Les temps semblent venus d’un retour en force du style western dans la bande dessinée. Il est vrai que les aventures vécues dans l’Ouest américain usent des mêmes codes, bien souvent, que la tragédie grecque ! Et, dès lors, c’est à l’âme humaine que de tels récits, souvent, parlent.
Calamity Jane… Une des icônes de l’Histoire de l’Ouest américain, sans aucun doute, la seule femme, pratiquement qui, faisant jeu égal avec les hommes, a réussi à imposer son nom jusqu’à aujourd’hui. C’est un personnage symbolique d’une époque, c’est aussi un personnage symbolique d’une certaine lutte de la femme pour qu’elle prenne sa place dans un monde d’hommes, de mâles.
Certes, ce western n’est pas uniquement axé autour d’elle. On pourrait même croire, dans les premières pages, que c’est une autre des gloires du western qui est l’axe central du récit : Wild Bill Hickok. Et l’histoire de « Wild West » est celle, en fait, de la rencontre entre ce chasseur de primes et une jeune fille de 16 ans, orpheline, et poussée à la prostitution, dans une petite ville où vient s’installer le chemin de fer. Martha Cannary est une adolescente, dans un monde de violence, de haine, d’ambition, de pouvoir, de trahison. Et c’est avec cet homme rude qu’elle va apprendre à devenir Calamity Jane, à comprendre le pouvoir des armes, à cultiver une volonté inébranlable et vengeresse.
Cela dit, on a de Calamity Jane quelques photos qui, reconnaissons-le, ne ressemblent pas du tout à l’image qu’en donnent les auteurs, dans cet album. Mais c’est bien elle qu’ils nous montrent, à l’aube d’une existence qui ne peut que la vieillir, physiquement et moralement !
Je le disais en préambule, le western est à la mode. Avec l’excellent « Jusqu’au dernier » et le tristounet « Blueberry ». Je le disais aussi, il s’agit d’un genre littéraire, artistique, qui permet bien des digressions, à condition, toutefois, de respecter ce qu’on appelle la grande Histoire. Et Thierry Gloris, scénariste par ailleurs des détectives de l’étrange, des reines de sang, d’une génération française (entre autres), sait jouer avec cette Histoire. Il l’utilise ici comme toile de fond, comme révélateur d’un monde en mutation qui a donné vie aux Etats-Unis d’aujourd’hui et à leurs « mythologies » toujours un peu guerrières !
Des mythologies, donc, que Thierry Gloris utilise en faisant référence, surtout, au cinéma, plus qu’aux livres d’histoire, c’est évident. De Ford à Arthur Penn, en passant, un peu, par Sergio Leone, les clins d’œil de son scénario sont nombreux, lancés à un genre cinématographique qui a offert au septième art bien des chefs d’œuvre.
Et on peut d’ailleurs dire qu’en cela il a été suivi par l’art de la composition du dessinateur québécois Jacques Lamontagne. Entre la première et la dernière planche, qui nous montrent la nature, c’est en metteur en scène presque intimiste qu’il agit. Et pour donner vie à ses personnages, il opère en changeant légèrement le bon ordre des perspectives, en déformant légèrement les proportions, de manière à dramatiser la narration graphique, mais, aussi, à lui donner du rythme.
Le scénario de Thierry Gloris parvient à la fois à ne rien gommer des plaisirs traditionnels du western, avec duels, morts, méchants plus vrais que nature. Avec aussi des liens, esquissés ou assumés, avec le monde d’aujourd’hui et ses dérives qui ressemblent à celles de l’Ouest Sauvage. Avec un sens du dialogue qu’il faut absolument souligner. On entend les protagonistes parler, et chacun a un ton différent !
Le dessin de Jacques Lamontagne, lui, d’un réalisme puissant, travaille sur deux axes bien précis, me semble-t-il, deux axes qui, sans cesse confondus, donnent une vraie profondeur à son découpage.
D’une part, il y a la couleur, presque crépusculaire… A l’image du destin de cette gamine qui va devenir, très vite, Calamity Jane.
D’autre part, là où, pour exprimer un sentiment, une impression, une sensation, une réaction, la plupart des dessinateurs jouent (ou essaient de jouer…) sur le regard et ses intensités, Lamontagne a fait le choix de peaufiner les visaes de tous ses personnages. Il y a des trognes, des vraies, parfois proches de la caricature, il y a des rides, des sourcils qui se soulèvent à peine, des lèvres qui s’étirent sur des sourires qui n’apparaissent jamais…
Ce livre est passionnant, il se lit d’une traite, en s’arrêtant parfois sur certaine pages, sur certaines cases, pour en savourer toute l’intensité, toute la prouesse technique aussi.
Genèse d’une (anti-) héroïne, ce premier volume ne donne qu’un regret : celui d’attendre quelques mois avant d’en découvrir la suite, avant de voir comment Calamity et Hickok vont continuer leurs chemins !
Jacques Schaûwen
Wild West : 1. Calamity Jane (dessin : Jacques Lamontagne – scénario : Thierry Gloris – éditeur : Dupuis – 56 pages – date de parution : janvier 2020)