L’actualité, depuis pas mal de temps, se focalise sur les migrants, sur l’extrême droite. Le monde de la culture n’a rien d’évanescent et s’intéresse souvent de très près à l’actualité… La bande dessinée, par exemple, est un média qui n’a pas peur de parler de notre société… Et c’est bien le cas avec cet album puissant…
En mars 2020, nos voisins français vont voter pour les municipales. Et le parti de Marine Le Pen espère bien utiliser ces élections comme tremplin pour les prochaines présidentielles ! A partir de cette réalité, Sylvain Runberg et Olivier Truc ont imaginé une bd, dessinée par Nicolas Otero, qui mêle politique, journalisme, et polar…
Et c’est un mélange qui fonctionne à la perfection !…
Le scénario, même s’il annonce que toute ressemblance avec quelqu’un d’existant serait fortuite, est transparent quant aux personnages mis en scène… On se trouve dans le sud de la France, dans une petite ville dirigée depuis plusieurs années par un maire d’extrême droite. Et voilà que le parti catapulte dans cette ville la blonde et charismatique Chloé Vanel, qui fut égérie de ce parti politique avant de prendre du recul et de se refaire une sorte de virginité… Pour elle, se faire élire sera le premier pas essentiel pour, deux ans plus tard, se retrouver en bonne place pour remplacer Macron !
Pour couvrir ce retour à la vie politique d’une icône de l’extrême-droite, les journalistes se multiplient dans cette petite cité. Parmi eux, Mongin Son reportage sur une mairie d’extrême-droite et ses dérives quotidiennes passe très vite au second plan…. C’est qu’on retrouve un, et puis deux cadavres de migrants, pendus haut et court, et chacun portant une pancarte : « on est chez nous » ! Le slogan qui est, justement, celui de la campagne électorale de Chloé Vanel…
On devine bien, dans cet album, des endroits connus, comme Orange, ou Vitrolles, dans un sud français où le soleil est « brun » comme était brun le soleil de l’Allemagne en 40/45… On reconnaît des personnages, aussi, comme Marion Maréchal Le Pen, ou Robert Ménard… Mais ce côté très politique ne rend pas la lecture de cette bd ardue, loin s’en faut !
D’abord parce que Runberg est un scénariste aguerri, qui sait raconter des histoires… Le biais qu’il prend pour construire sa narration, suivant pas à pas ou presque les pas d’un journaliste libre et indépendant, permet à l‘intrigue de ne pas se perdre dans les événements, mais, tout au contraire, d’être homogène à la lecture, sans pour autant estomper les réalités rencontrées par le personnage central : le mépris ressenti par les petites villes à l’égard de la capitale, par exemple, les médias bien installés pour lesquels seul compte le « sensationnel »… Les luttes internes au parti d’extrême-droite, aussi… Il y a très peu de manichéisme dans ce livre, mais il y a un vrai engagement, politique, ou, plutôt, humaniste.
Ensuite, Il y a le dessin de Nicolas Otero, d’un superbe expressionnisme, dans le sens premier du terme… Sa façon de construire une planche, avec très peu d’effets spéciaux, est classique et moderne tout à la fois. Et son approche graphique des visages, des expressions, des bouches surtout, est remarquable. La couleur, également, joue un rôle important dans la réussite de ce livre. Elle apporte une lumière qui se fait contraste avec le sombre d’une réalité politique quotidienne.
Runberg est un scénariste que j’aime beaucoup, et Otero fait partie de ces dessinateurs modernes capables de vraies prouesses graphiques, mais narratives aussi ! Et c’est bien ce qu’il fallait pour faire d’un album de politique-fiction une vraie réussite !
Jacques Schraûwen
On est chez nous : 1. Soleil Brun (dessin : Nicolas Otero – scénario : Sylvain Runberg et Olivier Truc – éditeur : Robinson – 64 pages et un dossier – parution : septembre 2019)