(pour les fans d’Hergé, entre autres…)
Voici donc le sixième opus de cette revue luxueuse, orchestrée par GEO et les éditions Moulinsart. Une aventure qui, de numéro en numéro, nous plonge à la fois dans l’univers d’Hergé et dans notre monde contemporain, ses artistes, ses créateurs, ses observateurs. Avec, comme fil conducteur, « l’étrange »…
Le monde d’Hergé, celui de Tintin mais aussi celui de Jo et Zette ou celui de Quick et Flupke, est évidemment à l’honneur dans ce magazine. Avec des dessins qu’on découvre au fil des pages, illustrant des articles qui se consacrent à autre chose qu’à la bande dessinée : l’Himalaya, les micro-aventures, entre autres. Mais Herbé est présent aussi dans des articles de fond qui s’enfouissent dans les dessous de l’œuvre du père de Totor.
On parle, dans cette revue, de l’intérêt qu’Hergé portait à l’étrange, mais aussi de sa façon de passer du feuilleton à l’album. Je pense d’ailleurs que c’est là que se situe le plus important des apports d’Hergé à la bande dessinée, à une époque où il ne s’agissait nullement d’un art : apporter à la narration dessinée des codes qui étaient ceux d’une littérature extrêmement populaire, au dix-neuvième siècle et au début du vingtième, le « feuilleton »… Hergé a ainsi sans doute été le premier à comprendre que la littérature et la bande dessinée étaient des exercices artistiques parallèles.
Mais dans cette revue, même si Hergé s’y retrouve partout avec ses dessins, l’accent est également mis sur des reportages, des rencontres.
On peut y découvrir par exemple une interview d’Erik Orsenna, qui parle bien entendu de son intérêt pour Tintin, et plus particulièrement pour « Le Lotus Bleu », mais aussi de sa carrière, du monde politique auquel il a appartenu, qu’il le veuille ou non, pendant bien longtemps… Une interview qui, à mon humble avis, est très nombrilique, mais qui présente un certain intérêt malgré tout.
Et puis, puisqu’on se trouve quand même dans un univers graphique, ce magazine ouvre ses pages également à d’autres dessinateurs.
A Loustal, d’abord, qui, sans appartenir pleinement à la bande dessinée ni totalement à la ligne claire, a fait de ses découvertes du monde la base même de son travail. Travail de couleurs, de formes simples et vivantes, de lumières omniprésentes. Et l’encart qui lui est consacré permet de découvrir plusieurs facettes de son talent reconnaissable au premier coup d’œil.
Mais ce qui m’a le plus séduit, dans cette revue, c’est la présence de Romain Renard. Une contribution au thème central de ce numéro 6, « l’étrange », qui n’a rien à voir avec le style d’Hergé, ni scénaristiquement ni graphiquement. Cet artiste est là, d’une certaine façon, comme pour nous dire qu’aujourd’hui, même si les thématiques sont les mêmes que du temps d’Hergé (mort, sur-réalisme, poésie, souffrance, rêves et cauchemars), on peut (enfin) les traiter différemment, en s’inspirant plus fort de la littérature de Ray, de Prévot, de Sternberg, de Bradbury… La mort et la douleur, chez lui, ne se cantonnent pas à quelques allusions plus ou moins claires, mais à une création d’ambiance absolument assumée, assurée, étonnante, passionnante.
Il est vrai que toutes les revues, quelles qu’elles soient, ont un contenu éditorial varié et, de ce fait, parfois déconcertent les lecteurs. Je pense que les fans de Tintin se demanderont peut-être pourquoi certains articles se retrouvent aux côtés des « petits mickeys » du maître… A eux de faire comme le reporter d’Hergé : aller plus loin que les seules et simples apparences pour prendre pied, et vie, dans la réalité, donc aussi dans le réalisme !
Et pour les autres, cette revue est tout à fait capable de leur donner l’envie de lire (ou de relire) avec un œil nouveau les aventures du petit reporter du Petit Vingtième…
Jacques Schraûwen
Tintin – C’est l’Aventure – numéro 6 (éditeur : GEO et éditions Moulinsart – novembre 2020 – 154 pages)