Philippe Berthet

Deux albums et une exposition à Bruxelles

Philippe Berthet, depuis le début des années 80, a fait de la bande dessinée belgo-française son terrain de jeu. Un terrain de jeu qui, aujourd’hui, le voit présent sur trois fronts à la fois : un nouvel album, une exposition consacrée à cet album, et la réédition attendue t réussie d’un de ses livres anciens.

La Fortune Des Winczlav – 1. Vanko 1848

(dessin : Philippe Berthet et Dominique David – scénario : Jean Van Hamme – couleurs : Meephe Versaevel – éditeur : Dupuis – 56 pages – mars 2021)

La Fortune Des Winczlav 1 © Dupuis

Il y a quelques années, Jean Van Hamme disait haut et fort, à mon micro entre autres, qu’il arrêtait totalement la bande dessinée. Force est de reconnaître qu’il est revenu sur sa décision, pour le plus grand plaisir de ses aficionados.

Et puisque la série Largo Winch se trouve désormais entre les mains d’un autre scénariste, il a décidé de nous dire qui furent les ancêtres de ce héros, et, ce faisant, de nous faire découvrir les origines de sa richesse.

La Fortune Des Winczlav 1 © Dupuis

Trois épisodes sont prévus pour cette saga familiale surfant sur le succès de la série originelle, mais s’en différenciant pas mal, grâce aux thématiques historiques qui y sont développées, grâce aussi (et surtout…), au dessin abouti, presque stylisé parfois, de Philippe Berthet.

Philippe Berthet : un beau projet

Comme l’indique le titre, tout commence, dans ce premier volume, en 1848, dans les Balkans, avec un jeune médecin, Vanko Winczlav, pris dans les tourbillons d’une insurrection et obligé, de ce fait, à fuir ses terres natales pour tenter l’aventure aux Etats-Unis.

Une femme l’accompagne, qu’il épouse par obligation, dont il divorce, la laissant découvrir, avec avidité et réussite, sans aucun sens moral, les plaisirs du rêve américain et de ses richesses seule de son côté…

La Fortune Des Winczlav 1 © Dupuis

Mais ne croyez pas que cet album est le récit de ce premier des « Winch » arrivé aux Etats-Unis.

A partir de ce personnage, le scénariste s’amuse à jouer à la fois avec la grande Histoire et le temps, avec des personnages imaginaires et des personnages réels. Il y a la guerre de sécession, il y a la folie du pétrole, il y a deux fils qui prennent des chemins différents et desquels viendra la première simplification d’un nom européen trop ardu à retenir et à prononcer, sans doute, pour les « vrais » Américains. Il y a le temps qui passe, du milieu du dix-neuvième siècle jusqu’à l’orée du vingtième siècle…

Philippe Berthet : Le temps qui passe, et l’aide graphique de Dominique David

Reconnaissons que le scénario de Van Hamme, cette histoire qu’il a ébauchée dans un des romans qu’il a consacrée à Largo Winch, un personnage qui n’a pris son ampleur que grâce à la bande dessinée, reconnaissons que ce scénario file dans tous les sens, n’a rien de linéaire, et a tout, surtout, pour perdre le lecteur en cours de route. Pour Philippe Berthet, il y avait là un vrai défi : réussir à mettre en scène des raccourcis improbables, à dessiner en parallèle, sans aucune transition, des destins différents, à ce que le lecteur sente les années qui passent sans pour autant qu’elles soient formellement indiquées. Et c’est là la grande qualité de Berthet que de réussir à être le metteur en scène de ce qui, avec un autre dessinateur, aurait sans doute ressemblé à un fouillis !

La Fortune Des Winczlav 1 © Dupuis

Il faut dire que Berthet a toujours axé ses livres, quels qu’en soient les scénaristes, sur l’humain… Sur des personnages atypiques, voire différents, intellectuellement parlant, marginaux. Et c’est grâce à ce talent de metteur en scène que les (anti) héros créés par Van Hamme prennent vie, prennent chair, et rythment ainsi, en même temps que la grande histoire, la narration, littéraire et graphique. Il y réussit parfaitement, alors que la trame du scénario et son ancrage dans l’histoire des Etats-Unis ont été pour lui une toute nouvelle aventure artistique !

Philippe Berthet : Un changement thématique évident

Avec ce premier album d’une trilogie, on se plonge dans de la bande dessinée classique, agréable à lire, passionnante même. Le dessin de Philippe Berthet est, à mon humble avis, l’élément essentiel de la réussite, d’ailleurs, de ce projet. Je sais que je vais me faire quelques ennemis, mais je me dois d’avouer que les scénarios de Van Hamme me paraissent, depuis des années, se calquer les uns sur les autres, avec, toujours, même pour Thorgal, les mêmes thématiques : le fric, le pouvoir, l’ambition, le sexe, la violence, le tout, ici, traité avec quelques libertés avec l’Histoire. Avec une obsession pour les femmes soumises ou fatales, une obsession qu’il camoufle dans un discours presque féministe qui sonne assez faux. Aimant multiplier les angles de ses récits, de manière à n’en vraiment fouiller aucun, bien souvent, il peut, à mon avis, remercier mille fois Berthet d’être parvenu à rendre son scénario lisible et, ma foi, agréable à lire…

Berthet qui, dans cet album, nous fait le plaisir de nous montrer une galerie de femmes toutes plus importantes les unes que les autres.

Philippe Berthet : les femmes

Jusqu’au 24 avril 2021 : exposition à la Galerie Huberty & Breyne, place du Châtelain, à Bruxelles

Les admirateurs de Philippe Berthet ne peuvent pas rater cette exposition. Aux cimaises de cette galerie, ce sont des originaux, des crayonnés aussi, de « La fortune des Winczlav » qui s’offrent aux regards curieux…

Philippe Berthet

Des regards qui ne peuvent que se réjouir de pouvoir admirer de près la technique du noir et blanc de Berthet, sa façon d’agencer une planche pour qu’elle ait la meilleure des visibilités.

Philippe Berthet

Une belle exposition, aérée, qui mérite, assurément, le détour…

Cette exposition est ouverte, sur rendez-vous, du mardi au samedi. (en écrivant à cette adresse : Rdv auprès de bruxelles@hubertybreyne.com)

L’œil du Chasseur

(dessinateur : Philippe Berthet – scénario : Philippe Foerster – couleurs : Baumenay – Editions Anspach – 64 pages – mars 2021)

L’œil du Chasseur © Editions Anspach

Initialement paru en 1988, ce livre est un des éléments les plus marquants dans l’évolution graphique et littéraire de Philippe Berthet.

Il nous raconte une sorte de chasse à l’homme, avec, pour cible, un jeune homme, Climby, et pour chasseur un gardien de prison borgne. Avec, pour but ultime, la destruction des rêves de ce prisonnier évadé quelque peu « simplet ».

L’œil du Chasseur © Editions Anspach

Même si Foerster nous raconte sans temps mort une road-bd sombre, avec des thématiques qui sont celles des polars à l’américaine, il réussit quand même, malgré tout, à glisser dans son scénario un peu de fantastique à l’ancienne avec par exemple quelques Mormons extrémistes et un écologiste totalement allumé. Ce qui lui permet de dépasser l’anecdote d’une course poursuite pour nous parler de fanatisme, qu’il soit religieux ou écologiste. De tous les fanatismes !…

L’œil du Chasseur © Editions Anspach

Et le dessin de Philippe Berthet est d’une qualité que le temps ne fait qu’accentuer. Un découpage serré, des paysages sauvages, celui du Bayou mais aussi ceux de quelques lieux habités perdus loin de tout, et, en ultime page, une référence quelque peu iconoclaste à la grande histoire du neuvième art, tout cela participe à une mise en scène à la fois souple et très précise…

L’œil du Chasseur © Editions Anspach

Soulignons aussi que les éditions Anspach ne se sont pas contentées de rééditer cet album. Elles en ont fait un très bel objet, indubitablement. Et la bd elle-même se complète d‘un dossier très illustré rédigé par Charles-Louis Detournay, consacré au livre, a ses auteurs, à tout ce qui, dans les années 80, a amené à la création de cet excellent album.

Philippe Berthet

Jacques Schraûwen

Philippe Berthet