Un livre à ne surtout pas rater !!!
D’une intelligence et d’une beauté parfaites, ce roman graphique est bien plus qu’un coup de cœur : une totale réussite, à tous les points de vue !
Nous sommes en 1937, aux Etats-Unis, en pleine dépression. Un jeune photographe, John Clark, est envoyé par un organisme gouvernemental dans une région qu’on appelle le no man’s land, en Oklahoma, un territoire battu par des vents qui charrient tellement de sable que les occupants se trouvent confrontés à la sécheresse, à la pauvreté, à l’impossibilité de cultiver leurs pauvres terres. Le travail de ce jeune photographe est de ramener des clichés qui témoigneront des conditions de vie d’habitants américains qui, ensuite, pourront être aidés.
Un sujet qui permet bien des digressions, bien des réflexions. Un sujet dans lequel l’auteure, Aimée De Jongh, s’est totalement immergée.
Ce photographe va découvrir un monde dont il n’avait pas idée… Mais, surtout, il va se découvrir lui-même, il va réfléchir à ce qu’est la photographie, le journalisme, le fait de « porter témoignage ».
Et, en même temps que ce personnage central, c’est Aimée De Jongh qui se questionne, et nous pousse à nous questionner également. Comment porter témoignage de ce qu’on voit, comment ne pas trahir, en mettant en scène, par exemple, un cliché pour qu’il ait plus d’impact. Une pratique qui n’a rien de neuf, loin s’en faut. Comme le prouve cette photo mère migrante datée de 1936 et qui a fait le tour du monde avant de se retrouver dans ce livre-ci.
L’autrice complète de ce livre, la Néerlandaise Aimée De Jongh, a préparé cet album en se rendant sur place. Ce qu’elle y a découvert, ce qu’elle y a vu lui a donné, selon ses propres dires, une responsabilité…
Celle de ne pas trahir la misère qui, pendant ces jours de sable comme en d’autres lieux, en d’autres temps, déchirait les âmes et les corps.
Ne pas trahir… C’est de cette nécessité humaniste que naît la vraie question que tout artiste devrait se poser, sans cesse, que tout observateur, qu’l soit politique, journaliste ou psy, devrait ne jamais occulter : entre vérité et conscience, où se trouve l’essentiel, où se situe la frontière entre l’acceptable et la manipulation ?
Avec un dessin semi-réaliste, avec une couleur qui joue avec les tons ocres et qui, de ce fait, nous plonge, lecteurs, dans les tempêtes de sable qu’elle nous raconte, Aimée De Jongh ne se contente à aucun moment d’un simple récit factuel. Entre abstraction et lyrisme, son graphisme se fait le miroir de bien des questionnements… Au travers de son personnage central qui vit une véritable quête initiatique qui va le mener à changer ses idées, ses perspectives, au travers de ce jeune homme qui comprend peu à peu que rendre compte, c’est mettre en scène, et que mettre en scène, c‘est tromper et trahir, au travers de John Clark qui se rend compte, de rencontre en rencontre, que l’essentiel, dans une photo, c’est ce qui est hors cadre, Aimée De Jongh aborde des réflexions essentielles… Ce qu’est la vérité… Ce qu’est l’empathie… Ce qu’est la famille… Ce qu’est le départ, quand il s’agit de ne pas devenir fou… Et ce qui est essentiel, dans ce livre, ce qui en fait un vrai chef d’œuvre, c’est l’émotion qui, de bout en bout, l’habite… J’ose le dire, je n’ai que très rarement ressenti autant d’émotion, de tendresse, de douceur, de frémissements de l’âme à la lecture d’une bande dessinée qu’avec ce livre…
Je le disais en préambule : ce livre n’est pas pour moi un simple coup de cœur. Il est et sera, j’en ai la conviction, un des livres les plus importants de cette année 2021 !
Jacques Schraûwen
Jours de Sable (autrice : Aimée De Jongh – éditeur : Dargaud – 289 pages – mai 2021