Un amour presque impossible pendant la guerre d’Espagne.
Yann au scénario, André Juillard au dessin, c’est la garantie d’une histoire bien charpentée et d’un dessin réaliste efficace. Et le choix, comme sujet de fond, de la guerre d’Espagne leur permet quelques réflexions très contemporaines…
1936… Madrid est bombardée par la légion Condor, aviation allemande se préparant à d’autres conflits…
C’est la guerre… La guerre civile… Celle qui oppose les Républicains aux forces du général Franco, alliées plus ou moins officiellement aux nazis d’Hitler et aux fascistes de Mussolini.
Du côté des Républicains, il y a des Espagnols, bien entendu, qui se battent pour leur liberté, et qui sont aidés par des mercenaires, par des Russes, également.
Et c’est dans la grande errance de ces combats que deux êtres vont se rencontrer, et décider de s’aimer, malgré l’interdit » politique » qui semble s’imposer à leur liaison. Un pilote d’avion russe et une combattante espagnole… Lulia et Roman…
L’Histoire nous le dit, en effet, la Russie a fini par laisser l’Espagne aux mains de Franco… Mais eux, ces deux idéalistes, dans l’éblouissante clarté de leur premier amour, comme aurait pu le dire Prévert, veulent croire en eux, croire en leur présent, croire en leur avenir.
C’est vrai qu’on peut se demander pourquoi Yann et Juillard ont choisi de parler d’amour dans le cadre d’un conflit vieux de quelque nonante ans… Tout simplement, peut-être, parce que cette histoire permet à Yann de mettre en scène des avions, ce qu’il adore faire, et parce que cette guerre a influé sur l’enfance d’André Juillard… Nous avons toutes et tous, en quelque sorte, du sang immigré tout au fond de nos présents !
Avec ce » Double 7 « , Yann nous montre tout son sérieux lorsqu’il s’agit de rendre compte d’une époque historique bien précise. Quant à Juillard, son trait classique, son réalisme presque à l’ancienne font merveille dans le rendu graphique de cette guerre qui, aujourd’hui, est souvent bien oubliée.
Et c’est par le cadre-même de ce conflit que ce livre construit des ponts avec aujourd’hui, avec ce que notre monde soi-disant libre vit au jour le jour : la République espagnole est née des urnes, d’une volonté démocratique. Franco n’était, finalement, qu’un putschiste… Un putchiste qui a eu la chance d’avoir des appuis politiques et militaires importants, pendant que les Républicains, eux, ne pouvaient compter que sur des mercenaires et des envoyés de Staline ! La France et l’Angleterre ont laissé faire, ont fermé les yeux, même si, dans les brigades internationales, soutiens aux Républicains, toutes les nationalités étaient représentées. Avec, entre autres, un certain Hemingway qu’on croise quelques fois, d’ailleurs, dans ce livre…
Album d’amour presque romantique, un amour qui, peut-être, réussit à dépasser les frontières de la haine, album également d’aventures beaucoup plus prosaïques, l’intelligence de ce livre c’est de nous montrer la réalité du terrain, sans manichéisme. Pour parler du camp républicain, les auteurs ne font pas d’angélisme, loin s’en faut, et ils n’évitent pas de nous montrer les conflits internes qui ont également contribué à leur défaite.
Yann et Juillard sont deux auteurs essentiels dans l’histoire du neuvième art depuis les années 80. La trajectoire de Yann l’a conduit à varier ses scénarios de façon étonnante parfois, réussie pratiquement toujours. Adepte de l’humour décalé, amoureux des dialogues incisifs, passionné d’histoire sans nostalgie, il peut passer du polar au livre iconoclaste, de l’œuvre historique au récit d’imagination pure. Et il le fait avec de superbes réussites.
Quant à Juillard, il aime, lui aussi, varier les plaisirs. Mais force est de reconnaître que c’est lorsqu’il peut dessiner le » passé » qu’il se sent le mieux… La grande Histoire est le domaine, d’ailleurs, dans lequel il a, en son temps, avec Masquerouge, et » Les sept vies de l’épervier « , aidé à révolutionner la manière que la bd avait d’aborder le passé et de le raconter en évitant les clichés, ou, en tout cas, en les détournant.
Belle association que celle de ces deux auteurs à part entière. Soulignons d’ailleurs qu’André Juillard fut il y a plus de vingt ans grand prix de la ville d’Angoulème, un des grands prix réellement mérités !…
Belle association, oui, et excellent album, classique dans sa forme, beaucoup moins classique dans ce qu’il nous raconte…
Jacques Schraûwen
Double 7 (dessin : André Juillard – scénario : Yann – éditeur : Dargaud)