Musique et bande dessinée pour « confiner le temps »
La musique, dit-on, adoucit les mœurs. Et la bande dessinée offre des fenêtres ouvertes vers des libertés que nous n’avons plus vraiment… Une excellente BD préfacée par Thomas Dutronc.
Django Reinhard est né en Belgique, à Liberchies, en 1910. Et il est mort jeune, en 1953, après une carrière fulgurante et exceptionnelle. Guitariste virtuose, totalement inspiré, il a vraiment marqué de son empreinte le jazz manouche, le jazz tout court !
Et la bande dessinée que je vous propose de découvrir raconte son enfance, son adolescence, jusqu’à l’accident qui lui a brûlé la main, lui laissant deux doigts inertes. Ce livre nous raconte aussi son combat pour dépasser son handicap et véritablement créer un style, un toucher de guitare qui n’appartient qu’à lui !
On pourrait croire qu’il s’agit ici d’une biographie. Et c’est le cas, mais uniquement en petite partie.
Pour les auteurs, le scénariste Salva Rubio, et le dessinateur Efa, raconter l’enfance de ce gamin plus que turbulent que fut Django, c’est aussi raconter le début du vingtième siècle, nous montrer ce qu’était alors le monde tzigane, ou rom, ou gitan. C’est également, plus largement, l’occasion de nous parler d’apprentissage, de la solidarité d’une communauté et, surtout, de l’art, de la musique. Choisir de nous parler de Django Reinhardt, cela n’a rien eu de gratuit, incontestablement.
Et ce qu’ils nous montrent, c’est le portrait d’un monde tzigane raconté à taille d’enfance, de façon à nous faire découvrir ce que furent les éléments de l’existence qui firent d’un gosse turbulent, d’un tout jeune adulte handicapé un des maîtres de la musique du vingtième siècle.
Django Reinhardt, tel qu’il nous est révélé ici, est un personnage mythique dont la biographie se balade sans cesse entre légende et réalité. Mais il est cet enfant qui, un jour, décide d’appartenir à plus grand que lui, à la musique, cette musique au centre même de l’âme tzigane, cette musique à la fois individuellement salvatrice et signe d’un lien profond entre les êtres. Et c’est là, me semble-t-il, que ce livre prend toute sa force, tout son intérêt : dans le discours graphique qu’il nous donne de l’art, sous toutes ses formes, et des chemins qu’il est seul à pouvoir creuser pour rendre le quotidien vivable.
Rubio et Efa, déjà complices il y a quelque temps pour un superbe « Monet », parviennent ici à raconter avec passion la passion d’un être démesuré. Et de le faire avec tous les ressorts naturels de la narration : des seconds rôles, nombreux, des paysages variés, du rythme soutenu, des séquences sans temps mort, une humanité omniprésente. Ils nous montrent plusieurs apprentissages, plusieurs naissances, en quelque sorte : la vie sans père, la vie en communauté, la découverte du banjo, l’amour, l’amitié, la paternité, l’infidélité, la douleur, la souffrance et le combat pour dépasser cette souffrance. Pour que tous ces éléments soient parfaitement fonctionnels, il a fallu au dessinateur Efa tout l’art d’un vrai metteur en scène !
Le propos, dans cet album, dépasse donc le seul récit d’une existence, sans pour autant être infidèle à cette vie exceptionnelle. Et la présence, en fin de volume, d’un dossier historique est particulièrement bienvenue.
Le dessin d’Efa est d’une totale efficacité. Semi-réaliste, parfois même caricatural, ce dessin rend vraiment « vivants » tous les personnages autour de Django, et ils sont nombreux ! Efa les fait vieillir, il parvient à rendre compte graphiquement de leurs émotions. Ses couleurs, avec une dominance des tons ocres, nous plonge véritablement et sans angélisme dans un monde qu’on ne connaît pas. Il y a du rythme, des visages expressifs, du sentiment, de l’ambition, de la liberté et … une musique qui nous parle toujours de terre, de nuages, de soleil ! On en a bien besoin…
Un livre « culturel » au sens large et noble du terme, un livre qui nous donne à voir la naissance d’un destin, la lutte et la révolte nécessaire à toute création. Des valeurs, tout compte fait, qui manquent beaucoup de nos jours !…
Jacques Schraûwen
Django Main de feu (dessin : Efa – scénario : Salva Rubio – éditeur : Dupuis – 68 pages suivies d’un dossier de 18 pages – parution janvier 2020)