Sauvage : 4. Esmeralda

La suite d’une saga haute en couleurs, pleine de passion, de haine, d’amour, de vengeance, de soleil écrasant dans le Mexique de Maximilien !

sauvage
sauvage – © Casterman

Felix Sauvage a accompli sa vengeance. Mais, ce faisant, il a vécu, dans un Mexique aux luttes incessantes, un trajet personnel qui l’a changé, profondément. La mort était son but, et la voici compagne de ses errances militaires, au jour le jour.

Il se veut sans d’autres attaches que ce métier qu’il n’a pas choisi mais qui est désormais le sien, corps et âme. Le métier des armes, le métier du sang, le métier des ordres auxquels il faut obéir.

Et l’ordre qui lui est donné, dans ce quatrième volume, est d’aller, au plus profond de ce Mexique écrasé de soleil et d’injustice, poursuivre un général juariste.

Comme toujours avec Yann aux commandes du scénario, cette série s’écarte résolument des sentiers battus. On aurait pu croire que Sauvage allait retrouver son humanité, la mort de ses parents enfin vengée, mais il n’en est rien. On pouvait s’attendre à une suite échevelée d’un feuilleton à nouveau romantique, mais il n’en est rien non plus !

Yann aime surprendre, c’est vrai, se surprendre aussi. Il aime surtout les histoires qui ne se contentent pas d’une évidente linéarité, mais qui aiment à s’aventurer sur tous les chemins de traverse qui peuvent se présenter.

Sauvage n’est plus qu’un guerrier. Mais un guerrier qui vit, qui fait des rencontres, qui croise des femmes, qui, sans même s’en rendre compte, abandonne la jeune et précoce Esmeralda à un désespoir qui ne peut sans doute que devenir de la haine.

Felix est un guerrier, qui rencontre d’autres guerriers, et la vérité historique de quelques personnages secondaires est totalement respectée et assumée. Dupin est un militaire marginal, et il fait partie pleinement, ici, d’un récit qui devient de plus en plus choral.

Yann: le personnage central
Yann: Dupin
sauvage
sauvage – © Casterman

Dans cette épopée épique, les personnages, en effet, se multiplient. Leurs présences auraient pu s’axer exclusivement autour du héros et de ses errances, mais tel n’a pas été le souhait de Yann. Même si cette histoire de sang et de fureur est d’abord et avant tout  » virile « , dans le sens qu’on pouvait donner à ce mot à l’époque, le scénariste a choisi un centre de gravité très différent, un peu comme s’il voulait adoucir des réalités horribles et parfois insoutenables.

Le véritable axe central de ce livre-ci, plus encore que dans les précédents albums, c’est la femme. La femme, oui, au singulier, mais décrite, racontée, montrée dans le pluriel de ses apparences. La femme, pour Yann, a différents visages, différents regards, différents vécus, différents âges. Et ce sont toutes ses apparences qui en créent, comme dans un puzzle de chair, la complexité, la lumière et la nuit, le désir et la folie, la beauté et la fuite, le charme et l’érotisme…

Yann: les femmes
Sauvage
Sauvage – © Casterman

Félix Meynet est, pour Yann, un complice de longue date. Et c’est une véritable osmose artistique et narrative qui les unit, de manière évidente, dans cette série, et encore plus, peut-être, dans cet album-ci.

C’est-à-dire que Meynet s’est retrouvé en face d’un scénario laissant infiniment plus de place à l’horreur pure que dans les épisodes précédents. Je ne dirais pas que Yann s’est laissé aller, mais il a simplement voulu montrer, avec toute la force de ses mots et leurs références littéraires parfois à peine voilées, il a simplement voulu, oui, nous montrer que toute guerre est sale, et que personne ne peut en sortir indemne, surtout pas les  » héros « …

Et Meynet, avec tout le talent réaliste qui est le sien, a suivi le mouvement, osant le sang, osant les scènes dans lesquelles la mort devient seule héroïne du récit.

Félix Meynet: l’horreur
Sauvage : 4. Esmeralda
Sauvage : 4. Esmeralda – © Tous droits réservés

Je parlais du talent de Meynet… Il est incontestable, il saute aux yeux, et ses planches sont d’une rythmique parfaite. Multipliant les angles de vue, s’amusant à créer des perspectives nombreuses qui accrochent et retiennent le regard du lecteur, Félix Meynet invente un univers extrêmement fidèle à la vérité historique, d’une part, mais extrêmement romantique dans ses apparences, d’autre part. On est dans la fresque historique, oui, mais une fresque racontée par le père Hugo qui aurait mêlé ses mots à ceux d’Eugène Sue. Les mots, d’ailleurs, deviennent souvent absents, dans cet album, Yann laissant à Meynet le soin de raconter l’histoire de Sauvage uniquement par le graphisme.

Meynet montre aussi, ici, toute l’étendue de son sens de la couleur, du travail de colorisation qui lui permet de faire de l’univers de Yann un monde réellement  » vivant « .

Meynet travaille la couleur par oppositions, tout comme le scénario de Yann ne parle, finalement, que des ambivalences de tout être humain. Il y a le soleil, à l’extérieur, il y a la pénombre dans les pièces où les militaires oublient le poids de la guerre… Il y a la couleur des uniformes, le rouge, le bleu, et le sable blond, et la terre ocre…

Et j’ai parfois eu l’impression, en regardant les couleurs de Meynet, de me trouver dans une filiation beaucoup plus proche de celle de Palacios que de celle de Giraud.

Félix Meynet: le dessin
Félix Meynet: la couleur

Epopée feuilletonnesque, saga à taille à la fois humaine et historique, parfaite réussite dans le rythme comme dans le dessin, dans le mot comme dans la couleur, tout est réuni, croyez-moi, pour faire de cette série une des vraies grandes aventures dessinées de ces dernières années.

Sauvage, au nom empreint d’un évident symbolisme, est de ces personnages qu’on oublie difficilement !

Jacques Schraûwen

Sauvage : 4. Esmeralda  (dessin : Félix Meynet – scénario : Yann – éditeur : Casterman)