L’album précédent de cette série, je l’avoue, m’avait quelque peu déçu. Mais ici, Hermann, à partir d’un thème récurrent dans l’histoire du western, parvient à étonner, à mettre en scène avec originalité, par petits à-coups tranquilles, les personnalités de ses deux héros.
Rappelez-vous, « Lucky Luke contre pat Poker », et l’histoire qui, dans cet album, s’intitulait « Tumulte à Tumbleweed ». On y voyait la haine qui pouvait exister entre éleveurs de vaches et éleveurs de moutons dans un Ouest mythique. Et c’est vrai que ce thème a également été utilisé dans le cinéma bien des fois.
Cela dit, avec Jeremiah, nous ne sommes pas en présence d’une bande dessinée exclusivement western. Et si, dans ce trente-septième album, Hermann nous montre une lutte acharnée entre éleveurs de moutons et industriels avides d’un sous-sol aux richesses infinies, il ne le fait pas d’une façon traditionnelle, bien évidemment !
Dans le monde post-apocalyptique dans lequel vivent Jeremiah et Kurdy, Hermann s’amuse en effet, depuis le premier album, à mélanger les thématiques littéraires, à utiliser différents codes, également, et à les mélanger intimement, créant ainsi une des œuvres les plus personnelles et les plus originales de sa carrière.
On peut dire de cette série, « Jeremiah », qu’elle compose une fresque qu’on pourrait appeler « western futuriste ». Futuriste, oui, et désespéré…
L’époque de haine, de violence, de pouvoirs absolus et ridiculement restreints en même temps, cette époque dans laquelle l’humain se réduit à sa plus simple expression, la survie, Hermann nous la raconte comme un creuset d’émotions, de sensations, de paysages, de tristesses. La grande constante de cette série, c’est là qu’elle se situe, sans doute : dans la volonté de l’auteur, Hermann, de ne pas dessiner des récits d’aventures, mais de nous montrer des personnages, de les faire vivre, tout simplement. La narration traditionnelle, dans cette série, laisse la place à des sortes de tableaux humains ciselés avec passion.
La passion… C’est ce qui anime Hermann depuis toujours, très certainement. C’est aussi ce qui définit, au-delà des mots et des attitudes, ses deux personnages principaux, Jeremiah et Kurdy.
Et c’est toujours par petites touches, d’album en album, qu’Hermann nous révèle les personnalités de ces deux héros anti-héros. Un peu comme si leur créateur devenait pudique à chaque fois qu’il fallait aller au-delà des apparences et des habitudes.
Mais cette pudeur, il la perd dans ce trente-septième épisode… Ici, il n’hésite pas à nous raconter un Kurdy indépendant, prenant seul ses initiatives, devenant moteur de la sauvegarde de son ami. Un Kurdy qui oublie ses plaisanteries pour avouer, sans ostentation cependant, son sens de l’amitié.
Ici, Hermann nous montre également un Jeremiah qui est à la fois amoureux et solitaire, qui éveille des sentiments chez une femme, des sentiments qui le dépassent, et qui, finalement, se veut libertin et tolérant pour qu’aucune jalousie ne vienne assombrir les quotidiens de son amie, de son amante…
Cet album est peut-être bien, en effet, le premier qui utilise comme trame première du récit le poids et la richesse des sentiments humains les plus positifs qui soient. Et même si l’horreur est présente, avec un animal monstrueux, avec des meurtres répétés, avec une police totalement incompétente et corrompue, avec de la folie prête, sans cesse, à diriger le monde, cet album est moins désespérant que les précédents. Il est, au-delà de la lutte des éleveurs de moutons pour leur liberté, un vrai livre qui parle d’amour.
Et à ce sujet, il faut souligner une des toutes grandes qualités et originalités du dessin d’Hermann : le besoin qu’il a de ne jamais dessiner de femmes aux beautés parfaites, de « bimbos » sans âme. Les femmes qu’il dessine, mûres ou jeunes, sont marquées par la vie, elles ont des corps qui ne pourraient pas s’afficher sur les couvertures des magazines imbéciles qui dénaturent la féminité en l’idéalisant formellement ! Et dans cet album-ci, comment ne pas aimer la présence, en passion et en nudité, de Virna, pour l’amour de laquelle Jeremiah s’en va, une fois de plus, fuyant réellement peut-être pour la première fois de son existence !
Hermann, c’est un récit aux raccourcis subtils, ce sont des personnages qui n’ont rien de super-héros, ce sont des couleurs qui dans chaque album réussissent à étonner, c’est un dessin réaliste qui n’a pas peur de la caricature…
Hermann, c’est la bd qui rue dans les brancards, et qui le fait avec bien plus que du talent : un regard brûlant et brillant qui n’a jamais rien de politiquement correct !
Jacques Schraûwen
Jeremiah – 37. La Bête (auteur : Hermann – éditeur : Dupuis – 48 pages : date de parution : septembre 2019)