neuvième siècle au travers des yeux de cette princesse belge.
Ce qui ne va pas l’empêcher d’être convoitée par quelques prétendants de belle prestance. Mais c’est l’archiduc Ferdinand Maximilien d’Autriche que Charlotte va épouser, à l’âge de 17 ans, en 1857. Et c’est à partir de ce mariage que, lentement, son destin va se construire.
Charlotte Impératrice © Dargaud
MATTHIEU BONHOMME: SCENARIO
MATTHIEU BONHOMME: TRAVAIL MISE EN SCENE
Je soulignais, plus haut, le talent narratif des auteurs, donc de Fabien Nury, le scénariste. Un scénariste qui, tout comme Matthieu Bonhomme, prend quelques libertés avec la vérité historique. Et s’il est vrai que cela ne nuit ni à l’unité du récit ni à la véracité générale de la trame historique, je dois avouer que cela me gêne de voir Charlotte se faire courtiser dans les serres de Laeken qui ne furent construites que bien plus tard, tout comme cela me gêne de la voir tutoyer son père, dans une noblesse qui, à l’époque, évitait absolument ce genre de langage.
C’est là sans doute la liberté du raconteur d’histoires face au spécialiste de l’Histoire !
Charlotte Impératrice © Dargaud
MATTHIEU BONHOMME: ANACHRONISMES
Cela dit, ne boudons pas notre plaisir. Ce livre est une belle réussite… Un album passionnant, tantôt très fleur bleue, tantôt nous montrant une Charlotte pétrie d’ambition, un album romanesque à souhait mais s’enfouissant en même temps dans les fonds les plus repoussants de l’âme humaine de la classe dominante européenne du dix-neuvième siècle. Mathieu Bonhomme, le dessinateur, a un talent fou. Quant à Fabien Nury, passionné de la grande Histoire, ses récits sont toujours extrêmement bien construits.
Un livre qui ressemble d’abord à un conte de fées, mais un conte de fées qui va, très vite, tourner à la grisaille… L’archiduc se révèle un piètre amant, sans doute, un piètre stratège, certainement, un mari infidèle aussi… Et sans ambition ! Et c’est Charlotte, finalement, qui va le pousser à accepter de jouer le jeu de son frère et de Napoléon III et devant empereur du Mexique, un pays dont le moins qu’on puisse dire est qu’il était ingérable…
Et c’est cette histoire-là que nous raconte ce premier volume d’une série qui devrait compter quatre albums.
Le scénario, tout comme la mise en scène graphique, se révèlent très cinématographiques. Il y a sans aucun doute des références aux films de Visconti, à « Ludwig » essentiellement, avec un portrait peu amène de l’éternelle Sissi ! Comme dans le cinéma italien, cette « Charlotte » passe du rire aux larmes, de la tragédie grecque au vaudeville de boulevard, et le talent des auteurs est de réussir à faire de ce mélange une histoire qu’on aime lire et regarder.Charlotte Impératrice © Dargaud
MATTHIEU BONHOMME: CINEMA ITALIEN
Matthieu Bonhomme, de livre en livre, évite tout ennui, tout ronronnement dans son métier. On est loin, ici, de son Lucky Luke, par le découpage comme par le trait. Par contre, il garde dans son dessin, et de manière encire plus approfondie ici, le besoin de faire passer les sensations, les sentiments, même les plus insignifiants, au travers des regards de ses personnages. Je ne vais pas aller jusqu’à dire qu’on se réfère là à Sergio Leone, mais, en tout cas, il y a de la part de Bonhomme la volonté de ne pas créer des effets « spéciaux » trop envahissants et qui, de ce fait, nuiraient à la fluidité du récit.
Charlotte Impératrice © Dargaud
MATTHIEU BONHOMME: REGARDS
Et puis, soulignons aussi la superbe mise en couleurs de cet album. Isabelle Merlet joue avec les ombres, les lumières, avec le papier même, et sa façon de coloriser l’histoire de Nury et Bonhomme n’est jamais gratuite. On parle d’ambiance, toujours, quand on se retrouve en face d’un livre dont la couleur est une réussite. Mais ici, il y a plus que l’ambiance… La couleur participe pleinement à la mise en scène des décors, des lieux, des atmosphères propres à ces lieux…
Charlotte Impératrice © Dargaud
MATTHIEU BONHOMME: COULEUR
Malgré les petits défauts que j’ai cités, cet album est un excellent livre ! On ne s’ennuie à aucun moment, on prend plaisir à découvrir à la fois la grande Histoire et les petites histoires qui s’y rattachent.
Un livre qui ne pourra que plaire aux Belges soucieux de mieux connaître leur passé, donc leur patrimoine culturel, mais qui ne pourra que plaire également à toutes celles et tous ceux qui aiment qu’une bonne histoire soit romanesque, triviale, poétique, parlant de pouvoir, d’amour, de désir et d’ambition !
Jacques Schraûwen
Charlotte Impératrice : 1. La Princesse et l’Archiduc (dessin : Matthieu Bonhomme – scénario : Fabien Nury – couleur :Isabelle Merlet – éditeur : Dargaud)