La différence, l’indifférence, la solitude
L’éditeur « La Boîte à Bulles », de livre en livre, choisit de s’écarter les sentiers battus du monde de l‘édition BD. Et, avec ce livre-ci, sans aucun doute possible, il nous emmène dans un univers d’intelligence, de réflexion, de tolérance, et de poésie.
Charles est un enfant « particulier ». Il n’a commencé à parler qu’à six ans, provoquant ainsi chez ses parents une peur et un désarroi certains. Sa grand-mère, elle, disait qu’un enfant comme lui devrait devenir un artiste. Mais comme dans la chanson «Chez ces gens-là », de Brel, personne ne l’écoutait. Avec elle, c’était un peu l’enfance qui rejoignait la vieillesse ! Deux réalités que les adultes responsables ne reconnaissent pas comme faisant partie de leurs quotidiens !
Charles était un enfant déclaré par les spécialistes comme étant « bête ». Donc, sans avenir…
Pourtant, Charles, après une scolarité en enseignement spécial, devient adulte, marié, et il a un enfant, Julien, qui lui ressemble incontestablement.
Avec ce livre, on se trouve en présence d’un récit très prenant, sans tape-à-l’œil, un récit qui se nourrit de mots, des mots simples toujours, qui se nourrit de situations banales, quotidiennes. Un récit qui est celui d’une enfance usant du dessin comme moyen d’exister, un récit qui devient celui de l’âge adulte, de la paternité, avec comme une mise en abyme de l’angoisse la plus élémentaire : celle de vivre et de ne jamais savoir pourquoi !
Et ainsi, Antoine Bréda, l’auteur complet de ce livre, nous parle de l’enseignement et de ses manques quand il s’agit de prendre en compte la différence, sous toutes ses formes. Il nous parle de la solitude qu’entraîne dans notre société, immanquablement, le fait de ne pas être comme les autres. Il nous parle de la beauté qui ne peut être que subjective, toujours, puisque, pour chacun, ce qui est beau est ce qu’on aime… Il nous parle de l’esclavage du quotidien, de la mainmise de la société et du « politiquement correct » sur tous les gestes de l’habitude. Avec, en point d’orgue, cette question, à peine esquissée mais sans cesse présente : faut-il être comme les autres ou faut-il être heureux de ce qu’on est ?
Le dessin d’Antoine Bréda peut être qualifié de minimaliste, mais d’un minimalisme qui participe pleinement au rythme de l’histoire qu’il nous raconte. Les gribouillis enfantins sont là pour raconter ce que vivent et pensent les enfants… Le reste, consacré à Charles adulte, est dessiné avec un manque voulu d’expressivité, de manière à faire ressentir, de page en page, l’éloignement que ce personnage a vis-à-vis du monde qui l’entoure.
Antoine Bréda est un metteur en scène, un monteur, un acteur, aussi, on le sent, on le sait. Il est un auteur complet qui nous parle, le sourire aux lèvres et au bout du crayon, de ce qu’il connaît, de ce qu’il connaît très bien !
Ce livre m’a fait penser à Sempé et à ses personnages souvent « à côté ». Il m’a fait penser aussi au « Cancre » de Prévert, et au Petit Prince continuant éternellement à vivre dans les pays de l‘enfance.
Ce livre est surtout extrêmement personnel, empreint de poésie, et porteur de valeurs qui ne correspondent qu’à l’intelligence. Comme la femme de Charles qui, en fin de livre, comprend que les tests d‘intelligence imposés dans les écoles sont eux-mêmes extrêmement bêtes. Inutiles… Et j’ai particulièrement aimé cette phrase qui termine ce livre, une phrase dite par cette maman : « il a l’air content pour le moment ».
Parce que, et c’est le message essentiel de ce livre, pour peu qu’il ait voulu avoir un message : l’important, c’est de vivre au présent, tout… « bêtement »
Un livre, donc, que je vous conseille ardemment !
Jacques Schraûwen
Un enfant comme ça (auteur : Antoine Bréda – éditeur : La Boîte à Bulles – 80 pages – date de parution : août 2019)