Couleurs De L’Incendie –

D’une guerre à l’autre au fil d’une vengeance !

Après « Au revoir là-haut », revoici Pierre Lemaitre et Christian De Metter, pour un album qui, sans être une suite, continue à nous raconter notre vingtième siècle ! Une chronique dans laquelle ECOUTER Christian De Metter !

Couleurs de l’Incendie © Rue de Sèvres

Pierre Lemaitre est un auteur à succès. Ce n’est qu’après cinquante ans bien sonnés qu’il s’est lancé dans l’écriture, abandonnant son métier de psychologue. Un métier et une maturité qui, plus que probablement, font de ses livres des instantanés terriblement humains. Il aime ainsi mêler à l’ambiance polar des trames qui, elles, sont infiniment plus sensuelles, au sens premier du terme, des réalités qui s’adressent, en effet, aux sens de tout un chacun, à partir des émotions qu’il met en scène, ou, plutôt, qu’il raconte dans ses romans. Parce que la mise en scène, elle, appartient aux artistes qui décident d’adapter ses livres. Au cinéma, bien sûr, mais aussi en bd, comme ici, avec le travail méticuleux et intelligent de Christian De Metter.

Il s’agit de la suite, historiquement, chronologiquement, de l’énorme succès « Au revoir là-haut », en roman, au cinéma et en bd. On aurait pu dès lors s’attendre à un petit résumé, ce qui n’est pas le cas. Mais le talent de De Metter est de rendre très vite ce résumé inutile. On aborde le passé par petites touches, et ces petites touches suffisent à ne s’intéresser, très vite, qu’à l’intrigue qui nous est montrée, racontée.

Couleurs de l’Incendie © Rue de Sèvres
Christian De Metter : comme un one-shot

Parlons-en de cette intrigue… Madeleine Péricourt assiste à l’enterrement de son père. Et elle voit, horrifiée, son fils Paul sauter dans le vide. Banquière héritière d’une vraie fortune, elle ne s’intéresse plus qu’à Paul, paralysé, muet, handicapé. Elle laisse le soin de gérer cette fortune à Gustave Joubert, qu’elle n’a pas voulu épouser. Joubert qui a des accointances avec l’oncle de Madeleine, un politicien ambitieux et corrompu, père de deux filles qui ne trouvent aucun fiancé !

Les personnages, vous voyez, sont nombreux dans ce livre. Et on s’y attache, au fil des pages, avant de se laisser emporter par une histoire qui dépasse la description d’une famille et devient un polar pur et dur, une histoire de vengeance particulièrement bien orchestrée. Et en se laissant ainsi emporter par un scénario qui ne souffre aucune faiblesse, on constate que, finalement, dans un monde d’hommes, ce sont les femmes qui occupent toutes les places essentielles de ce récit. Femmes faibles se décidant à s’assumer, femmes amoureuses, femmes-mères, femmes traîtresses, ce sont elles, oui, qui rythment réellement l’histoire passionnante (et passionnée) qui nous est contée.

Couleurs de l’Incendie © Rue de Sèvres
Christian De Metter : un livre de femmes

Livre choral, « couleurs de l’incendie » est aussi le portrait, au travers de l’accomplissement d’une vengeance qui fait penser à Edmond Dantès, de toute une époque. Une époque qui voit le monde de la finance s’écrouler, qui voit les faillites, professionnelles et humaines, se multiplier, qui voit la liesse des années folles sombrer lentement dans les antiennes d’une guerre à venir, encore plus horrible que celle que l’on appelait « grande » !

Et De Metter comme Lemaitre n’évite pas les clichés pour raconter cette époque. La classe aisée, le précepteur, la famille cheville ouvrière de la patrie, le truand, la midinette, les amours ancillaires. Mais ces clichés n’ont rien de gratuit. Ils permettent, en même temps que le talent de De Metter pour les décors, de faire un portrait de cette époque d’entre-deux-guerres qui est à la fois réaliste et iconique. Ces clichés permettent aussi à l’auteur de faire des sauts dans le temps, de construire sa narration avec des raccourcis qui, de fait, allègent la lecture. Ces clichés, enfin, sont des archétypes qui permettent de faire des ponts de réflexion avec notre présent. Les rapports de force entre classes sociales n’ont pas disparu, la pédophilie, non plus, ni l’ambition, ni les intolérances qui se démultiplient même… On parle aujourd’hui encore de l’avortement, et on entend aussi cette phrases trouvée au détour d’une page : « la France a-t-elle besoin d’un dictateur ? » !

Couleurs de l’Incendie © Rue de Sèvres
Christian De Metter : les clichés, les archétypes
Christian De Metter : les raccourcis narratifs

L’amour ne peut-il que devenir haine ?… C’est un peu la question qui sous-tend tout le récit, tous les récits faut-il même dire, tant il est vrai que ce livre raconte bien plus qu’une seule histoire. Et pour raconter ces histoires sans user d’artifices, Christian De Metter dessine en accordant toute son attention aux visages et, singulièrement, aux regards. Dès la couverture, d’ailleurs, c’est le visage de Madeleine, son air quelque peu narquois, qui résume ce que va être l’ambiance de l’album. Et en tournant les pages, en découvrant par exemple que l’art est la seule barrière contre la barbarie, une barrière malheureusement trop souvent brisée par tous les pouvoirs politiques et financiers, en glissant de séquence en séquence, on ne peut qu’être éblouis par ces yeux qui, presque à chaque page, construisent la planche avec des géométries presque classiques.

On ne peut qu’être ébloui, également, par la tonalité des couleurs qui, malgré le titre, sont plus souvent sombres et désespérantes que rouges…

Couleurs de l’Incendie © Rue de Sèvres
Christian De Metter : les regards
Christian De Metter : la couleur

J’avais beaucoup aimé « Au revoir là-haut »… J’ai tout autant apprécié ce livre-ci, différent dans sa forme comme dans son contenu, mais passionnant de bout en bout, et, surtout, laissant l’humain au centre de toutes les intrigues ! C’est un vrai polar qui entraîne le lecteur d’une guerre à l’autre !

Jacques Schraûwen

Couleurs De L’Incendie (auteur : Christian De Metter, d’après le roman de Pierre Lemaitre – éditeur : Rue De Sèvres – 170 pages – date de parution : janvier 2020)

Lien vers ma chronique consacrée à « Au revoir la-haut » : https://www.rtbf.be/culture/article/detail_au-revoir-la-haut-jacques-schrauwen?id=9108945