« La vraie vie, c’est bien mieux que dans les livres »
Même si les éditions Delcourt ont décidé, pour ces raisons inexistantes, de ne plus vouloir me permettre de pouvoir chroniquer leurs livres, je me dois de parler de ce livre-ci : un petit bijou d’émotion et de tendresse !
Ce livre est le premier volume d‘une collection qui s’intitule (en minuscules), avec lucidité et intelligence, « les gens de rien ».
Ce livre nous parle donc de ces personnes qui naissent, vivent et meurent dans une sorte d’anonymat général.
Mais ce que ce livre nous dit, le plus simplement du monde, c’est que nous ne sommes que grâce aux rencontres que nous faisons… Nous n’existons, toutes et tous, que par la magie de mots échangé, de regards croisés, loin de toute gloire, très loin même de toutes les paillettes que les médias nous montrent comme modèles à suivre, à vivre.
Charles Masson, l’auteur de ce premier opus d’une collection qui promet d’être à taille humaine, est médecin. Et c’est en médecin qu’il se fait dessinateur… Un médecin qu’on pourrait appeler « à l’ancienne », un médecin de proximité, un médecin qui privilégie l’humain à la science et à ses mots qui cherchent toujours à cacher la vérité derrière un aspect rébarbatif.
L’histoire de ce livre peut se résumer le plus simplement du monde. C’est le récit d’une existence, celle de Marie, que l’on voit adolescente, passionnée et timide tout à la fois, heureuse de vivre, vivant une amitié avec Louise. On la voit ensuite devenir institutrice, tandis que Louise, elle, travaille en usine.
Et puis, le temps passe, sans éclat, mais avec toujours la fidélité à cette amitié adolescente entre deux femmes très différentes l’une de l’autre.
Et puis… L’âge qu’on dit troisième arrive, et un souci de santé se révèle, chez un médecin, être un cancer… Sans doute découvert trop tard…
Marie se sait donc condamnée…
Marie veut vivre encore, mais pas trop… Jusqu’au prochain printemps… Jusqu’à cette saison qui voit la vie toujours victorieuse…
Et c’est cette période-là, cette espèce de parenthèse dans le quotidien d’une femme, cet intermède entre l’ici et l’ailleurs, entre le réel et le néant, qui fait toute la narration de ce livre. Toute sa beauté. Toute sa pudeur, aussi, surtout !
Il s’agit, certes, d’une rencontre « vécue » entre un médecin et sa patiente, il s’agit, bien sûr, de l’installation progressive, au fil d’un suivi médical, d’une relation profonde et empathique entre deux êtres désarçonnés par l’inéluctable vérité de l’existence…
Mais il s’agit surtout, en parlant de la mort, d’un superbe poème vivant…
Ce livre, je le disais, est un petit bijou… Il ne fait preuve d’aucune imagination, il est comme le journal tranquille, pratiquement serein, d’une mort annoncée.
Marie va, tranquillement, vivre jusqu’au printemps, elle va pleinement vivre ce dernier printemps à l’hiver de sa vie.
C’est un livre d’émotion.
C’est un livre humain.
C’est un livre dans lequel le seul héroïsme est de continuer, envers et contre tout, à vivre et à pouvoir s’émerveiller.
C’est un livre de gens simples, de « gens de rien », de gens qui ne sont pas sans importance. Parce que c’est en les rencontrant, en les aimant, qu’on découvre que l’enfer, ce n’est pas les autres !…
C’est un livre qui peut se résumer, aussi, dans la petite phrase qui le termine : « la vraie vie, c’est bien mieux que dans les livres »…
Jacques Schraûwen
Jusqu’au Printemps (auteur : Charles Masson – éditeur : Delcourt – 88 pages – février 2021)