La suite de l’autobiographie très intime, très « hard » de Jean Louis Tripp. Une introspection sans faux-fuyant, une plongée résolument « adulte » dans des apprentissages à la fois physiques, sexuels, et pratiquement philosophiques.
C’est un autoportrait, celui d’un homme pour qui la vie est trop courte que pour y accepter la loi de l’ennui et de l’habitude. C’est le portrait d’une époque, au cours de laquelle la liberté sexuelle était un combat presque politique.
Tripp nous parle de lui, de ses failles, de ses dérives, de ses remords, de sa passion pour l’amour, minuscule ou majuscule. C’est de lui qu’il parle, c’est lui qu’il dessine, sans aucune pudeur, pour mieux partager ses idées libres, voire libertines, de l’amour, de l’ennui, de l’aventure, de la souffrance de ne plus aimer.
Se plongeant (et nous à sa suite…) dans son passé, dans ses passés, Jean Louis Tripp a fait le choix de ne rien se cacher, de ne rien nous cacher, ni de ses expériences amoureuses, ni de ses souvenances charnelles, ni de son regard, aujourd’hui, sur celui qu’il fut, un regard qui est à la fois très frontal, très immédiat, et très réfléchi. Comme peut l’être le désir lorsqu’il veut, simplement, sublimer un moment de vie. Jean Louis Tripp fait le choix de la mémoire, miroir quelque peu déformé sans doute de ses attentes les plus intimes.
Tripp nous parle d’extases plurielles, de couple, de peur et de temporalité. Il nous parle d’apprentissages amoureux, tout au long de jeux sexuels, de libertinage, de besoin de séduction. Il faut séduire et/ou être séduit, avec comme finalité un maître-mot : s’amuser. Ce faisant, avec un dessin extrêmement proche des corps, des étreintes, des jouissances, Tripp fait surtout le portrait de la virilité, de la masculinité, de l’assouvissement sexuel du plaisir ! Mais il ne s’agit à aucun moment de relations qui soient contraignantes. Plus que consentement, ce dont il nous parle, c’est de « désirade », de besoins partagés, d’envolées mêlées vers une vie librement assumée. Même s’il s’agit, dans ce livre, d’une analyse (presque dans la conception psychiatrique du terme), il y a, d’abord et avant tout, le respect de l’autre… L’amour, minuscule ou majuscule, ne peut vivre de contraintes, et la libido masculine ne peut exister qu’en fonction de la libido féminine !
Je parlais d’analyse… Et c’est vrai que, refusant de choisir un chemin de nostalgie, Jean Louis Tripp nous parle d’un plaisir qui ne s’encombre pas de codes moraux. Il restitue au papier ce que furent ses jeunesses amoureuses, et il le fait avec un dessin tout en mouvements, parfois souriant, parfois extrêmement cru, mais toujours teinté d’une évidente poésie. D’un onirisme même qui, au-delà du fantasme, se veut porte ouverte vers l’expérimentation d’une forme de relations humaines basées sur les rendez-vous volontaires des corps dans des alcôves libertines… Et c’est là sans doute pour l’auteur une façon de se retrouver, de s’accepter, de mieux se comprendre en tout cas.
Oui, ce livre est « hard », c’est évident. Il est aussi très personnel, c’est tout aussi certain. Il pourrait, dès lors, n’avoir qu’un intérêt très limité. Pourtant, ce n’est pas le cas, loin s’en faut ! La raison en est à trouver, d’abord, dans la qualité graphique et littéraire de Tripp. Dans son honnêteté qui va jusqu’à l’impudeur la plus totale. Dans son message, aussi, qui n’a rien de « prescriptif » selon ses propres mots, et qui est essentiellement un appel à la tolérance, au non jugement de ce que peut être l’amour vécu dans la complicité d’une folie partagée, folie de l’âme et du corps…
Un livre à ne pas mettre dans toutes les mains, selon l’expression consacrée, et parfaitement justifiée… Un livre qui montre que la liberté sexuelle ne peut jamais se conjuguer avec la contrainte… Un livre qui nous parle d’amour, de plaisir, de désir… Un livre étonnant, une autobiographie essentiellement masculine, virile, mais racontée et dessinée avec une volonté farouche de dénoncer tous les diktats capables de restreindre la liberté assumée des amants, des épouses, des compagnes, des amantes…
Jacques Schraûwen
Extases : les montagnes russes (auteur : Jean Louis Tripp – éditeur Casterman – 367 pages – date de parution : mars 2020