Ne rien perdre de ses émerveillements de jeunesse !…
Un livre construit comme une enquête policière, et qui se révèle être la quête de Didier Tronchet pour des retrouvailles avec sa jeunesse. Une quête à laquelle mes propres souvenances se mêlent intimement… Un livre qu’il faut absolument lire, avant que d’en écouter les chansons ! Un chef d’œuvre d’intelligence et d’émotion !
Lorsque j’ai ouvert ce livre, lorsque j’ai découvert qui était ce chanteur perdu à la poursuite duquel Didier Tronchet s’est lancé, j’ai ressenti un sentiment profond, puissant… Je n’étais donc pas le seul à avoir dans la tête, depuis le milieu des années 1970, les mélodies et les rimes de Jean-Claude Rémy !
Avec Didier Tronchet, c’est toujours le réel qui est au centre de ses scénarios, de ses romans aussi. Une réalité qu’il agrémente à sa manière pour en faire une fiction qui réussisse à parler à tout un chacun.
Le moteur essentiel du travail de Didier Tronchet, c’est l’émotion. Et ce sentiment unique, envoûtant, fait de mémoire et d’espérance, de nostalgie et de mélancolie, il ne peut être partagé que par un auteur qui le vit profondément. Et c’est bien le cas dans ce livre totalement réussi.
Le scénario est simple, linéaire aussi.
Jean est bibliothécaire. Un burn-out le laisse désemparé. Perdu. Il a l’impression, au fil des jours, que son existence s’est vécue sans lui.
Dépressif, il ne cherche plus aucun sens à ses quotidiens. Jusqu’à ce qu’un souvenir vienne le harceler. La souvenance d’un chanteur qu’il a écouté et réécouté, pendant des années et des années. Un chanteur qui n’a fait que trois disques. Un chanteur dont une chanson, surtout, a accompagné quelques moments précis de sa vie : « Les corniauds ». Une chanson au texte extrêmement intime, mais dont le propos, par la magie de la poésie et de la voix de ce chanteur, est universel. Un propos qui s’adresse, encore, à Jean, puisque cette chanson parle de la différence, d’une part, de l’enfance perdue, d’autre part. Et Jean, perdu dans sa déprime, se sent totalement différent. Différent de ce que furent ses rêves, différent de ce que la société veut qu’il soit.
Bien sûr, comme je le disais, le tout est traité comme une fiction. Jean-Claude Rémy par exemple, s’appelle Rémy Bé. Il y a certainement aussi une bonne part d’imaginaire dans le déroulé de l’enquête, dans la chronologie des rencontres faites par le personnage central, moins héros que témoin d’une aventure qui le dépasse tout en le rendant à lui-même.
Mais il y a aussi et surtout, derrière ces fragments d’imagination, des réalités que le talent de Tronchet rend tangibles, compréhensibles immédiatement.
Jean, anti-héros de sa propre histoire, était un adolescent qui écoutait des chanteurs français alors que tous les jeunes de son âge étaient fans de groupes anglo-saxons. Il s’intéressait aux mots et à leurs rythmes, alors que les jeunes de son âge ne cherchaient qu’à bouger sur des rythmes venus d’outre-Atlantique.
Là aussi, c’est un point commun entre le chroniqueur que je suis et l’artiste qu’est Didier Tronchet. Je n’ai jamais compris comment on pouvait aimer une chanson sans rien saisir de ce qu’elle raconte… J’aime Brel, Bécaud, Brassens, Debronckart, Annoux, Barbara, Sylvestre et bien d’autres… Parce que ce sont eux, et leurs paroliers comme Bernard Dimey qui m’ont aidé à réfléchir, à regarder autour de moi, à grandir, simplement…
Jean et Didier Tronchet ont eu, jeunes, d’identiques passions loin de tout fanatisme pour des chanteurs qui, simplement, s’adressaient à eux, loin de tout business lié à un art de plus en plus en déliquescence, celui de la chanson. Comme le disait Ferré : « à l’école de la poésie on n’apprend pas, on se bat ». Comme il le disait aussi, à peu près, « quelqu’un qui a besoin de ses doigts pour compter ses pieds n’est pas un poète, mais un dactylographe ».
A l’époque où Jean-Claude Rémy se lançait dans la chanson, les médias étaient encore des portes ouvertes à la variété, dans le sens premier du terme. On pouvait voir et écouter Chantal Goya mais aussi Anne Sylvestre, Claude François, mais également Jean-Claude Rémy. Ce n’est plus vraiment, plus du tout le cas aujourd’hui, il faut le reconnaître ! Et c’est aussi une des raisons pour lesquelles cette bande dessinée est importante, passionnante : elle n’est pas que nostalgique, elle est une fenêtre qui s’entrouvre dans la grisaille de nos quotidiens intellectuels…
Cela dit, cet album n’a rien d’une suite nostalgique d’impressions très nombriliques. Les thèmes qui y sont abordés sont résolument humains, universels aussi.
Ce « Chanteur perdu » est-il une fable ?…
A sa manière, oui, sans aucun doute, et une fable particulièrement bien construite scénaristiquement parlant.
Ce chanteur perdu est un fantôme qui fait renaître une réalité oubliée, il est symbole de la vie, certes, mais aussi de cette existence qui, qu’on le veuille ou non, se définit également par le simple fait de vieillir. C’est une fable, oui, presque une pièce de théâtre, aussi, avec, dans le rôle du Commandeur, Brassens…
Ce que cherche Jean, le personnage central de ce livre, c’est une nouvelle raison de vivre. Et pour cela, il ne trouve qu’un seul chemin : avoir des nouvelles de lui-même… Des nouvelles qui vont le plonger dans ses passés, dans ses rêves de jeunesse et dans ses trahisons d’adulte. Des nouvelles qui vont lui permettre d’arrêter de s’excuser de vieillir, tout simplement. Des nouvelles qui vont le redéfinir en fidélité avec le jeune qu’il a été un jour.
Oui, ce livre parle de la jeunesse enfuie mais du possible que nous avons toutes et tous de lui rester fidèles. C’est un livre qui milite pour la qualité de l’écriture, pour l’essence-même de la poésie, pour la défense d’un patrimoine typiquement francophone, celui de pouvoir intimement mêler la chanson et la poésie.
Ce livre est un jeu de piste dans la mémoire de quelques personnages qui peut-être, certainement, vous sont inconnus. Mais ce jeu de piste, j’en suis persuadé, va éveiller chez vous des souvenances personnelles, secrètes, oubliées probablement… Comme il est dit quelque part dans ce livre, « avancer, c’est se tromper de mieux en mieux ».
Pour Didier Tronchet, se tromper de chemin, ce n’est pas se renier soi-même, mais se donner la chance de pouvoir faire marche arrière, de pouvoir prendre des chemins de traverse, de pouvoir, simplement arrêter de dépendre de l’image qu’on donne de soi-même. Cette image que le chanteur, véritable axe central de ce livre, n’a pas supportée… Cette image qu’il a détruite, non pas en fuyant à l’autre bout de la Terre, mais, tout au contraire, en allant tout au bout de la terre pour vivre sous d’autres lumières que celles de la renommée. Ce qui, les années passant, n’a jamais arrêté chez lui le besoin, la nécessité de créer, d’écrire, de chanter, de dessiner.
Le dessin de Tronchet à la limite toujours de la caricature, permet d’inscrire, ici et là, de chapitre en chapitre, des vrais reflets d’humour. C’est un album qui, au-delà du simple récit d’une quête très personnelle, ne peut qu’éveiller chez chacun et chacune des réminiscences qui peuvent ne pas être que des regrets.
Ce qu’il faut souligner aussi, c’est le travail de la couleur, une couleur qui semble suivre les sensations du personnage central, et qui accentuent le cheminement d’un humain qui décide de reprendre en main son destin, c‘est-à-dire ses rêves et ses futurs…
Bien sûr, ce livre m’a touché, très profondément, puisque, pour moi aussi, les chansons de Jean-Claude Rémy me sont depuis 1975 des compagnes régulières. « Les Corniauds » est une des plus extraordinaires chanson qui soit, à tous les niveaux ! « Les Mémés » rappelleront à bien des gens les rapports indéfinissables qu’un enfant peut avoir avec ses grands-parents.
Mais si ce livre me touche autant, c’est aussi, et d’abord, parce qu’il impose à chacun d’entre nous un besoin tellement oublié, voire renié, de nos jours : celui d’oser se pencher, sans regrets et sans remords, sur qui on est !
Et en vous laissant vous balader dans les mots et les musiques, d’hier et d’aujourd’hui, de Jean-Claude Rémy, je lui laisse la parole pour conclure cette chronique… En vous conseillant de vous précipiter chez votre libraire pour y acheter l’édition qui vient de sortir, accompagnée d’un 45 tours…
« Ni chanteur, ni poète, ni chansonnier ; juste un très vieux monsieur amoureux de son île et de la vie qu’il y mène. Bonne route. Jean-Claude Remy, chanteur perdu… »
Jacques Schraûwen
Le Chanteur Perdu (auteur : Didier Tronchet – éditeur : Dupuis/Aire Libre – octobre 2020 – 184 pages)
Quelques liens:
D’abord, les anciennes chansons de Jean-Claude Rémy. http://www.jeanclauderemy.fr/chansonscontes/chansonsancien.html
Sur Youtube : « jean claude remy la mère »https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=lqt11jI_sBY, « jean claude remy elle est noire »https://www.youtube.com/watch?v=GJs5sa7pBgo, « jean claude remy Zamours plantées »https://www.youtube.com/watch?v=P6CFSX6Pz2w .
Et puis, aussi, surtout, le site de Didier Tronchet, avec « les chansons du ponton »… www.tronchet.com